Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Danielle Casanova, résistante communiste, convoi du 24 janvier.

Article de Marie Paule Hervieu
mercredi 14 décembre 2016

Danielle Casanova, engagée dans la résistance politique et militaire, communiste, a été déportée par le convoi du 24 janvier 1943, à Birkenau où elle est morte du typhus, le 9 mai 1943.

Danielle Casanova est née le 9 janvier 1909 à Ajaccio. Elle est la troisième enfant d’un couple d’instituteurs républicains et laïques. Elle a changé son nom et son prénom pendant sa période d’études dentaires à Paris, Vincentella Périni, devenant Danielle Casanova, par son mariage, le 12 décembre 1933, avec Laurent Casanova, cadre déjà engagé dans l’organisation communiste.

Fille d’instituteurs corses, originaires du village de Piana, en Corse du Sud, elle restera très fidèle à sa famille, à sa région et à sa culture. Après des études secondaires à Marseille, elle décide, en novembre 1927, de « monter » à Paris pour y faire des études de dentisterie.
Elle adhère en 1927 à l’Union fédérale des étudiants et en 1928 à la Jeunesse communiste, est élue secrétaire de rayon et rencontre Laurent Casanova, étudiant en droit, fils de cheminot.
Plus encore, ayant fait une école centrale du parti communiste, elle devient une dirigeante nationale des jeunes, liée à l’Internationale communiste (KIM). Dans la conjoncture politique de Front populaire et de ralliement des communistes à l’union des gauches et à l’ouverture à de nouvelles catégories : femmes, classes moyennes, elle participe à la création de l’Union des Jeunes Filles de France (UJFF), le 28 mars 1936, à Marseille, et elle en est élue secrétaire générale, le 26 décembre 1936, avec Jeannette Vermeersch-Thorez et Claudine Chomat.

Elle est fortement engagée dans l’aide aux Républicains espagnols (collectes massives de lait pour les enfants de Madrid assiégée). Le parti communiste ayant été interdit le 26 septembre 1939, elle reste un cadre dirigeant, mais clandestin, amie d’intellectuels communistes comme Paul et Henriette Nizan, Georges et Maï Politzer, Pierre Villon et Marie-Claude Vaillant-Couturier, et s’engage à leurs côtés dans les premières actions de résistance (l’Université libre, la Pensée libre).

Reprenant clandestinement des responsabilités politiques adaptées à la nouvelle conjoncture d’occupation militaire, Danielle Casanova organise, à partir de l’été 1940, des comités populaires féminins avec des manifestations de ménagères, des comités d’aide aux femmes de prisonniers de guerre et aux emprisonnés politiques. Son mari, mobilisé jusqu’à 1942, a été fait prisonnier de guerre, il tente plusieurs fois de s’évader et y parvient début mars 1942.

Engagée dans l’organisation de la lutte armée (printemps - été 1942)
Femme d’autorité et d’expérience, Danielle Casanova est chargée par la direction clandestine du parti communiste [1] de renforcer la résistance « militaire » en faisant participer des militants de la Jeunesse communiste à la lutte armée ; ce sera par la création des « Bataillons de la jeunesse » dirigés par un autre évadé, Albert Ouzoulias (« Marc »). Les jeunes résistants sont intégrés au printemps 1942 dans les Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF), devenus, à partir de l’été 1942, le bras armé du Front national pour l’indépendance et la liberté de la France.

Danielle Casanova continue à organiser les femmes avec, par exemple, Josette Cothias pour le Nord, Yvonne Dumont pour la Normandie, et les intellectuels engagés dans la Résistance en zone occupée, comme ses amis Politzer. Ce sont d’ailleurs les dernières personnes qu’elle rencontre avant son arrestation : Josette Cothias, qui sera arrêtée en novembre 1942 et emprisonnée, puis Félix Cadras, secrétaire à l’organisation, près du pont Mirabeau, le 14 février, Georges et Maï Politzer auxquels elle apportait un peu de charbon, à leur domicile, 170 bis rue de Grenelle, eux aussi arrêtés et incarcérés en février 1942.

Arrêtée, emprisonnée et déportée (15 février1942 - 24 janvier 1943)
Danielle Casanova est arrêtée par la première Brigade spéciale de la préfecture de police de Paris (Brigade spéciale N°1) dirigée par le commissaire Fernand David, en collaboration avec la police allemande, au terme d’une longue filature commencée, en janvier 1942, par le repérage d’André Pican, ancien dirigeant régional communiste de Seine-Inférieure et responsable de la diffusion de l’Humanité clandestine. Opération policière de grande envergure qui vise la direction politique nationale du parti communiste et aboutit à près de quatre-vingts arrestations : des cadres politiques comme Arthur Dallidet et Félix Cadras, Georges Dudach, des femmes engagées à plusieurs niveaux de responsabilité : outre Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier, Charlotte Delbo-Dudach, Maï Politzer, et des intellectuels résistants, des membres du Front national universitaire : Jacques Decour, Jacques Solomon – marié à Hélène Langevin, elle aussi arrêtée –, Georges Politzer.

