Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Crimes et criminels de guerre allemands dans le Nord-Pas-de-Calais de Jacqueline Duhem

Article de Marie Paule Hervieu
lundi 10 octobre 2016

Des massacres de 1940 aux procédures encore en cours de nos jours. La Wehrmacht rencontre des zones de résistance dans le "chaudron lillois". Courrières, Oigny, Carvin, Haubourdin. L’armée allemande connait de lourdes pertes en 1940 et se venge sur les civils. Des représailles sont aussi exercées contre les civils en 1944.

 Crimes et criminels de guerre allemands, de 1940 à nos jours, dans le Nord-Pas-de Calais édité par « Les Lumières de Lille » en mai 2016 .

Le livre de Jacqueline Duhem, agrégée d’histoire [1] est construit sur une large base de travaux sur archives, recherches de témoignages et consultation méthodique de la presse régionale, mais aussi nationale et allemande. Chaque partie est illustrée par des photos d’identité et de lieux de mémoire, des biographies, non seulement de résistants Pierre Hachin, Suzanne Lanoy-Blin, René Cassin, Jean Cavaillès…) mais aussi de criminels de guerre, situés de haut en bas de la hiérarchie militaire et policière allemande. Une carte de la région occupée, avec les scènes de crimes de mai-juin 1940, mais aussi d’avril et août-septembre 1944, et un organigramme de l’administration militaire allemande complètent une somme d’informations originales et méconnues.

Crimes de guerre

Comme son titre l’indique, le livre est structuré à partir de la mise en place d’un Service national de recherche des crimes de guerre ennemis (SRCGE) créé le 14 octobre 1944, fonctionnant du 6 décembre au 1er juillet 1948, en rapport avec la commission des Nations Unies pour les crimes de guerre, siégeant à Londres du 20 octobre 1943 au 31 mars 1948. Le texte est articulé sur un espace régional et trois temps forts : l’invasion militaire de mai-juin 1940, les massacres de 1944, massacres de fin de guerre (avril, août-septembre 1944) et les procès d’après guerre, de la Libération à la guerre froide.

Le Nord-Pas-de-Calais, zone rattachée, dans une région à forte identité politique, sociale et culturelle, les deux départements ont une histoire singulière de mai 1940 jusqu’à la Libération en septembre 1944, et même mai 1945 pour la dernière « forteresse » de Dunkerque. Du fait de sa situation frontalière, la région est une des premières à être envahie, déterminant un exode de civils, s’ajoutant à celui des réfugiés belges et néerlandais (1million). Elle est aussi une des premières, si ce n’est la première région française, à s’engager dans une double résistance, celle des armées française et britannique, face à l’offensive allemande, mais aussi celle d’habitants qui, par anglophilie et mémoire de l’occupation militaire pendant la 1ère guerre mondiale, soutiennent la cause alliée. Trois chiffres en témoignent : 28 000 hommes résistent pied à pied dans l’agglomération lilloise du 28 au 31 mai 1940 et reçoivent les honneurs militaires de l’armée allemande (cas unique), les pertes militaires sont évaluées à 60 000 hommes et dans une région de plus de trois millions d’habitants, il y a 6 700 déportés ( plus de 10% des déportés de répression) et 565 fusillés.

