Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

L’Institutrice des enfants d’Izieu, Gabrielle Perrier, de Dominique Missika

par Marie Paule Hervieu
samedi 20 avril 2024

Izieu, 6 avril 1944. Quarante-quatre enfants âgés de 5 à 17 ans et leurs sept moniteurs sont emmenés par des soldats allemands, sur ordre de Klaus Barbie.

L’institutrice des enfants d’Izieu, Gabrielle Perrier.

L’histoire des enfants d’Izieu et de leur institutrice publique, laïque, a été écrite par Dominique Missika. Ce livre de 227 pages ( [1] d’une des membres du Conseil d’administration de la Maison d’Izieu-Mémorial des enfants juifs exterminés, a été republié en Poche, collection Points, en janvier 2023. Remarquablement documenté, il retrace la biographie de l’institutrice et des enfants raflés le 6 avril 1944, dans une Maison de l’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants) située dans le département de l’Ain. Structuré chronologiquement, il reconstruit l’histoire de l’institutrice de son entrée en fonction, en octobre 1943, jusqu’à sa mort en 2009.

 La jeune institutrice remplaçante
Gabrielle Perrier est née le 17 mai 1922, elle a donc 21 ans en octobre 1943. Jusqu’alors, elle habitait chez ses parents avec ses frère et sœur, Robert et Marie, dans une ferme située à Colomieu (Ain), dans la région montagneuse du Bugey. Son père, Louis, était fermier et sa mère Antonia, institutrice à l’école communale. Elle est alors institutrice remplaçante depuis 1941 (7 remplacements en 2 ans) et est affectée par M. Gonnet, inspecteur d’académie en charge de l’enseignement primaire, dans le canton de Belley, comme institutrice intérimaire, dans une classe unique et mixte, située à Izieu. Sa nomination n’a donc rien de clandestin, comme le prouve aussi le tampon dont use Miron Szlatin, le mari de la directrice Sabine Zlatin : « colonie d’enfants réfugiés d’Izieu par Brégnier Cordon », mais la classe reste en marge de l’école du village. Elle prend donc en charge une quarantaine d’enfants juifs venus du département de l’Hérault dans la zone refuge d’occupation militaire italienne jusqu’à sa disparition en septembre 1943, devenue zone sud d’occupation militaire allemande, en lutte armée contre la Résistance intérieure et les maquis. Elle apprendra par recoupements que ces enfants sont soit d’origine étrangère (Belges, Allemands, Autrichiens, Polonais) ou nés en France de parents étrangers. De même que leurs encadrants : les directeurs d’origine polonaise (Mme Sabine Zlatin) et russe (Miron) et les moniteurs, et médecin, de nationalité roumaine ou polonaise (les Reifman, Léa Feldblum).

 Le lieu, la colonie d’Izieu, Maison d’enfants juifs

Maison d’Izieu, ©Peter Mahr
avec l’autorisation du directeur de la Maison d’Izieu-mémorial des enfants juifs exterminés
https://www.cercleshoah.org/spip.php?article669

La Maison [2], ouverte en mai 1943, dite encore Villa Anne-Marie, est isolée du village de Lélinaz, situé en contrebas, à 800 mètres, où la jeune femme doit louer une chambre chez l’habitant, dans un hameau d’où elle doit se rendre chaque jour de la semaine, à vélo à son travail. Cela dit la colonie a été « bien accueillie », lit-on dans un rapport du SSAE (service social officiel d’aide aux émigrants), datant de février 1944. En dépit d’une xénophobie alors dominante, la Municipalité fait preuve de bonne volonté en délivrant des certificats de travail et des pupitres, en prenant en charge les frais d’hospitalisation, à Chambéry, de trois garçons atteints de la gale, et à terme le coût d’hébergement de l’institutrice fonctionnaire. Le sous-préfet de l’Ain, Pierre-André Wiltzer, qui vint en uniforme visiter l’école, l’inspecteur d’académie L. Gonnet et le directeur du collège moderne de Belley, hébergeant quatre garçons, ne cesseront d’user de leur influence pour protéger la Maison et les enfants réfugiés. Des villageois ont aussi un rapport direct et amical aux enfants, comme les voisins immédiats, les fermiers Perticorz, le père Eusèbe, sa femme, leur fils Aimé, marié à Juliette et leurs ouvriers agricoles, dont Julien Favet, tous témoins de la rafle et Mme Héritier, nourrice de la petite Yvette Benguigui, lingère à la colonie d’Yzieu . Le site est devenu un des trois lieux de la mémoire nationale (avec l’ancien Vel’ d’Hiv’ et l’ancien camp d’internement de Gurs) des victimes des persécutions antisémites.

