Bernard Charon, Tréportais habitant Jumièges (76), ancien directeur d’école, membre du Cercle d’étude, a publié récemment un livre Rachel Salmona, une histoire juive. Antisémitisme, persécutions et extermination, Éditions du Scorpion brun, 2018. Il reprend d’abord dans ses trois premiers chapitres, l’histoire de l’antisémitisme, en France comme en Allemagne, puis traite de « Pétain, Vichy et les Juifs », et dans les 6e et 7e chapitres, des arrestations suivies de déportation dans des camps relevant de « l’industrie de la mort ». Il cite le livre de notre amie, Françoise Bottois : De Rouen à Auschwitz-les Juifs du « Grand Rouen » et la Shoah-9 juin 1940-30 août 1944 publié par les Éditions Ovadia, en 2015.
Depuis 1988, un collège du Tréport porte le nom de Rachel Salmona.
Les chapitres centraux permettent de retracer l’histoire de la petite Rachel-Elise Salmona, née à Paris le 5 novembre 1933, de nationalité française, mais d’origine turque par ses parents nés dans la Turquie de l’empire ottoman, immigrés en France juste après la fin de la guerre de 1914-1918, avec leurs propres parents. Elle est la fille aînée de Vitali Salmona, ferblantier, né en 1905 marié à Victoria, lingère, née Mitrani, le 14 octobre 1913 à Constantinople. Elle a une petite sœur, Colette, née le 23 novembre 1940, elle aussi de nationalité française mais de parents étrangers. Après avoir vécu et travaillé à Paris, les Salmona habitent le Tréport, en Seine inférieure, 14 rue Alexandre Papin.
Vitali, commerçant en outillage industriel, 9 rue Buffault (9e) a fait faillite, du fait de la crise, en 1934. Il est ensuite commerçant en bonneterie, victime des mesures d’aryanisation/spoliation du régime de Vichy, et en 1941, il est à Paris, 81 rue St Maur, dans le 11e arrondissement, essayant de régler ses affaires, quand il est un des 27 Turcs arrêtés dans la rafle dite du 11e, le 20 août 1941, interné à Drancy, déporté à Auschwitz, par le convoi N°3, du 22 juin 1942, il y est déclaré mort le 15 août, il a 37 ans.
Sa femme, Victoria, laissée seule et sans ressources, interdite de travail salarié et ne pouvant ouvrir un commerce, doit se faire marchande foraine, parce qu’elle a en charge, outre ses deux petites filles de 8 ans et 11 mois, sa mère Calo Léon Mitrani, infirme, âgée de 68 ans en 1941. Elle demande des secours (une allocation ou l’autorisation d’exercer un commerce sédentaire) par lettres au Préfet régional (16 février 1942), puis au sous-préfet de Dieppe (5 mai 1942), avec le soutien écrit du maire du Tréport, Léopold Testu, qui se porte garant d’une « conduite parfaite et méritant qu’on lui vienne en aide ». Rien n’y fait, le mandat arrivera après la déportation, fin janvier 1943.
Consciente du danger menaçant sa famille, avec l’obligation annoncée du port de l’étoile jaune, elle fait baptiser ses deux filles par le curé du Tréport, le chanoine Foliot, le 9 juin 1942 (dernière photo de Victoria et Rachel sans étoiles) et obtient des certificats de baptême. La famille Salmona, respectant le couvre feu fixé pour les Juifs à 20 heures, est cependant contrôlée, à la même heure, le 7 novembre 1942 (rapport du commissaire de police).
La répression antijuive s’étend en 1943, avec la nomination du nouveau préfet régional, très antisémite, André Parmentier, doublé de son directeur de cabinet, Jean Spach, lui aussi fonctionnaire zélé, et les demandes, ou plutôt les ordres des Autorités allemandes dépendant du service antijuif de la Gestapo, de faire du département de Seine- inférieure un territoire judenrein (« vidé » de ses Juifs), quels que soient leur âge, leur nationalité, leur sexe, leur religion, leur état de santé.
C’est la grande rafle des 16 et 17 janvier 1943 [1], au cours de laquelle sont arrêtées 130 personnes dans le Grand Rouen, opération résultant des collaborations des polices et gendarmeries françaises et allemandes.