D’autre part, suite à la signature de l’armistice, le 22 juin 1940, la région est détachée du reste de la France occupée, une véritable frontière intérieure est établie sur la Somme et le Nord-Pas-de Calais, elle est rattaché au commandement militaire allemand en Belgique, le général Alexander von Falkenhausen [2] devient, jusqu’au 15 juillet 1944 : der Militarbefehlshaber in Belgien und Nord-Frankreich (le commandant militaire en Belgique et Nord de la France.) jusqu’à son remplacement par un Gauleiter, Grohé, et trois généraux se succèdent à la tête de l’OFK : Oberfeldkommandantur 670 à Lille : H. Niehoff , W. Daser et G. Bertram. L’autorité militaire, celle de la Wehrmacht reste donc en charge des politiques de répression (otages, résistants NN) et de persécution [3] (850 déportés du camp de transit de Malines vers le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau : 688 Juifs et 160 Tsiganes). La zone côtière reste interdite et Dunkerque, la dernière ville prise par les Britanniques et Canadiens, le 9 mai 1945, alors que le reste de la région est libéré depuis le début septembre 1944. Enfin le Nord-Pas-de-Calais envahi, puis occupé, est quadrillé par des forces militaires et policières, en particulier l’agglomération lilloise et le bassin houiller, en application de la politique des otages (décret du 26 août 1941) et de la traque des résistants, assimilés à des « terroristes » et à des « bandits communistes ». Sans doute les autorités militaires redoutent-elles le patriotisme français, et la combativité du mouvement ouvrier dans les cités minières et les villes du textile.

L’administration militaire (Militärverwaltungen), celle de la Wehrmacht, est responsable de 80% des déportations, agissant aussi par l’intermédiaire de ses polices et sa gendarmerie : la GFP : Geheimefeldpolizei, police militaire secrète et la Feldgendarmerie : gendarmerie militaire, auxquelles s’ajoutent la SS : les unités combattantes de Waffen-SS, et les divisions motorisées SS, rattachées aux divisions blindées de la Wehrmacht, véritables « escadrons de la mort » qui ne sont pas sans rappeler les Einsatzgruppen, opérant en Pologne, dès 1939, puis en URSS, après l’invasion de juin 1941, en charge de la mise à mort collective (sans doute plus de 2 millions de morts) des Juifs et des Partisans /Résistants.

Les spécificités de la politique de répression, contrairement au reste de la France occupée, les structures policières dépendant du RSHA (Reichssicherheitshauptamt Bureau supérieur de la sécurité du Reich.)
de Berlin, la SIPO –SD [4], ne prennent pas le dessus au printemps 1942. Trois antennes de la "Gestapo" ( police secrète d’État) fonctionnent à Lille / La Madeleine, à partir de 1940, une à Douai, en 1942, et une temporairement à Maubeuge, à partir de 1943. D’autres polices dépendant du SD ( service de sécurité de la SS) ou de l’Abwehr (service de renseignement et de contre espionnage de l’armée) agissent dans toute la région, à partir de Lille, Arras et Valenciennes, Saint Omer et Cassel, sous la forme d’exécutions sommaires, prise d’otages, arrestations suivies de tortures, fusillades et déportations. Il y a cependant une montée en puissance, tardive, de l’Ordre noir, de la SS, avec l’arrivée aux responsabilités d’un commissaire du Reich, autorité civile nazie, et un tournant répressif à partir du 19 juillet 1944 [5].

Si l’on reprend la définition des crimes de guerre par les conventions de La Hay ( 1899/1907), soit toute forme de violation des lois et coutumes de la guerre, dont l’assassinat et les mauvais traitements infligés à des populations civiles ou à des prisonniers militaires, la déportation de populations civiles, l’exécution d’otages, le pillage de biens, la dévastation et la destruction de villes ou de villages sans motifs, l’on peut considérer que les habitants de la région sont confrontés à toutes les formes de crimes de guerre, s’ajoutant aux crimes contre l’humanité, à caractère génocidaire, avec les rafles de Juifs et de Tsiganes en septembre 1942 et octobre 1943 [6]. Le nombre des victimes des politiques de répression, évalué à plus de 8 000, explique la volonté de rechercher les criminels de guerre pour les faire juger et condamner à la Libération. Le service régional de recherche des criminels de guerre ennemis, dépendant de trois ministères : justice, intérieur et guerre (armées), entame alors avec de faibles moyens humains et financiers, des enquêtes aboutissant à la constitution de 986 dossiers. Ses dirigeants sont d’anciens résistants : Jean Minne et Henri Duprez, puis un commissaire de police Marcel Deruelle, assisté de deux inspecteurs. Les inculpés doivent être traduits devant des tribunaux militaires, d’abord celui de Lille, jusqu’en octobre 1947, puis celui de Metz, et très secondairement Paris et Lyon.

