Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Elles étaient juives et résistantes-Convoi 76, Chantal Dossin

Compte rendu de lecture par Marie-Paule Hervieu
lundi 14 mai 2018

Neuf femmes résistantes d’âges et de conditions sociales contrastés, du convoi 76.

 Elles étaient juives et résistantes-Convoi 76, Chantal Dossin, Éditions Sutton, Tours, 2018, 127 p.

Chantal Dossin, membre du Cercle d’étude, était déjà le co-auteur, avec Jeanine Thomas, du Petit Cahier N°12 / 2e série : « L’avant dernier convoi Drancy-Auschwitz – le convoi 76 du 30 juin 1944 » publié en novembre 2010, qui fut et reste un remarquable succès d’édition. Pour ce livre paru aux éditions Sutton, au premier trimestre 2018, elle a élargi et approfondi ses recherches sur neuf figures de femmes juives et résistantes, consulté de multiples dépôts d’archives ainsi que de nombreux témoignages de survivantes, camarades et descendants.

Ces neuf femmes résistantes sont d’âges et de conditions sociales contrastés : des deux jeunes adolescentes de 13 et 14 ans, Lina et Renée Ganon, à des femmes mariées dont l’une âgée de 61 ans à la date de sa déportation : Suzanne Lévy-Buisson. Elles sont médecin (Jeanne Oguse-Arager) ou pharmacienne (Sarah Gartenstein-Sauvard), secrétaire (Ginette Salomon), fille d’un médecin du dispensaire du comité Amelot (Joseph Oguse), de négociant (Georges Salomon), de tricoteurs du 11e arrondissement (Tana et Léa Bach, parents de Germaine Bach), de casquettier (Isaac Bajtel, père d’Itta Léwitz), femme et adolescente, mariée à un ouvrier chaudronnier (Maurice Sauvard), ou ayant travaillé comme dentellière à l’âge de 16 ans (Suzanne Lévy).

Ce qu’elles ont en commun, c’est leur origine juive, d’être nées de parents étrangers, d’être ou non de nationalité française mais d’avoir résisté en France occupée : Turcs comme les parents des petites Ganon nées à Rouen, roumaine telle Sarah Garenstein qui n’obtient pas d’être naturalisée par son mariage en septembre 1939 avec Maurice Sauvard. Elles sont aussi polonaise (Itta Bajtel), polono-lituanienne (Jeanne Oguse), polono-russe (Germaine Bach). Elles sont enfin, mais pas seulement, agents de liaison, résistantes déportées comme juives à Auschwitz-Birkenau par le convoi du 30 juin 1944 (six y moururent).

Leur entrée et leur action dans la résistance prennent des formes variées et, dans ce livre de biographies, est opérée une distinction entre l’engagement dans les réseaux et les grands mouvements de résistance (pour sept d’entre elles) et l’engagement dans les organisations juives de sauvetage (Eva Cahen et Itta Lewitz, pages 95 à 109).

Les motivations sont variées, et majoritairement de nature politique, mais renouvelées par les nouvelles formes de l’antisémitisme d’État, ainsi pour la fondation du MNCR : mouvement national contre le racisme et l’antisémitisme en 1941. Les engagements sont liés, pour quatre d’entre elles, à un militantisme antifasciste d’avant-guerre, commencé dans le soutien à la République espagnole ou la participation aux Brigades internationales (Jacob Arager, médecin, engagé volontaire dans l’armée républicaine mort à la fin de l’année 1936 ; Maurice Sauvard, officier, commissaire politique, dans l’hôpital international de Vich en Catalogne, où il rencontre puis épouse une jeune infirmière roumaine, elle aussi brigadiste). Il se continue dans le rejet de la conférence de Munich et de la politique d’apaisement avec les dictatures : communiste pour Jeanne Oguse-Arager, Germaine Bach et Sarah Gartenstein, investies dans les organisations politiques et militaires liées au PCF, face à la répression anticommuniste, et à partir de l’été 1941, le passage à la lutte armée , soit la MOI : main d’œuvre immigrée, l’OS : l’Organisation spéciale puis les FTP : les Francs-tireurs et partisans, le FN : Front national ou socialiste pour Suzanne Lévy-Buisson, animatrice du CAS-Sud à Lyon : le Comité d’action socialiste (Daniel Mayer). D’autres sont entrées dans des réseaux liés à la résistance gaulliste. C’est le cas pour Germaine Ganon et ses deux filles (réseau Andalousie) et Ginette Salomon (réseau Plutus, avec Roland Haas).