 Les cinq mois d’école (octobre 1943-avril 1944)
Ces cinq mois sont entrecoupés par les jours d’absence, fins de semaine et congés scolaires, ce qui explique l’absence de l’institutrice, le jeudi de la rafle, premier jour des vacances de Pâques. À la rentrée d’octobre 1943, Gabrielle Perrier est accueillie par le Dr Suzanne Reifman, en charge de l’infirmerie depuis que son frère Léon a du fuir, le 21 août 1943, pour échapper aux travaux forcés dans l’organisation TODT en charge de la construction du mur de l’Atlantique. Réfugiée avec ses parents, Juifs d’origine roumaine, sexagénaires et son fils Claude Levan-Reifman, 10 ans, ils seront tous déportés et assassinés. Spontanément, elle sympathise avec Léa Feldblum, immigrée d’origine juive polonaise, dont toute la famille a été exterminée. Les difficultés et les satisfactions sont multiples dans une classe à 5 niveaux, allant du CP au CM2, avec des entrants et des sortants (105 élèves ont été scolarisés un temps plus ou moins long à Izieu), sans registre scolaire (par précaution), outre que ces enfants ont été traumatisés par leur internement en camps et la séparation forcée d’avec leurs parents, internés ou déportés, mais toute l’équipe d’encadrement, de la directrice ancienne infirmière de la Croix rouge et de l’économe, ancien ingénieur agronome, Miron Zlatin jusqu’au personnel, veille à leur bien être en organisant ravitaillement, sorties extérieures (à la cascade de Glandieu) et veillées. L’institutrice déploie tous ses efforts, avec les moyens du bord, sans assez de crayons cahiers et livres, dans le froid de l’hiver continental, pour leur apprendre à lire, parler et écrire le français qui n’est pas toujours leur langue maternelle, les préparer au certificat d’études primaires ou à l’entrée en sixième, et s’attache à eux, à leur gentillesse et au respect qu’ils lui témoignent, tout en étant très réservés sur leur passé, elle ne les oubliera jamais, ayant même une tendresse particulière pour le jeune Barouk-Raoul Bentitou, 12 ans en 1944, qui lui a offert son sifflet pour mettre un terme aux récréations.

 La rafle de 44 enfants et de leurs 7 encadrants, le 6 avril 1944, déportés par 5 convois du 13 avril 1944 ( N°71) au 30 juin 1944 convoi 76 [3] à Auschwitz-Birkenau.

Jusqu’au printemps 1944, il y avait eu des passages en Suisse (Paul Niedermann) ou des sorties organisées (Samuel Pintel retournant vivre à Paris, en janvier 1944) mais l’étau se resserre en cette fin de guerre, du fait de l’engagement de l’Armée allemande et de la Milice française contre toutes les formes de résistance. Gabrielle Perrier apprend qu’il y a des granges brûlées, des personnes fusillés, mais aussi des offensives prématurées de la résistance intérieure, les 200 maquisards défilant le 11 novembre 1943 dans les rues d’Oyonnax (Ain), des déraillements de trains, les combats acharnés sur le plateau des Glières. L’OSE, dans sa branche clandestine, a décidé la fermeture de ses Maisons d’enfants et leur dispersion, Sabine Zlatin est consciente de la menace, et elle est repartie, le 5 avril, dans le département de l’Hérault en quête d’autres lieux de refuge. La Maison est à la merci d’une dénonciation, anonyme ou pas, et des militants locaux de la Milice, couverts par leur chef devenu ministre dans le gouvernement Laval, Joseph Darnand, né à Coligny (Ain), sans compter les officiers de la SS, devenus autorité policière, à la tête de la section IV du Sipo-SD,de la Gestapo à Lyon, ainsi le capitaine SS Klaus Barbie, et son supérieur hiérarchique, Werner Knabb.

Le matin de la rafle sont arrivés à Izieu une quinzaine de soldats allemands en armes, trois hommes en civil et deux en gabardine, accompagnés d’un fermier du cru d’origine mosellane, Lucien Bourdon, après avoir réquisitionné deux camions non bâchés avec moteurs à gazogène, et une voiture, avec l’objectif d’arrêter 45 enfants et 7 adultes juifs pour les conduire à Lyon, et les emprisonner à Montluc, avant de les déporter. Les lieux sont saccagés, pillés par cinq soldats restés sur place pendant trois jours dans la ferme des Perticorz. L‘institutrice prévenue par hasard, alors qu’elle se trouve au marché de Belley, de retour sur les lieux, est abasourdie, sidérée, sa classe est « sans dessus dessous, dans un désordre indescriptible ». Seul  Fraternité, organe du MNCR (Mouvement national contre le racisme) d’obédience communiste, publie un article, dans son édition clandestine de mai 1944, sur « L’arrivée au fort Montluc de quarante enfants [4] enfermés dans un baraquement spécial. Ils ont froid, ils ont faim, ils sont abandonnés. Quarante enfants sont condamnés à mort ». En fait 44 enfants juifsparce que le seul enfant non juif de la colonie, Michel Wulcher, 8 ans, a été relâché. La directrice Sabine Zlatin a été prévenue de la rafle par la secrétaire en chef de la sous-préfecture de Belley, le seul rescapé qui a eu le temps de prendre la fuite est Léon Reifman, hébergé par un dirigeant de la résistance locale, Jean Sarraudie. La maison est vide.