L’invasion militaire de mai-juin 1940
Mai- juin 1940, invasion et première période de massacres collectifs, la première période étudiée va des 21-22 mai 1940 au 5 juin 1940. Elle correspond aux premiers massacres, au crime perpétré par la 3e division SS « Totenkopf » (Tête de mort) commandée par l’officier SS, Theodor Eicke, ancien commandant du camp de concentration de Dachau, contre les habitants de la commune d’Aubigny-en-Artois. Confrontés à une forte résistance militaire, les SS se livrent à des représailles massives : ils lancent des grenades incendiaires dans les cours de ferme, prennent des otages (70) et les exécutent à la mitraillette, raflent des femmes et des adolescents. 82 hommes sont morts, âgés de 16 ans à 73 ans. Les massacres de civils continuent jusqu’au 28 mai laissant « une traînée de sang », de la Scarpe, au sud du Bassin houiller, jusqu’à la Lys, à l’ouest de l’agglomération lilloise. S’y ajoutent les exécutions de 97 prisonniers de guerre britanniques à Lestrem. Ils sont abattus à la mitrailleuse et achevés à coups de baïonnette. Parallèlement, dans le bassin houiller, les soldats de la 267e division d’infanterie de la Wehrmacht commandés par le Capitaine Hans Kolrep, se heurtent à une résistance acharnée des troupes franco-britanniques, et les communes minières de Courrières, Oignies et Carvin sont mises à feu et à sang (au moins 140 morts), les soldats allemands visant aussi les familles de mineurs polonais. Enfin l’agglomération lilloise est investie, le 30 mai 1940, par la même division où des massacres ont également lieu. Le bilan humain de près de deux semaines de combats et de massacres est de 21 000 victimes civiles (dont des réfugiés belges et hollandais) et de 60 000 militaires français, dont des troupes coloniales, en particulier des tirailleurs marocains.
À partir de l’automne 1940, commencent les déportations de condamnés par les tribunaux militaires allemands, vers les prisons et camps de Belgique occupée et du Reich, et le 23 juillet 1941, suite à la longue grève des mineurs, du 27 mai au 9 juin 1941, 244 d’entre eux sont déportés dans le camp de concentration de Sachsenhausen, près de Berlin, sur ordre de la SIPO-SD, la justice militaire étant débordée par l’amplification de « l’état de guerre ».

Les massacres de 1944
Les massacres de l’année 1944, en représailles à l’action des résistants, commencent, en avril , avec la tragédie d’Ascq. La volonté de l’État nazi, des SS [7]
et d’une partie de l’état major de la Wehrmacht de se battre jusqu’au bout fait à nouveau plusieurs centaines de victimes civiles, au fur et à mesure que les armées allemandes tentent de contrer les opérations de débarquement et se replient vers la mer du Nord et la « forteresse « de Dunkerque. La ville d’Ascq, commune de 3 000 habitants, est victime des représailles du bataillon de reconnaissance de la 12e division SS, dite Hitlerjugend, suite à un sabotage sur la ligne ferroviaire Bruxelles-Lille, dans la nuit du 1er au 2 avril 1944. L’officier SS, le lieutenant Walter Hauck, qui la commande, et couvre les fusillades de civils, dont 22 cheminots, est aussi celui qui s’illustrera, début mai 1945, par le massacre d’habitants tchèques du village de Leskovice, en Bohême. Dans le Nord, ce sont 86 morts, âgés de 15 à 74 ans, 75 veuves et 127 orphelins qui sont à déplorer dans cette ville-martyr.