Danielle Casanova a d’abord été « logée » dans son appartement de la rue du Poteau, dans le 18e arrondissement, puis repérée et nommée « Femme Balard 1 » par l’inspecteur des renseignements généraux, après sa rencontre avec Félix Cadras, le 14 février, enfin arrêtée avec les Politzer, par six inspecteurs de police, le 15 février 1942. Les hommes seront emprisonnés, torturés et fusillés au Mont-Valérien, les 23 et 30 mai 1942, les femmes incarcérées puis déportées le 24 janvier 1943.
Danielle Casanova est d’abord acheminée au dépôt de la préfecture de police, jusqu’au 23 mars 1942, puis incarcérée dans la prison de la Santé et mise à l’isolement à trois reprises, après avoir organisé une manifestation contre le régime de famine que subissaient les femmes, soutenant les hommes condamnés à mort. Elles brisent les vitres de leurs cellules pour pouvoir se parler, se donner des nouvelles, chanter La Marseillaise et L’Internationale pour accompagner ceux qui allaient être fusillés. Le 25 août 1942, le groupe des femmes est transféré au fort de Romainville, camp de détenus politiques en attente de déportation. Là, Danielle Casanova reprend contact avec la direction clandestine du PC et l’état-major des FTPF, elle est la rédactrice en chef du Patriote de Romainville.
Dans ses longs mois d’emprisonnement, elle écrit et fait passer clandestinement des lettres à sa mère, via la tante de Victor Michaut, un des dirigeants de la Résistance communiste en zone non occupée, appelée Célestine Garnier...

À la veille de son départ en déportation, elle écrit une dernière lettre de Romainville :

« Demain 5 heures lever, 6 heures fouille, puis départ en Allemagne. Nous sommes 231 femmes, des jeunes, des vieilles, des malades et même des infirmes. La tenue de toutes est magnifique, et notre belle Marseillaise a retenti plus d’une fois. Quel sort nous réservent-ils ?
Nous venons de lire le communiqué. Ils avouent Stalingrad, hier ils avouaient Veliki, demain ils avoueront Rostov. La victoire est en marche. Nous sommes fières d’être Françaises et Communistes. Nous ne baisserons jamais la tête, nous ne vivons que pour la lutte. Je suis heureuse de cette joie que donne la haute conscience de n’avoir jamais failli et de sentir dans mes veines un sang impétueux et jeune... »

La déportation et la mort de Danielle Casanova (24 janvier 1943 - 9 mai 1943)
Danielle Casanova est une personnalité représentative du convoi du 24 janvier 1943, parce qu’elle est une femme très engagée dans la résistance politique et militaire, parce qu’elle est communiste ; elle fait partie des 119 déportées affiliées au PC (sur les 230 immatriculées "31 000") parmi lesquelles 85 sont mortes durant la déportation...

Cadre communiste résistante et arrêtée comme telle, elle le reste dans le camp de Birkenau faisant entonner à ses camarades La Marseillaise, ce qui n’est pas sans produire « un goût (unique) de liberté » chez les internés, comme l’écrivit le médecin tchèque travaillant au Revier, Manca Zvalbova. Mais Danielle Casanova, après avoir été tatouée 31 655, a été repérée comme la dentiste dont les autorités du camp avaient besoin pour l’encadrement, du fait qu’une des dentistes en fonction venait de mourir du typhus. Elle n’a pas été rasée, n’était pas astreinte aux travaux forcés et aux appels, et partageait une chambre avec lits, avec deux assistantes. De cette situation « exceptionnelle », elle tira profit pour ses camarades de déportation, comme l’écrit Charlotte Delbo : « Danielle nous est restée proche », d’autant qu’elle a pris contact avec la résistance clandestine, par exemple la communiste allemande Gerda Schneider, Lagerälteste (détenue, doyenne du camp) ou la doctoresse tchèque.

Marie Claude Vaillant-Couturier raconte au Procès de Nuremberg :

Nous avons appris, par les Juives arrivées de France vers juillet 1944, qu’une grande campagne avait été faite à la radio de Londres où l’on parlait de notre transport, en citant Maï Politzer, Danielle Casanova, Hélène Solomon-Langevin, et moi-même, et à la suite de cela, nous savons que des ordres ont été donnés à Berlin d’effectuer le transport de Françaises dans de meilleures conditions.