Le samedi 16 janvier 1943, alors qu’elle se trouve dans la classe de son institutrice, Mme Graville, la petite Rachel Salmona, 9 ans est arrêtée, soit par des gendarmes de la brigade d’Eu, soit par un brigadier de police du Tréport (les témoignages de ses camarades de classe divergent, et le rapport de gendarmerie du 19 janvier n’est pas explicite sur les intervenants et le lieu). Son arrestation est suivie à leur domicile, de celles de sa grand-mère, de sa mère et de sa petite sœur. Des scellés sont apposés sur leur maison. Elles sont conduites à la gendarmerie d’Eu, à la Maison d’arrêt de Dieppe, puis à Rouen, au centre d’accueil (sic) de la rue Poisson. Escortées par des gendarmes français et allemands, le lendemain matin, elles prennent le premier train pour Paris, à 5 H 45 et sont internées à Drancy, puis déportées à Auschwitz-Birkenau, par le convoi N°47 du 11 février 1943.
Arrivées le 13 février, Calo Mitrani, âgée de 70 ans, sa fille Victoria Salmona, 28 ans, portant dans ses bras sa petite fille Colette âgée de 2 ans, et son autre petite fille Rachel, 9 ans, sont déclarées officiellement mortes le 16 février 1943.
Leurs arrestations et leurs disparitions aux dires du maire, dans une lettre au sous-préfet de Dieppe, en date du 20 janvier 1943, ont produit une vive émotion dans la population tréportaise. Depuis le 9 décembre 1988, à l’initiative du maire Jean Garraud, un collège du Tréport porte le nom de Rachel Salmona, « une petite fille brune, très gaie ». Il y a deux survivants des 130 Juifs (dont 35 enfants de moins de 16 ans), arrêtés dans l’agglomération rouennaise, et 58 Juifs arrêtés dans le reste du département, en janvier 1943, et déportés dans les centres de mises à mort : Georges Erdelyi et Denise Holstein [2].
Marie-Paule Hervieu, décembre 2019
De Rouen à Auschwitz. Les Juifs du « Grand Rouen » et la Shoah
Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz, Denise Holstein
Bernard CHARON, Rachel Salmona, Une histoire juive, Antisémitisme, Persécutions, Extermination, Éditions du Scorpion brun, 2018, 140 p.
https://bernardcharon.fr/2018/06/25/rachel-salmona-une-histoire-juive/
Livre écrit par la cousine de Rachel :
Claude MITRANI ECHAUBARD, Rachel Salmona-convoi 47, Éditions Bertout, 2004.
Denise HOLSTEIN, Le manuscrit de Cayeux-sur-Mer, juillet - août 1945, Rouen - Drancy - Louveciennes -Birkenau - Bergen-Belsen, Entretiens avec Raymond RIQUIER, étude historique de Françoise BOTTOIS, Éditions Le Manuscrit, 2008, 233 p.
Françoise BOTTOIS, De Rouen à Auschwitz. Les Juifs du « Grand Rouen » et la Shoah, 9 juin 1940 - 30 août 1944, Nice, Ovadia, 2015
Renée POZNANSKI, Être juif en France pendant la Seconde guerre mondiale, Paris, Hachette référence, 1994, 859 p.
Yves LECOUTURIER, La Shoah en Normandie : 1940-1944, Editions Cheminements.
[1] « Je suis arrêtée à Rouen, le 15 janvier 1943, avec mes parents, lors de la rafle de tous les Juifs de la ville et des environs, français et étrangers ;… tous sont arrêtés par la police française, la nuit, après le couvre-feu, conduits le lendemain par le train à Drancy et déportés ensuite à des dates différentes. » Denise Holstein
https://www.cercleshoah.org/spip.php?article293
Cf. De Rouen à Auschwitz. Les Juifs du « Grand Rouen » et la Shoah de Françoise Bottois
https://www.cercleshoah.org/spip.php?article452
[2] Cf. le témoignage de Denise Holstein, Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz
http://www.cercleshoah.org/spip.php?article118
Le manuscrit de Cayeux-sur-Mer juillet-août 1945
http://www.cercleshoah.org/spip.php?article96