Dans les dernières semaines de guerre, entre le 29 août et le 5 septembre 1944 (voir le tableau pages 95 et 96), ce sont 230 otages qui sont exécutés dans l’Avesnois et le Cambrésis, 41 à Bruay en Artois, les 1er et 2 septembre, puis dans l’arrondissement de Béthune (13 fusillés à Lorgies, 8 à Mont Bernanchon-St Venant), 33 morts à Seclin (arrondissement de Lille) et 38 victimes (20 FFI et 18 otages) à Nieppe, dans l’arrondissement de Dunkerque, auxquels il faudrait ajouter les sept habitants d’Arques-la-bataille (Seine-inférieure), emmenés comme « boucliers humains » par l’armée allemande dans sa retraite, et exécutés dans l’arrondissement de Montreuil-sur-mer.

D’anciens résistants témoignent et accusent, tel Pierre Hachin, du réseau « Sylvester- Farmer » et du mouvement « la Voix du Nord », cheminot de Lille, arrêté en octobre 1943, torturé pendant 14 jours et déporté, ont permis d’identifier les tortionnaires de la Sipo-SD ( Gestapo de Lille/La Madeleine) et leurs auxiliaires belges hollandais et luxembourgeois, roumains et hongrois. Ce sont, pour trois d’entre eux, des sous-officiers SS, comme les inspecteurs de police : F. Habener, H. Schraeder et W. Paarmann, mais leurs officiers, dont Günther Rausch, lieutenant-colonel SS, ancien chef du Sonderkommando 7b, un des six commandos de l’Einsatzgruppe B, chargé de l’extermination des Juifs et des Partisans en URSS occupée, donc, les « donneurs d’ordre », disparaissent. Par contre les responsabilités des généraux de la Wehrmacht, à Bruxelles comme à Lille, ont longtemps été sous-estimées, voire même occultées. Jusqu’en juillet 1944, ils ont mis en place les politiques de répression et de persécution, débouchant sur des fusillades de résistants et d’otages, par exemple dans les forts militaires de Seclin (69 corps retrouvés), Wambrechies (20) et Bondues (68) et les citadelles de Lille et d’Arras ( fosses communes de 12 et 48 corps s’ajoutant aux 134 tombes individuelles) mais aussi sur des convois de déportation. Le dernier convoi, dit celui du «  train de Loos », le 1er septembre 1944, transfère 872 déportés, emprisonnés à la prison de Loos, dans le camp de concentration de Sachsenhausen-Oranienburg, puis Neuengamme, dont Raymond Fassin (il y aura 275 survivants, un tiers du convoi d’évacuation). Ce convoi est constitué par les services de la Sipo-SD à Lille, avec participation des militaires de la Wehrmacht, du fait de l’accentuation de la politique de répression durant l’été 1944. Au total il y aura eu 6 700 déportés de répression et 850 déportés de persécution, s’ajoutant aux 555 fusillés.

Enquêtes et procès de l’après guerre
La troisième période et la cinquième partie de ce livre d’histoire traitent des enquêtes et procès de l’après-guerre. La recherche et l’arrestation des criminels comme préalable à des procès devant des tribunaux militaires, sont liés à la volonté des Alliés, à commencer par Winston Churchill, dès octobre 1944. 877 crimes de guerre sont répertoriés par le service régional créé à la Libération, 17 procès sont instruits, 14 s’étant tenus entre 1948 et 1951, et deux en 1952 et 1955. Cinq ont eu lieu à Lille, deux ont été délocalisés à Paris et Lyon, la majorité étant jugés par le Tribunal militaire de Metz. 23 inculpés ont été condamnés mais la traque des criminels s’est révélée longue et problématique : certains avaient fui et ont été arrêtés à l’étranger. C’est ainsi que les Pays Bas acceptèrent de « prêter » certains de leurs prisonniers de guerre pendant une durée limitée. Pour d’autres, les autorités de la République fédérale allemande, née en 1949, ont refusé de les extrader. Enfin certains furent livrés par les Anglais et les Américains, à partir de leurs zones d’occupation, mais les autorités militaires alliées se réservaient le jugement de ceux qui avaient aussi attenté à la vie de leurs soldats devenus prisonniers.
Le premier procès est celui des membres de la Gestapo à Lille/La Madeleine et à Douai, en juin et juillet 1948. Sur cinq sous-officiers SS, quatre, dont deux sont des tortionnaires avérés : W. Paermann et F. Habener, sont condamnés à mort. Un sixième, de la Gestapo de Douai, est condamné à 20 ans de travaux forcés. Mais d’appels en appels d’octobre 1948 à novembre 1949, en dépit de témoignages accablants, deux sauvent leur tête et bénéficient d’une série de remises de peine, le policier de la Gestapo de Douai étant libéré en août 1953. Les seconds procès de 1949 et 1950 sont ceux des polices et gendarmerie militaires :19 membres des GFP (police secrète militaire) de Lille, Arras et Valenciennes et cinq Feldgendarmen.

