Ce livre de synthèse est très accessible pour le grand public non spécialisé et des élèves de première ou terminale. Si le livre comporte 366 pages, les notes, index et table des matières en occupent 129 ! D’ailleurs l’auteur précise lui-même : « Le présent essai […] comporte un vaste appareil de notes destiné au lecteur curieux d’approfondir certains points […]. Le lecteur désireux d’aller à l’essentiel peut s’en dispenser. »
« L’objectif de ce livre [est de] proposer une synthèse sur la politique antijuive de Vichy, et ses liens avec le génocide des juifs planifié par le Troisième Reich. (p. 10) »
Il est en cela un manuel très utile d’autant qu’il se lit facilement. Des épisodes sont détaillés grâce à l’utilisation de sources jusqu’à lors peu utilisées telles que des archives administratives, des dossiers de carrière et d’épuration … Des tableaux très explicites sont des outils bienvenus :
– Répartition législative et institutionnelle de la politique antijuive entre les deux zones ; 1940 - 1942
– Estimation des arrestations de juifs à Paris par arrondissement les 16 et 17 juillet 1942 avec le pourcentage d’arrestations par rapport aux 27 391 fiches fournies aux équipes d’arrestation
– Quatre phases de la déportation des juifs en France : époque Dannecker, 27 mars -19 juillet 1942 ; époque Bousquet, 20 juillet -16 septembre 1942 ; époque Röthke, 18 septembre 1942 – 23 juin 1943 ; époque Brunner, 18 juillet 1943 – août 1944
– Déportations de juifs depuis la France, les Pays-Bas et la Belgique
– La ‘’solution finale’’ dans les États fantoches et/ou occupés nés des conquêtes allemandes en Europe
– La ‘’solution finale’’ en France, Roumanie, Bulgarie, Hongrie, République sociale italienne
Ce livre argumente de façon complexe et nuancée quant à la responsabilité des hommes au pouvoir en France entre 1940 et 1944, que ce soit les décideurs ou les fonctionnaires.
À plusieurs reprises il rappelle le fort antisémitisme qui s’exprimait en France avant 1940.
Il présente aussi au fil des pages les différentes protestations, résistances face aux politiques antisémites, aux arrestations et aux déportations des juifs en France.
Laurent Joly développe les aspects factuels (dont la succession des lois, décrets pris par Vichy et ordonnances imposées par les autorités occupantes) et de nombreuses biographies au fil de ses pages. Il fait le point sur sept questions-clés concernant cette période, montrant les tensions au sein du gouvernement de Vichy « combinaison bigarrée de traditionalistes et de politiciens ‘’réalistes’’ ralliés à l’’’ordre nouveau’’ sous la bannière du maréchal Pétain », soulignant les rivalités entre divers acteurs et insistant sur des étapes chronologiques essentielles :
– Vichy 1940, antisémitisme français ou collaboration ?
– 1940 – 1942, deux zones, deux politiques ?
– La grande rafle du Vél’ d’Hiv’, quelle responsabilité de la France ?
– Sacrifier les juifs étrangers pour sauver les français ?
– Que savait-on de la politique d’extermination ?
– Un État criminel ?
– L’épuration a-t-elle ignoré le sort des juifs ?
Dans sa « conclusion », Laurent Joly élabore une très fine comparaison entre la situation des juifs de France et celle des juifs vivant dans divers pays d’Europe et nuance le fait que les juifs en France auraient été mieux protégés que ceux d’autres pays.
Dans ce compte-rendu il est impensable de reprendre toutes les conclusions apportées par l’auteur. Je vais donc choisir quelques éléments particulièrement importants pour des lecteurs non spécialisés.
I. Les ‘’tournants’’ décisifs
– Le printemps 1941 : alors que l’Allemagne semble proche de la victoire, les Vallat, Darlan et autres responsables se réjouissent de pouvoir bientôt « débarrasser la France des juifs ‘’étrangers ». L’occupant fait pression pour que le Commissariat général aux questions juives (crée officiellement le 29 mars 1941) ait les pleins pouvoirs. Les lois de mai et juin 1941 muent le CGQJ en un « véritable ministère » (p. 53 – 54)).
