Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Pays baltes, pogroms et massacres

Estonie, Lettonie, Lituanie
mercredi 29 novembre 2023

Extermination des juifs dans les Pays baltes par les Einsatzgruppen mais aussi par les populations locales. Des moments terribles.

Trois Pays baltes.
Avant la guerre 350 000 juifs vivaient dans les Pays baltes, dont 240 000 environ en Lituanie.
Les Pays baltes sont occupés par les Soviétiques de 1940 à 1941, puis par les nazis de 1941 à 1944, puis à nouveau par les Soviétiques jusqu’en 1991.

Les massacres à l’Est

  • Occupation allemande

Le Reichskommissariat Ostland regroupe les trois États Baltes l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et une partie de la Biélorussie.

A l’est de l’Europe
carte réalisée par Dennis Nilsson, Wikipedia
Carte de Dennis Nilsson Map of the Holocaust in Reichskommissariat Ostland (Belarus and the Baltic States)

La "Shoah par balles" à l’Est : massacres de masse
De grands massacres sont commis par fusillades par les Einsatzkommandos qui accompagnent la Wehrmacht pour éliminer avec la complicité des populations locales, dans un premier temps, les commissaires politiques « bolcheviks », « francs-tireurs », « saboteurs », les partisans, des civils, des soldats prisonniers de guerre, les Juifs, les Tsiganes, les asociaux, les malades, les handicapés. Le groupe d’intervention dans les Pays Baltes, l’Einsatzgruppe A comprend les Sonderkommandos 1a et 1 b et les Einsatzkommandos EK 2 et 3. Le Einsatzgruppe A est dirigé par Walter Stahlecker. Le EK3 comprend 990 hommes commandés par Karl Jäger. Leurs actions de tueries sont renforcés par les pogroms locaux—spontane Pogrome.
Dès l’entrée en guerre de l’Allemagne, les tueries commencent, avant même la constitution des ghettos.
Les Einsatzgruppen. Procès de Nuremberg contre les Einsatzgruppen

Estonie

Une petite communauté juive de 3000 personnes vivait à Tallin (Reval) sur la Baltique et dans quelques villes, dont Tartu (Dorpat), soit de 4500 à 5000 personnes avant 1939.
1918, l’indépendance de l’Estonie est proclamée.
En 1919, la famille de Boris Vildé [1] s’est réfugiée à Tartu en Estonie.
Les Soviétiques occupent l’Estonie en juin 1940. Des juifs quittent le pays, 3 000 sont évacués vers l’Union soviétique. Le 14 juin 1941 400 juifs "bourgeois" sont déportés dans les camps soviétiques. Avec l’occupation par les troupes allemandes du 22 juin 1941 (opération Barbarossa) de nombreux juifs se réfugient en Union Soviétique.
L’Estonie est rattachée au Reichskommissariat Ostland. Les nazis établissent des ghettos soumis à la faim, aux maladies, aux persécutions.
Les juifs restés en Estonie, un millier, hommes, femmes, enfants, personnes âgées, sont exécutés en 1941 par les Einsatzgruppen et des collaborateurs locaux, dans des fosses. Le pays est déclaré Judenfrei.
Pratiquement tous les juifs estoniens ont été tués en 1941.

En 1942 des juifs sont déportés d’autres régions, de Theresienstadt [2], d’autres d’Allemagne, de Vilnius en 1943 et de Kaunas, et des prisonniers de guerre soviétiques, en Estonie, pour les camps de travail de Klooga [3], Vaivara et Lagedi, sous camp de Vaivara, des exécutions de masse ont lieu.
Miron Zlatin et 2 adolescents d’Izieu sont fusillés à Reval.

Ces camps en 1944, sont évacués devant l’avance soviétique. Les détenus 2 500 Juifs du camp de Klooga ainsi que 73 prisonniers de guerre soviétiques et estoniens . Les survivants sont déportés dans les camps du Stutthof ou d’Auschwitz.