 Après la rafle, l’effroi et l’oubli, les procès et les témoignages  
Des questions restent posées : qui sont les commanditaires de la rafle ? Qui est ou sont le (s) délateur (s) ? L’institutrice, bientôt titularisée a repris son activité professionnelle, elle n’est pas entendue par les gendarmes, l’oubli retombe sur la colonie d’Yzieu, la « Maison dispersée »…Le général de Gaulle, en visite officielle, le 5 novembre 1944, rend hommage aux résistants, aux maquis de l’Ain et du Jura.
Seule la directrice Sabine Zlatin continue le combat pour la reconnaissance du caractère criminel de l’arrestation des enfants juifs. À Nuremberg, Edgar Faure, procureur général adjoint apporte la preuve de la responsabilité de l’État nazi, avec le télex attestant des arrestations massives opérées dans la Maison d’Izieu, un hommage officiel est rendu, à la date anniversaire de la rafle, le 7 avril 1946, par le ministre communiste des prisonniers, déportés et réfugiés, Laurent Casanova et le résistant dirigeant de Témoignage Chrétien le révérend père Chaillet. Un premier procès, le 13 juin 1947, contre Lucien Bourdon, présenté comme interprète, en dépit des accusations portées par les survivants et les témoins, l’acquitte tout en le condamnant à l’indignité nationale à vie. Il faut attendre la fin de la traque de l’ancien criminel nazi, Klaus Barbie, organisée par l’avocat Serge Klarsfeld, sa femme et les Fils et filles des déportés juifs de France pour que son procès soit organisé à Lyon, entre le 11 mai et le 4 juillet 1987 et que les noms, prénoms et histoires familiales des enfants assassinés soient rappelés et le principal responsable d’un crime contre l’humanité condamné à la réclusion perpétuelle jusqu’à sa mort en détention en 1991.

Depuis 1973, Gabrielle Perrier est mariée à Marius Tardy et a pris sa retraite en 1977. Elle témoigne le 27 mai 1987 au procès de Lyon et dans le livre autobiographique écrit par S. Zlatin : Mémoires de La dame d’Izieu, publié en 1992, préfacé par François Mitterrand ; elle restera l’amie de S. Szlatin jusqu’à sa mort en 1996, la rencontrant dans sa maison de Ceyzerieu.

La colonie d’Izieu se transforme en lieu de mémoire nationale, inauguré par le Président Mitterrand, le 29 avril 1994, puis en Mémorial des enfants juifs exterminés, que l’institutrice accompagnera jusqu’à sa mort, en 2009.
Marie-Paule Hervieu, avril 2024.

MISSIKA Dominique, L’Institutrice d’Izieu, Seuil, 2014
 Exposition de quelques dessins des enfants d’Izieu à Bobigny dans la halle aux marchandises de l’ancienne gare de déportation, du 18 juillet 1943 à août 1944.
Mémorial de Bobigny, ancienne gare de déportation, 18/7/1943-Août1944

NIEDERMANN Paul, Un enfant juif, un homme libre, Bibliothèque Lindemann, No. 154
Stadtarchiv Karlsruhe (Hg.), Briefe Gurs (Lettres), Erinnerungen( Mémoires) Paul Niedermann
Sabine Zlatin ou l’impossible oubli, documentaire de Daniel Cling

Apporter une aide aux enfants :
Maurice Capul,« Une maison d’enfants pendant la guerre 1939-1945 : Moissac » Empan, 2005/1 (no57)
https://www.cairn.info/revue-empan-2005-1-page-20.htm

[1voir aussi le Petit Cahier /3e série-N°28 –juin 2020 intitulé « Le Sauvetage des enfants juifs pendant l’Occupation-une forme de résistance civile » et le témoignage de Samuel Pintel  La Mémoire retrouvée d’un enfant réfugié dans la Maison d’Izieu de novembre 1943 à janvier 1944.

[2voir les photos de la Maison d’Izieu et de la salle de classe publiées dans le Petit Cahier pages 32 et 41 ainsi que le descriptif dans le livre de D. Missika, pages 26-272

[3Halaunbrenner Mina et Claudine, 8 et 5 ans, Friedler Lucienne, 5 ans et une monitrice, Mina Friedler
https://www.cercleshoah.org/spip.php?article889

[4« Ces quarante-quatre enfants ont été suppliciés, détruits, uniquement parce qu’ils étaient juifs » Bertrand Poirot-Delpech