– Les rafles de l’été 1942 ont choqué l’opinion, accru l’impopularité du gouvernement de Laval, provoqué des protestations officielles (p. 121)
– « Apogée de la collaboration policière, le mois de novembre 1942 est aussi celui des […] derniers atouts de l’État français […] Vichy n’a plus de souveraineté politique, plus d’empire, plus d’armée. » (p. 125)
– « En août 1943, Vichy n’a pas cédé à la menace nazie […] le chef d’état [ayant] confirmé le refus de l’État français de livrer les juifs naturalisés depuis 1927. » (p.137) Mais le 25 janvier 1944, le nouveau directeur de la police nationale, Parmentier, « ordonne aux préfets régionaux de zone sud de remettre aux Allemands les listes de juifs (français comme étrangers) qu’ils réclament. » (p. 140)
II. Le statut des juifs
Publié au JO le 18 octobre 1940, conduisant à ce que près de 3000 personnes, pour l’essentiel des militaires et des enseignants, soient licenciés, ce statut ne provoque guère de protestations ce qui rend particulièrement significatives les réserves exprimées par le colonel de La Rocque, le cardinal Baudrillart , Maître Garçon … « Le statut est l’œuvre du gouvernement dans son ensemble, de tous les ‘’hommes du sommet’’ […] La loi d’octobre n’a pas été adoptée sous la contrainte de l’occupant mais en fonction de considérations politiques et diplomatiques propres. » (p. 38-39)
En 1941, pour Laurent Joly « l’activisme législatif du commissariat général aux Questions juives radicalise la politique antisémite de l’Etat français sans pour autant parvenir à la détacher de l’influence allemande. » (p. 60) « Vichy définit sa politique antisémite en ignorant (ou en feignant ignorer) le ‘’but recherché’’ par les nazis. » (p. 69)
III. La grande rafle du Vél’ d’Hiv’
C’est sans doute le chapitre le plus riche en informations peu ou pas connues jusqu’à lors. Laurent Joly brosse un tableau très précis de l’organisation de cette opération : discussions préparatoires entre les cadres de la PP, de la police municipale et les Allemands, établissement des 27 391 fiches d’arrestation, mise en place des 1 600 équipes d’arrestation (‘’tandems’’ composés d’un gardien en tenue et d’un agent en civil ne se connaissant pas), et des 800 agents pour la garde des centres primaires, rédaction des consignes pour les équipes chargées des arrestations. Il présente aussi un bilan détaillé de l’opération, expliquant de façon très subtile les différences de « rendements » selon les arrondissements.
Laurent Joly complète cette analyse avec celle des rafles en province et précise : « En zone occupée, la rafle du Vél’ d’Hiv’ constitue une exception. Il n’y a qu’à Paris qu’aucun Allemand n’est mêlé à l’action […] il n’y a qu’à Paris qu’aucun juif français de plus de 16 ans n’est arrêté. (p. 104) »
L’auteur conclut ce chapitre ainsi : « Au 9 septembre 1942 […] 24 000 juifs ont quitté la France ; près de 9 900 de zone libre, un peu plus de 14 100 de zone occupée. » (p. 108) La haute administration, incarnée par le préfet de police et ses principaux directeurs voit ses cadres négocier à l’été 1942 « les conditions d’arrestation avec les Allemands, prennent des initiatives, agissent en pleine autonomie. En somme, ils partagent la responsabilité des mesures prises. Telle est la conséquence fatale des accords Bousquet-Oberg » (p. 109)
IV. Sacrifier les juifs étrangers pour sauver les juifs français
Laurent Joly explique que cet argument date de Vichy, de ses idéologues et de ses technocrates. Il rappelle que la traque des juifs étrangers représente une « immense transgression, tant vis-à-vis du droit d’asile que des principes moraux et religieux traditionnels. » (p. 114) Il liste les étapes successives de la dénaturalisation collective de juifs.
L’auteur explique ensuite comment après une phase de refus, « en province, Vichy abandonne les juifs français [1]. » (p. 140) même si « à l’approche de la Libération, l’administration française oppose son inertie à l’antisémitisme meurtrier des nazis ». (p. 143)
Il conclut ainsi ce chapitre : « En persécutant dès 1940 les juifs nationaux, […] en ne tenant aucun compte de la nationalité française des enfants d’apatrides visés à l’été 1942, en tolérant d’emblée les violations des accords Bousquet-Oberg, puis en acceptant, à partir de janvier 1944, de rafler des juifs français, Vichy a été loin, en vérité, de mener une politique de sauvegarde ou de ‘’moindre mal’’. » (p. 148)