A Kalevi Liivia, dans les dunes de sable, des juifs, des Tsiganes, des prisonniers politiques, des Soviétiques, 6000 juifs et 2000 Tsiganes sont exécutées par l’Einsatzgruppe A et par des collaborateurs estoniens. Aleksander Laak, Ain-Ervin Mere et Ralf Gerrets sont responsables des exécutions. D’autres sont soumis au travail forcé dans le camp de travail Arbeitserziehungslager de Jägala pour des travaux dans la forêt et les champs.
Hans Aumeier, commandant du camp de transit de Vaivara en 1943-1944, est condamné à mort en 1948.
Les nazis ont détruit tous les lieux de culte juif estoniens.

A lire,
Wolfgang BENZ Handbuch des Antisemitismus : Judenfeindschaft in Geschichte und Gegenwart, Volume 1, 2008

Jaan KROSS, Le Vol immobile, Traduit de l’Estonien par Antoine Chalvin, Noir sur blanc, 2006
Des héros anonymes traversent l’histoire de l’Estonie indépendante de l’entre-deux-guerres, l’entrée de l’Armée rouge en juin 1940, l’annexion par l’URSS, l’occupation allemande, et la nouvelle occupation soviétique.

Lettonie

En 1937, 95 000 juifs vivent en Lettonie, 5 % de la population. Début juin 1941, environ 5 000 Juifs sont déportés en Sibérie par les Soviétiques.
Avec l’invasion allemande, les juifs sont regroupés dans des ghettos comme celui de Riga.

Musée du ghetto de Riga

Fin novembre début décembre, le ghetto est vidé de sa population transférée à Rumbula, près de Riga. Les nazis ont rassemblé 25 à 28 000 juifs, les ont obligés à se déshabiller, se placer devant des fosses, où ils ont été abattus par les Einsatzgruppen et des auxiliaires lettons. Les cadavres sont empilés, recouverts de terre.

  • Les massacres de Liepāja (Libau) sont une série d’exécutions de masse, 5000 juifs, communistes, malades mentaux, Tsiganes.
    Liepaja, 15 décembre 1941, gaarde letton, victimes attendant leur exécutionr
    photo sauvée par David Siwzon, parent de Nadine Fresco

    Einsatzgruppen, Liepaja, Latvia, 1941, film pris par un soldat, muet, 1min. 42 : des hommes courent vers une fosse où ils sont abattus
    http://www.ushmm.org/wlc/en/media_fi.php?ModuleId=10005130&MediaId=183
    Des victimes du massacre de Ljepaja perpétré le 15 décembre 1941 ont été retrouvées dans une fosse commune en Lettonie.

Des fusillades éclatent dès que les Allemands pénètrent en Lettonie, ouvertement, même au centre ville dans le parc Rainis où les Soviétiques avaient creusé des tranchées défensives.
Viktors Arājs, un des chefs du massacre.
Le plus grand massacre a lieu du 5 au 17 décembre 1941 dans les dunes proches de Šķēde.
Stahlecker, commandant de l’Einsatzgruppe A.
66 000 juifs en Lettonie sont assassinés.

Derrière la synagogue, juin 2023

Lituanie

Policier lituanien conduisant des juifs
Bundessarchiv

208 000 juifs, en 1941.

  • Vilnius, la Jérusalem du Nord, une forte présence juive, une centaine de synagogues

présence religieuse, culturelle, économique.
Gaon de Vilna — le Génie de Vilna, un grand philosophe, interprète du Talmud

Buste de Gaon

Vilnius en Pologne, est rattachée à la Lituanie le 10 octobre 1939, après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne.
Le 24 juin 1941 les Allemands sont à Vilnius.
Le consul du Japon Chiune Sugihara accorde un visa de transit de dix jours pour le Japon et sauve des milliers de juifs.

Les ghettos sont mis en place.

Grand et petit ghettos à Vilnius
Le petit ghetto aujourd’hui
  • Ghetto de Šiauliai où vivent 8 000 juifs en 1939.

Des juifs ont fui vers l’URSS. Lorsque les Allemands arrivent, ils exécutent les juifs avec leurs alliés locaux, avant même la constitution du ghetto.
Ils doivent creuser leur tombe, dans la forêt de Lieponiai. D’autres sont tués dans la forêt de Gubernija. Le 15 juillet 1944, liquidation du ghetto. Plusieurs milliers de Juifs sont déportés vers le camp de concentration du Stutthof.