L’exemple de Paul Furst, adjudant-chef de la Feldgendarmerie, en poste à Valenciennes, est très éclairant. Réputé coupable de tortures et d’assassinats, en particulier sur la personne de Gilles Fabry, lieutenant de sapeurs pompiers et résistant, mais il est condamné, en février 1949, à 2 ans d’emprisonnement, alors qu’en 1945, des auxiliaires polonais des Feldgendarmen avaient été condamnés à de plus lourdes peines. La frustration et la colère des familles de victimes sont immenses. Il en est de même après le verdict condamnant le seul des quatre Feldgendarmen de Cassel présent au procès, à 5 ans de travaux forcés, pour complicité dans l’assassinat de la famille Verlick, à Hazebrouck.
Les derniers procès en 1950 des membres de la GFP (police secrète militaire), casernés à Lille, Arras et Valenciennes, sont de nouveau des procès par contumace (sauf un adjudant chef, J. Stoppler, présent) qui condamnent quelques sous-officiers à de faibles peines, malgré les témoignages d’anciens résistants. Il se trouve même un résistant français, le général F. Alamichel, peut être retourné par les Autorités allemandes d’occupation (incarcéré à Fresnes de 1944 à 1947), pour témoigner en faveur de J. Stoppler, sans doute par anticommunisme : ce dernier est accusé, par le journal communiste « Liberté » d’avoir assassiné le résistant Marcel Danna, et est condamné à 5 ans d’emprisonnement, sans doute un effet de la guerre froide opposant les deux blocs américain et soviétique. Cependant les officiers supérieurs de l’armée allemande, accusés de crimes de guerre (mais pas de crimes contre l’humanité) sont jugés à Lille, en 1950, par le tribunal militaire de Metz. Le lieutenant-colonel Schroeder, commandant de la place forte de Calais est accusé d’avoir donné l’ordre d’exécuter cinq jeunes résistants, après qu’ils eurent été torturés, et condamné à cinq ans. Le tortionnaire et l’adjudant-chef Rudolf Herzog, policier de la Kriegsmarine, accusé d’avoir cassé toutes les dents du fils de R. Gouverneur, à coups de nerf de bœuf, avant sa déportation durant laquelle il décède, est condamné à trois ans.