Les deux engagées dans la résistance juive de sauvetage des enfants et adolescents menacés d’arrestations et de déportations en centres de mise à mort, et d’aide aux réfugiés, aux emprisonnés des camps d’internement, et aux déportés, après être restées dans la légalité dans le cadre de l’UGIF (l’Union générale des Israélites de France), ont basculé dans l’action clandestine à partir de l’été 1942 -1943, en même temps que l’OSE (l’œuvre de secours aux enfants) avec le réseau Garel, filière chargée de cacher, en les dispersant, ou de convoyer, les enfants juifs vers des lieux de refuge, ou les EIF (les Éclaireurs israélites de France), avec la Sixième structure clandestine recherchant des planques ou fabriquant de faux papiers. L’une, Eva Cahen, est l’adjointe du directeur du Centre OSE de Toulouse, le docteur Jules Hofstein, l’autre Itta Léwitz est l’adjointe de son mari, Georges directeur de l’École de travail (l’ORT) rue des Rosiers, tous deux anciens scouts des EIF, mouvement de jeunesse juif.

L’action résistante des politiques peut prendre de multiples formes, pas seulement des portages de messages, lettres et nouvelles, voire d’armes et explosifs, mais aussi l’écriture et la diffusion d’anciens journaux devenus clandestins ou de nouveaux : J’accuse (MNCR), unzer wort ( journal en yiddish de la MOI), Le médecin français  (FN-communiste), L’insurgé (CAS-sud/ SFIO-CGT), l’hébergement et la cache des enfants juifs, des persécutés, des clandestins. Cela avec le risque assumé d’être arrêtées, en particulier par des polices spécialisées dans la traque des communistes, des Juifs et des résistants, polices et gendarmerie allemandes et françaises, comme les Brigades spéciales de la Préfecture de Police, le SIPO-SD ou la Feldgendarmerie. Et d’être torturées et déportées. Le livre cite aussi France Bloch-Sérazin, arrêtée en 1942, guillotinée à Hambourg, en 1943 (page 87).

Ce livre, diffusé à plus de 400 exemplaires, témoigne de l’intérêt constant, et renouvelé, de Chantal Dossin pour l’histoire de ces neuf femmes juives et résistantes, comme de son empathie pour leur destin courageux et tragique.
Six de ces femmes sont mortes des suites de leur déportation à Auschwitz-Birkenau : Suzanne Lévy-Buisson, Lina et Renée Ganon, Ginette Salomon, Eva Cahen et Itta Léwitz ; Jeanne Oguse-Arager a perdu son mari résistant et Germaine Bach, son père, fusillé comme otage.

Marie-Paule Hervieu, mai 2018

Le 30 juin 1944, convoi 76, Drancy-Auschwitz, 1100, assassinés 479, entrés dans le camp : 398 hommes et 223 femmes, 167 survivants en 1945 dont 100 femmes.

Chantal DOSSIN et Jeanine THOMAS, L’avant-dernier convoi Drancy-Auschwitz. Le convoi 76 du 30 juin 1944. Paroles de témoins et documents d’archives, avec de très nombreux graphiques, tableaux, cartes et plans, photographies, présentant 80 documents d’archives et 28 encadrés explicatifs permettant de resituer l’histoire particulière de ce convoi dans l’histoire générale ; édition Cercle d’étude, Paris, Petit Cahier, 2e Série, N°12, novembre 2010, 248 p.
Le convoi 76 du 30 juin 1944. Paroles de témoins et documents d’archives

Forces de répression françaises et allemandes en France occupée. 1940-1944. Conférence de Jean-Marc Berlière sur "Les polices françaises sous l’Occupation", témoignages d’Esther Sénot et de Raphaël Esrail, conférence de Laurent Thiery sur "Les responsabilités du commandement militaire allemand de Lille dans les déportations depuis le Nord de la France", témoignages de F.-R. Cristiani-Fassin Lili Rosenberg- Leignel. Articles de F. Bottois, M. Braunschweig, G. Célerse, J. Duhem, M-P. Hervieu, C. Monjanel, édition Cercle d’étude, Paris, PC, 3e Série N°26, 2018.
Les polices françaises sous l’occupation, Jean-Marc Berlière
Les responsabilités du commandement militaire allemand dans les déportations depuis le Nord de la France