Grâce à ma mère, du ghetto de Wilno aux Marches de la mort, Schoschana Rabinovici

  • Le massacre de Ponary

(Paneriai), à 8 km de Vilnius exécution en 1941 de 100 000 personnes, majoritairement juives, par les Einsatzgruppen de l’Einsatzkommando 9 de l’Einsatzgruppe B de Walter Stahlecker, avec l’aide de collaborateurs locaux. Des bataillons de police lituaniens participent aux massacres.
70 000 juifs, hommes, femmes et enfants, sont massacrés aux bords de sept immenses fosses, ainsi que 20 000 Polonais et 10 000 prisonniers soviétiques.
"Aller en forêt" de Podbrozie, Les Yatzkan

  • Rollkommando Hamann, une unité mobile de tueurs, oeuvrant dans les campagnes lituaniennes et estoniennes.
    Du 7 juillet au 2 octobre 1941, ils assassinent 60 000 juifs lituaniens
  • Kaunas

Stahlecker arrive à Kaunas le 15 octobre1941. Des pogroms ont déjà éclaté
comme celui du 27 juin 1941, le massacre du garage à Lietükis où plusieurs douzaines de juifs sont tué.
"Un jeune de 25 ans frappait à coups de bâton sur un vieux. Il y avait environ 15 à 20 morts ou mourants. Un tuyau d’arrosage coulait en permanence et évacuait le sang versé... "
Ensuite, les massacres de juifs et de communistes ont lieu à l’extérieur, dans les forts de Kaunas.
Le 2 août 1941 massacre au fort IV, artistes, ingénieurs, docteurs, professeurs, des juifs et des communistes.
15 août 41, établissement du ghetto de Kaunas. 30 000 juifs sont enfermées.
29 octobre 1941, 10 000 personnes sont sélectionnées pour la mort.

Le 25 novembre 1941, 1.005 juifs et juives de Breslau ont été déportés à Kaunas, avec 1.000 Juifs et Juives de Vienne. Il n’y a pas eu un seul survivant.
Le "relevé général des exécutions effectuées" de décembre 1941 mentionne la mise à mort de 693 Juifs, 1.155 Juives et 152 enfants ("Umsiedler aus Wien u. Breslau").

80 % des juifs de Lituanie sont assassinés de juin à décembre 1941.
Les juifs restant du ghetto travaillent pour l’armée, comme à Lodz, pour l’organisation Todt, certains sont envoyés à Riga pour le travail forcé, d’autres en Estonie.

des mains s’élèvent vers le ciel, monument soviétique près du Fort n°IX, Kaunas

Fort n° IX, usine de mort. Le convoi 73, celui du père et du frère de Simone Veil.
Kaunas, plus de 30 000 exécutés.

Rudolf Loewy né le 3 mars 1893 à Freienwalde sur Oder (Brandebourg), Allemagne, mort le 29 nov. 1941 à Kaunas, Lituanie (fusillé au Fort IX), chanteur (baryton), cantor, professeur de religion, professeur de piano.
Monument soviétique en haut d’une colline.

Karl Jäger, originaire de la Forêt-Noire, en tant que commandant de l’EKK de la police de sécurité (KdS) basée à Kaunas.
Avec 990 hommes, l’EG A était l’unité la plus importante.
Ich kann heute feststellen, dass das Ziel, das Judenproblem für Litauen zu lösen, vom EK. 3 erreicht worden ist. In Litauen gibt es keine Juden mehr, ausser den Arbeitsjuden incl. ihrer Familien

Il n’y a plus de juifs en Lituanie, à part les juifs du travail et leur famille.
Le Livre noir, Ilya Ehrenbourg et Vassili Grosmann, CR
Wolfram WETTE, Karl Jäger. Mörder der litauischen Juden, Vorwort von Ralph Giordano, Frankfurt/M., Fischer Taschenbuch Verlag, 2011, 320 p.

Difficile d’établir le nombre de juifs tués, de 165 000 à 254 000.
94% des juifs lituaniens ont été assassinés. Un record en Europe.
Des Lituaniens ont aussi sauvé des juifs.