Une de ses camarades déportées, Adélaïde Hautval, a témoigné, dans son livre Médecine et crimes contre l’humanité  :

« Après l’appel, je vois Danielle. Elle n’est pas avec nous, ayant tout de suite été placée au Revier où ils ont un besoin urgent d’un chirurgien-dentiste [2]. Je la trouve toute changée, pâle, gonflée et je saurai que toute la nuit elle a pleuré, consciente du sort qui attendait ses camarades. Comment y parer ? Avec une vision claire de l’avenir et des données possibles, elle se fixe tout un programme : leur trouver des “emplois”, voler pour elles des médicaments, détourner des victuailles, prendre sur sa ration propre et surtout leur apporter jour après jour un soutien moral sûr et constant. Jusqu’au bout, Danielle restera fidèle à ce programme – toujours. Et cette fidélité sera la cause de sa mort (typhus) car de nous toutes c’est elle qui se trouvait dans les conditions de vie les plus favorables. »

De fait, Danielle Casanova a aidé Maï Politzer, sage-femme de profession, à être recrutée comme médecin, elle a réussi à en placer une douzaine comme infirmières, d’autres comme couturières, à des postes et dans des camps annexes (Rajsko) moins exposés. Comme le rappelle Charlotte Delbo :
« Souvent le soir, après l’appel, elle vient nous voir au block 26 et distribue à tour de rôle ce qu’elle a pu se procurer par ses relations : du pain, un lainage, quelques cachets de charbon pour les dysentériques, trop peu, mais c’est sans prix ».

Toutes sont persuadées qu’elle reviendra et racontera, mais l’épidémie de typhus exanthématique a raison de son courage et de ses forces, après Maï Politzer, morte le 6 mars, Yvonne Blech, Henriette Schmidt, Raymonde Salez, Rose Blanc, elle meurt au terme d’une semaine de forte fièvre et d’agonie, le 9 mai 1943, elle a 34 ans. La nouvelle de sa mort vécue comme une catastrophe collective est transmise en France par une lettre de Marie-Claude Vaillant-Couturier.
Danielle Casanova est devenue héroïne et martyre.

Marie Paule Hervieu, extrait du PC N° 21, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Déportée à Auschwitz-Birkenau et à Ravensbrück, Témoin au procès de Nuremberg, conférence de D. Durand ; témoignages oraux de M. Cling, R. Créange, M. Martin-Chauffier ; textes de M. Braunschweig, I. Danon, D. Dufourmantelle, M-P. Hervieu ; témoignages écrits de M-J. Chombart de Lauwe, S. Franck-Floersheim, G. de Gaulle-Anthonioz, 2014, 182 p.

Médiagraphie
BERLIÈRE Jean-Marc, LIAIGRE Franck, Les Bataillons de la jeunesse dans la lutte armée, Fayard 2004.
DELBO Charlotte, Le Convoi du 24 janvier, Éditions de Minuit, 1965.
DURAND Pierre, Danielle Casanova, l’indomptable, écrit en1990, Messidor 1991,réédition Le Temps des Cerises, 2008.
DURAND DOMINIQUE, Marie-Claude Vaillant-Couturier, une femme engagée, du PCF au procès de Nuremberg, Biographie, éd. Balland, 2012.
LONDON Lise, La Mégère de la rue Daguerre, Seuil, 1995.
MARCOT François, LEROUX Bruno, LÉVISSE-TOUZÉ Christine (dir.) Dictionnaire historique de la Résistance, « article “Danielle Casanova (1909-1943)” », p. 382-383.
HAUTVAL Adélaïde, Médecine et crimes contre l’humanité, Témoignage, Avant-propos de Claire Ambroselli, présentation et postface d’Anise POSTEL-VINAY, Arles, Éditions Actes Sud, "La Fabrique du corps humain", 1991, 106 p.
GILZMER Melchior, LÉVISSE-TOUZÉ Christine, MARTENS Stefan (dir.), Les Femmes dans la Résistance, Tallandier, 2003.
TÉRY Simone, Du soleil plein le cœur, la vie merveilleuse de Danielle Casanova, 1949.
ZVALBOVA Manca, CASANOVA Danielle (en tchèque), traduit et publié par les Éditions de l’UFF (Union des Femmes Françaises), Danielle Casanova, une vie, un exemple, publication de l’UFF (sans dates).

L’histoire du Convoi du 24 janvier 43-Auschwitz-Birkenau, Peyrottes Claude-Alice et Cheraft Alain, SCEREN / CNDP, 2003, 59 min.
Au nom de tous les autres, Marie Cristiani, 1997
Lettres à Danielle Casanova, Marc Heurtaux, 2007
http://www.cinehistoire.fr/event/daniele-casanova-le-convoi-du-24-janvier-vers-auschwitz/

Marie-Claude Vaillant-Couturier, déportée à Auschwitz et à Ravensbrück
"Charlotte Delbo" de Violaine Gelly, Paul Gradvohl
Charlotte Delbo, résistante, écrivain de la déportation, par Ghislaine Dunant
Adélaïde Hautval par Georges Hauptmann

[1(Jacques Duclos, Benoît Frachon, Charles Tillon)

[2Danièle Casanova était affectée au "bloc" dentaire dans le Block n° 30 in BIa à Birkenau.