V. L’épuration a-t-elle ignoré le sort des juifs ?
Si juger les acteurs de la persécution des juifs n’est pas prioritaire au moment de l’épuration de l’immédiat après-guerre, les multiples chefs d’accusation intègrent la participation à cette persécution. (p. 190)
Laurent Joly reprend divers procès de la fin des années 1940 : ceux de Bousquet et Vallat, bien sûr, celui des gendarmes de Drancy, mais aussi ceux de Guillemenot (‘’service juif’’ administratif), Savouré (brigades spéciales d’arrondissement), Laville (brigade Permilleux), Sadosky (le ‘’Rayon juif), c’est-à-dire quatre procès exemplaires touchant des membres des quatre instances antijuives de la Préfecture de police de Paris qui ont été ainsi « condamnées par la cour de justice de la Seine, comme si, symboliquement, un coupable par service avait été désigné … » (p. 197)
L’auteur analyse aussi la situation des vingt commissaires d’arrondissements en poste en juillet 1942. « La plupart de nos commissaires sont révoqués ou mis à pied en 1944. » (p. 203)
« Aucune épuration n’a été faite aussi sévèrement qu’à la préfecture de police avec près de 2 000 agents sanctionnés – soit 10% des effectifs de la ‘’maison’’. » (p. 204) « Il n’en va pas de même, en revanche, pour les bureaucrates de la persécution […] Pratiquement aucun bureaucrate de l’antisémitisme d’État n’a été jugé, malgré de nombreuses plaintes, et peu ont été sanctionnés au titre de l’épuration administrative. » (p 204 et 207)
« Plusieurs centaines de procédures, au total, ont visé les policiers antijuifs, les propagandistes de la haine ou les délateurs de juifs – quelques 150 condamnations par la cour de justice, dont douze peines de mort et une soixantaine de travaux forcés. Les biens juifs ont été restitués, les profiteurs indélicats sanctionnés. » (p. 208)
Dans le tout dernier paragraphe du livre, Laurent Joly écrit : « Au bout du compte, donc, deux cinquièmes des juifs étrangers présents sur le sol français en 1940 ont été déportés. […] La grande majorité des juifs jugés les plus ‘’indésirables’’ par l’État français (les réfugiés des années 1930, ceux expulsés par l’Allemagne en 1940 etc.) ont été livrés aux nazis, au mépris de toute considération humaine. Là réside sans doute le principal crime de Vichy. » (p. 236)
Martine Giboureau janvier 2019
Persécutions et entraides dans la France occupée, Jacques Sémelin
- Les Juifs de la Somme :
Juifs d’Amiens déportés entre 1940 et 1944 :
https://picavenir.courrier-picard.fr/id91788/article/2020-06-13/un-fond-de-30000-documents-sur-les-juifs-pendant-la-guerre-39-45-accessible-aux
http://www.jewsofthesomme.com/exhibit
Répression et déportation en Europe, Espace et histoire, 1939-1945
(recherche et pédagogie) FMD-EHESS, conférence de Laurent Joly
1ere partie : https://www.canal-u.tv/video/ehess/1_politiques_du_reich_repressions_persecutions_et_deportations.47609
épuration ?
Renversement des choses, les résistants sont attaqués. L’ennemi, le communisme.
« Vladimir Jankélévitch, prévoyait aussi que « demain la Résistance devra[it] se justifier pour avoir résisté » ».
Blanchiment.
Par l’épuration, des collaborateurs notoires sont visés, des épurables sont transformés en résistants, « Lacroix-Riz signale n’avoir jamais trouvé « en plusieurs années de dépouillement des fonds de justice, dont l’énorme série BB18, […] de femmes ‟tondues” ou persécutées pour délit sexuel exclusif » ».
tous les dossiers des magistrats qui avaient condamné à mort des résistants furent classés sans suite.
Annie LACROIX-RIZ, La non-épuration en France de 1943 aux années 1950, Armand Colin, 672 p.
Zeev STERNHELL (dir.), L’histoire refoulée. La Rocque, les Croix de feu, et le fascisme français, Cerf, 384 p. sur le mythe français
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/09/15/vichy-guerre-trente-ans-sternhell/
[1] A Rouen et ses banlieues Des juifs français de sexe masculin sont arrêtés par la police française dans la rafle du 6 mai 1942. Dans la rafle d’octobre 1942, des Juifs français : 2 familles avec enfants, des femmes avec leurs enfants, des hommes sont arrêtés par la police française. Dans la rafle du 15 janvier 1943,« le département de la Seine-Inférieure est liquidé de ses Juifs » y compris les juifs français. Le CGQJ et les services de la préfecture régionale font du zèle et font rechercher les juifs qui n’étaient pas à leur domicile ! F. Bottois