Bundeszentrale für politische Bildung :
https://www.buergerundstaat.de/2_3_04/baltische_staaten.htm

SAKOWICZ Kazimierz, Journal de Ponary 1941-1943, Un témoignage oculaire unique sur la destruction des Juifs de Lituanie, notes et traduction du polonais d’Alexandra Laignel-Lavastine, Grasset, 2021. Ce témoignage montre le rôle des collaborateurs locaux, [4], les tueurs sont de jeunes lituaniens, âgés de 17 à 23 ans.

Shmerke KACZERGINSKI né en 1908, envoyé dans le ghetto de Vilna au début de l’année 1942, compose des chansons pour consoler les prisonniers et encourager la résistance.
Undzer Gezang (Notre chant) Pologne 1947, Dos Gezang Fun Vilner Geto, Paris 1947, Lider Fun di Getos un Lagern 1948, New York (Chansons et poèmes).
https://holocaustmusic.ort.org/places/ghettos/vilna/shmerke-kaczerginski/

Tsiganes. Photo Musée des occupations
Juin-Juillet 1941
Pour ceux qui ne reviendrons jamais. Juin 2023

Chant des partisans juifs de Wilno en yiddish, « Zog nit kayn mol az du gayst dem letztm veg » (« Ne dis jamais que tu vas sur ton dernier chemin »).

Avrom SUTZKEVER, Le Ghetto de Wilno, 1941-1944, Préface d’Annette Wieviorka, Traduit du yiddish par Gilles Rozier. Denoël, 2014
"Il y avait plus de 60 000 Juifs à Wilno (Vilnus) à l’arrivée des nazis en 1941. Trois ans plus tard, ils n’étaient plus que 2 000".
"Le 27 février 1945, Avrom Sutzkever témoignait devant le tribunal de Nuremberg des atrocités commises par les nazis dans le ghetto de Wilno."

Dina PORAT, Le Juif qui savait Wilno-Jérusalem : La Figure légendaire d’Abba Kovner(1918-1987), Alexandra Laignel-Lavastine (Traduction), Le Bord de l’eau, 2017

Flashes of Memory. Fotografie im Holocaust

Des photos, exposition à Berlin au Musée de la photographie, du 24. März 2023 au 28. Januar 2024
Flashes of Memory. Fotografie im ­Holocaust. Museum für Fotografie, Berlin,
" ils rassemblent en un puzzle troublant les témoignages visuels habituellement soigneusement séparés, les photos des victimes et des coupables, les regards des meurtriers et des assassinés."

Des photos prises par des Allemands, par des Propagandafotograf, par des juifs des ghettos et par des soldats alliés libérateurs pour éduquer à la démocratie.

- Quelle est la perspective des photos ?
Comment sont-elles documentées ?
Quelle est la force de ces photos ?

Mendel Grossman était le photographe du ghetto de Lodz.
Unsere einziger Weg is Arbeit. Das Getto in Łódź 1940-1944, Frankfurt a. Main 1990

https://phdn.org/histgen/einsatzgruppen-shoah-par-balles/liepaja-skede.html

Les juifs de Lituanie ont été massacrés dans plus de 200 endroits de 1941 à 1944.

Les Juifs ont disparu. Un long chemin de mémoire est encore à parcourir.

Les Tsiganes

Dans les États baltes, environ 5 000 Tsiganes ont été tués. La plupart des Tsiganes d’Estonie ont été exécutés entre 1941 et 1943. L’extermination systématique des Tsiganes, a commencé en décembre 1941 avec l’assassinat d’une centaine de Tsiganes de Libau en Lettonie.
La moitié des 3 800 Tsiganes de Lettonie furent également massacrés, tout comme la presque totalité de la population tsigane de Lituanie.

Nicole Mullier
Photos Ulrich Hermann (sauf indication contraire)

[1Boris Vildé s’installe en France en 1932 après avoir eu un aperçu de nazisme à Berlin. Au musée de l’homme, ilfait partie du groupe de résistance « Comité National de Salut Public » avec Jean Cassou, Germaine Tillion, Pierre Brossolette...

[2"camp modèle", Terezin a servi de camp de transit et de ghetto de travail

[3Camp de concentration de Klooga était un camp de travail nazi situé en Estonie, sous-camp du camp de Vaivara

[4Cf.Tomas Gross, Les Voisins, Fayard, 2002