C’est à Bruxelles, en 1950, que sont jugés, pour crimes de guerre, deux généraux de la Wehrmacht : Von Falkenhausen, l’ancien gouverneur militaire pour la Belgique et le Nord de la France et Bertram, le dernier commandant de l’OFK de Lille. Mais celui-ci est jugé comme ayant été, avant Lille, le commandant de l’OFK de Liège. Ils sont condamnés à 12 et 10 ans de travaux forcés, sachant qu’il y a eu 25 000 Juifs déportés de Belgique et du Nord de la France. Ils sont rejugés en 1955, en leur absence, par un tribunal militaire français et A. von Falkenhausen va mourir dans son lit à l’âge de 88 ans. À Hambourg, en zone d’occupation britannique, a lieu en 1948, le procès d’accusés de massacres de civils et de soldats britanniques en mai 1940 : seul le capitaine SS Fritz Knochlein est condamné à mort. Enfin, à Lille, en août 1949 devant le tribunal militaire de Metz, se tient le procès de Waffen-SS « massacreurs d’Ascq »*, « l’Oradour du Nord » ( 86 civils massacrés) dans une « ambiance survoltée ». Sur les neuf inculpés présents, huit sont condamnés à mort. Un second procès à huis clos a lieu à Metz, en octobre 1951, en l’absence des cinq inculpés qui sont condamnés à mort par contumace. Le lieutenant-SS Walter Hauck meurt en 2006. Les sous- officiers et officiers de la Wehrmacht, responsables des massacres de Courrières, Oignies et Carvin, sont jugés à Lille, en octobre 1950. Le capitaine Horst Kolrep, qui a donné l’ordre de fusiller le jeune Alfred Carlier, 17 ans, puis d’incendier la maison familiale, est accusé par deux témoins dont la mère de l’adolescent qui l’a supplié d’épargner son fils. Il est le seul officier condamné à mort, et exécuté, contrairement à Paul Hemmers, reconnu coupable d’homicide, absent et condamné à 20 ans de travaux forcés. Il apparaît que les SS, appartenant depuis le procès de Nuremberg à une « organisation criminelle », sont plus fortement sanctionnés que les soldats de l’armée régulière, et que les verdicts de procès s’étant tenus à Lille sont plus lourds que ceux ayant été prononcés à Metz. L’opinion publique joue donc son rôle, de même que les considérations politiques liées au retournement des alliances, avec les débuts de la guerre froide, et la solidarité agissante des anciens SS regroupés dans une association la HIAG [8] (créée en 1951, 7 000 adhérents dans les années 60).

Au finale, la justice a été lente, jamais vraiment rendue (quatre exécutions et beaucoup de peines symboliques et non appliquées). Par contre la reconstruction des villages détruits a été longue, et le traumatisme et les difficultés matérielles des familles de victimes n’ont pas été assez pris en compte par les autorités politiques nationales, si ce n’est l’extraordinaire geste de solidarité d’un Algérien du Constantinois, Hachemi Ben Chennouf, ancien lieutenant de l’armée française, député à l’Assemblée nationale, envoyant au nom du Comité central musulman d’aide au relèvement de la France, 12 millions de francs (2 millions d’euros) à la municipalité d’Ascq en novembre 1944. Mais des manifestations publiques officielles, en mémoire des fusillés et des massacrés, sont organisées annuellement et des monuments-mémoriaux érigés sans que l’histoire nationale en fasse des lieux emblématiques. Et le travail des historiens n’ a cessé de s’amplifier.
Au terme de ses recherches, de ses entretiens et de ses lectures, Jacqueline Duhem a écrit ce livre d’histoire au plus près des hommes et des lieux, « en souvenir des civils du Nord et du Pas-de-Calais, résistants ou non, qui furent victimes de la répression allemande durant la seconde guerre mondiale et oubliés de la mémoire nationale ». Elle sera le maître d’œuvre de la conférence publique que le Cercle d’étude organise au lycée Buffon, le mercredi 9 novembre 2016, sur « Les responsabilités du commandement militaire allemand de Lille dans les déportations depuis le Nord de la France-1940-1944 », avec Laurent Thiery et deux témoins Lili Rosenberg-Leignel, déportée juive de 11 ans, et François-René Cristiani-Fassin, fils du résistant Raymond Fassin [9], déporté le 1er septembre 1944 et mort à Neuengamme.
Jacqueline Duhem les interrogera et présentera un travail qui apprend beaucoup.

Marie-Paule Hervieu, octobre 2016.

Rafle à Douai :
https://france3-regions.francetvinfo.fr/
Famille Sokolski
https://journals.openedition.org/tsafon/2921

Les responsabilités du commandement militaire allemand dans les déportations depuis le Nord de la France
Forces de répression françaises et allemandes
A propos de la justice allemande après guerre :
L’Affaire Collini de Ferdinand von Schirach

Citadelle d’Arras :
"Le 1° novembre 1943, les résistants Alexandre BOVE, 33 ans, cheminot, FTPF ; Paul CAMPHIN, 21 ans, des Jeunesses communistes du Pas-de-Calais ; Georges LOUCHET, 46 ans, couvreur-zingueur et Georges SANTERNE, 19 ans, ouvrier terrassier, étaient fusillés à la citadelle d’Arras."

