Yizkor, Une famille juive en France entre 1940 et 1944, de Franck Fajnkuchen
Cet ouvrage n’est pas le fruit du travail d’un historien mais d’un homme (ancien chef de clinique à la faculté de médecine de Paris) qui se lance dans une recherche mémorielle sur l’histoire de son grand-père, Manek (Mendel) Fajnkuchen (1908 – 1944) mort en déportation à Auschwitz. Yizkor en hébreu signifie « Souviens-toi ».
Et, tirant le fil de son histoire, il l’élargit progressivement à celle de toute la famille au sens très large, qu’il appelle « la tribu » composée principalement de 4 branches (les Fajnkuchen, les Timberg, les Biezunski, les Dembiski), soit 52 personnes, toutes originaires de Pologne et installées avant la guerre dans le Nord et le Pas-de Calais, à Lens principalement et, pour quelques-uns, en Belgique.
Il commence par rappeler l’origine de la plupart des membres de cette « tribu ». Rien d’original, c’est un rappel de la situation des Juifs de Pologne qui fuient l’antisémitisme et la misère. Dans les années 1920-1930, beaucoup de jeunes Juifs polonais émigrent dans le Nord de la France et en Belgique, principalement dans la région de Lens, le pays minier où la présence de nombreux mineurs catholiques polonais facilite, pour des raisons linguistiques, l’insertion de ces Juifs, tailleurs de profession et bientôt petits commerçants, souvent en confection.
Avec la guerre, l’auteur mêle ce qu’il connaît de l’histoire de sa « tribu », grâce aux récits familiaux, et l’histoire générale des Juifs sous l’occupation ; l’histoire familiale illustre ce que l’on sait déjà, mais la complète aussi car chacun a connu une histoire particulière permettant de mieux appréhender l’histoire générale. L’auteur s’attarde particulièrement sur les liens de sa famille avec la Dordogne où une grande partie s’était installée dans différentes localités.
Il revient aussi sur « ceux qui sont restés », c’est-à-dire « restés à Lens » où ils furent victimes de la terrible rafle de la région du Nord, la rafle du 11 septembre 1942, où fut prise la famille Filosof, la sœur de Manek Fajnkuchen, son mari, ses trois enfants de 11, 7 et 4 ans, et une nièce de 17 ans, déportés depuis la Belgique le 15 septembre et morts à Auschwitz.
Et puis, surtout, il suit l’histoire de son grand-père et cherche à résoudre le mystère qui entoure sa déportation tardive de Lyon. Mystère car, s’il est avéré qu’il a été arrêté le 17 juillet 1944 à Lyon et interné à Montluc, on ne trouve aucune trace de lui dans le dernier convoi de déportation parti de Drancy à Auschwitz, le convoi 77. Les recherches sur une éventuelle exécution à Lyon ne donnent rien, par contre un témoin a confirmé l’avoir vu à Monowitz. La dernière hypothèse, la plus vraisemblable, est donc celle du départ dans le transport exceptionnel connu sous le nom de « convoi 78 », parti de Lyon » le 11 août 1944, qui, en raison des bombardements, n’a pu rejoindre Paris, a atteint Vittel en cinq jours et Auschwitz en onze, soit le 22 août. (Ce convoi fut l’un des faits retenus contre Barbie lors de son procès. Cela rappelle aussi l’angoisse des rares rescapés des deux rafles de juifs polonais au camp de Vittel quand il est apparu qu’un nouveau convoi stationnait dans la gare.)
Au total 12 membres de sa famille ont été déportés et sont morts dans les camps d’Auschwitz et Sobibor. La plupart des autres membres de la famille, se sont réinstallés dans la région de Lens après la guerre, ville où est né l’auteur, Franck Fajnkuchen, en 1969.
Pour écrire ce livre de mémoire, l’auteur s’est fait peu à peu historien, enquêteur, il a réalisé des recherches approfondies qui s’appuient sur des archives. Et cela avec l’aide d’historiens reconnus comme Nicolas Mariot et Claire Zalc, auteurs de Face à la persécution, 991 Juifs dans la guerre, spécialistes de l’histoire des Juifs de Lens, livre dans lequel on suit l’histoire de quelques-uns des proches de l’auteur, l’aide d’historiens locaux pour l’installation d’une grande partie de la famille en Dordogne pendant la guerre (Bernard Reviriego, auteur des Juifs en Dordogne) et Lyon (Régis Le Mer et Jean-Sébastien Chorin), sans oublier, au mémorial de la Shoah, l’aide de Karen Taïeb et Tal Bruttman, ce dernier étant spécialiste de l’histoire de la déportation des Juifs de Lyon, et également celle de Serge Klarsfeld.
Ce livre apparaît donc complémentaire d’autres ouvrages comme celui indiqué ci-dessus de Nicolas Mariot et Claire Zalc ou Être Juif dans le Nord-Pas-de-Calais, de Danielle Delmaire, Monique Heddebaut (et autres), dont le compte rendu de lecture est paru sur le site du Cercle d’étude le 22 décembre dernier. Il faut aussi signaler la réalisation avec des lycéens et collégiens, d’un film sur les lieux de mémoire* dans le Nord et le Pas-de-Calais dans lequel apparaît la plaque du lycée Condorcet de Lens avec les noms des enfants juifs morts en déportation dont ceux des trois enfants Filosof qui n’eurent pas la chance de faire partie des enfants sauvés en gare de Lille-Fives par les cheminots lors de la rafle du 11 septembre 1942 : voir l’ouvrage de l’historien Grégory Célerse, Sauvons les enfants, devenu documentaire en 2021.
Ce nouvel ouvrage de mémoire et d’histoire s’ajoute et complète la connaissance que l’on a de la survie et de la mort des Juifs de France de 1940 à 1945.
FAJNKUCHEN Franck, Yizkor, Une famille juive en France entre 1940 et 1944, Éditions Secrets de Pays, 2021, 182 pages, collection Histoire et Mémoires) Avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Préface Elisabeth Badinter, Postface Bernard Reviriego.
*Cf. : Film réalisé par des collégiens de l’académie du Nord sur 7 lieux de mémoire de la résistance et de la déportation, dans leur région :
https://vimeo.com/783575033
Maryvonne Braunschweig