Abréviations et vocabulaire
Abwehrstelle : service de contre espionnage
Feldgendarmen : gendarmes militaires
Feldpolizei : police militaire
GFP : Geheimefeldpolizei, police militaire secrète
HSSPF : Höherer SS- und Polizeiführer : Chef supérieur de la SS et de la police en France
MBB : Militärbefehlshaber in Belgium und Nordfrankreich, Commandement militaire allemand en Belgique et dans le Nord de la France.
MBF : Militärbefehlshaber in Frankreich, Commandement militaire allemand en France
Militärverwaltungen : administration militaire (des territoires occupés).
NSDAP : Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei parti national socialiste allemand des travailleurs
Oberfeldkommandantur : Haut Commandement militaire
OFP : Oberfeldpolizei police militaire secrète
RSHA : (Reichssicherheitshauptamt Bureau principal de la sécurité du Reich
Sipo : Sicherheitspolizei (police de sécurité)
SD : Sicherheitsdienst (Service de sécurité)
Sipo-SD : Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst, police de sécurité de l’État et services de sécurité du NSDAP, réunis au sein du RSHA
Sicherheitspolizei : (Police de sécurité de l’État)
Wehrmacht : force de défense, armée régulière du IIIe Reich.

Courrières


En commémoration du 28 mai 1940, le Club d’Histoire Locale de Courrières et la municipalité organisent la conférence «  Les crimes de guerre, en mai 1940, dans le Nord-Pas-de-Calais et la traque des criminels de guerre allemands à la Libération  ». 14 mai 2016

DUHEM Jacqueline Crimes et criminels de guerre allemands dans le Nord-Pas-de-Calais -1940 à nos jours- Histoire et mémoire, éd. Les lumières de Lille, 2016

















[1Jacqueline Duhem est l’auteure du livre « Ascq 1944, un massacre dans le Nord, une affaire franco-allemande » édité par « Les Lumières de Lille », en mars 2014.
Ascq 1944. Un massacre dans le Nord. Une affaire franco-allemande

[2Le général von Falkenhausen est très tôt en contact avec la résistance à Hitler, Ludwig Beck et Carl Goerdeler. Il est persuadé qu’il faut un changement de régime par une action militaire, une guerre serait catastrophique pour l’Allemagne, dit-il en août 1939. (ndlr)

[4Sipo-SD : Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst, police de sécurité de l’État et services de sécurité de la SS

[5Laurent Thiery, docteur en histoire, historien à La Coupole de St Omer, est l’auteur d’un article sur "Les spécificités de la répression dans le Nord-Pas de Calais, zone rattachée au commandement militaire allemand de Bruxelles" dans le livre « La répression en France- 1940-1945 » - Centre de recherche d’histoire quantitative-CNRS – Université de Caen- 2007.

[6Voir deux "Petits Cahiers" édités par le Cercle d’étude : 1ère série N°15 « Résistance, internement et déportation dans le commandement militaire allemand de Belgique occupée et du Nord de la France, paru en 2002, et 2e série N°19 « Persécutions des Tsiganes en Europe occupée, histoire et mémoire d’un génocide », conférences de MC. Hubert et M. Heddebaut, témoignage de Raymond Gurême (2013).

[7voir le Petit Cahier- 2e série- N°24 « Les Marches et trains de la mort- Transferts, évacuations et libérations des camps nazis- juillet 1944- mai 1945 » - juin 2016.

[8HIAG Die Hilfsgemeinschaft auf Gegenseitigkeit der ehemaligen Angehörigen der Waffen-SS e. V. (association d’entraide mutuelle des anciens membres des Waffen-SS)

[9parachuté au-dessus des Alpilles avec Jean Moulin le 2 janvier 1942