Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Les Feld-Ghertman, familles de résistants communistes

jeudi 30 septembre 2021

Les Feld-Ghertman, familles de résistants communistes confrontés à de multiples formes de répression

La famille Feld, les parents et leurs enfants habitaient dans le 10e arrondissement de Paris, 83 rue du Faubourg St Denis, Thérèse et Georges Ghertman, le même arrondissement, 13-15 rue des Petites Ecuries. D’origine juive et polonaise, yiddishophones, les Feld avaient été naturalisés Français par le décret du 15/03/1934 (IIIe République), ils furent dénaturalisés par le régime de Vichy le 17/03/1941. Ils étaient communistes militants et fréquentaient des structures sportives laïques de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du Travail) : le Yask (Yiddishe Arbeter Sporting Klub) et le CPS 10e [1]), c’est là que des couples se rencontrèrent et se formèrent : Maurice Feld et Sylvia Brodfeld, Thérèse Feld et Georges Ghertman. Ce furent aussi des pépinières de résistants.

David Feld le père, tricoteur, fut mobilisé à l’été 39, puis arrêté en mars 1941, pour appartenance au parti communiste dissous. Il fut emprisonné puis interné dans le camp de Choisel, à Chateaubriant (Loire inférieure) du 7 mai 1941 au 20/10/ 1942. Il ne fit pas partie des 27 otages fusillés [2] le 22 octobre 1941, en représailles à l’attentat ayant causé la mort du Feldkommandant de Nantes, K. Hotz, le 20 octobre [3]
(comme Guy Môquet ou Jean-Pierre Timbaud, voir photo).

groupe d’hommes communistes dans le camp de Choisel à Chateaubriant
Debout le 2e à partir de la droite, marqué d’une croix, David Feld, 5e Guy Môquet, 10e JP Timbaud

Il échappa à la politique militaire allemande de 1941 de fusillades d’otages, il fut transféré à Voves (centre de séjour surveillé, camp de concentration ) en Eure et Loir, et déporté de Drancy à Auschwitz, comme Juif, communiste et Résistant, le 04/11 /1942, il avait 45 ans. Cécile Feld, la mère, elle aussi tricoteuse, résistante politique, fut arrêtée en octobre 1941 (arrestations massives de Communistes après les premiers attentats contre l’armée allemande). Emprisonnée dans la caserne des Tourelles, puis hospitalisée à Rothschild, elle fut déportée de Drancy à Auschwitz par le convoi 59 du 02/09/1943. Elle avait 47 ans. Les parents Feld laissaient leurs enfants orphelins.

Les trois enfants Feld : Charles, Thérèse et Maurice, sont tous engagés dans la résistance communiste mais à des degrés divers.

L’aîné, Charles, Salomon né en 1919, a été mobilisé en 1939, il est marié à Nelly Toussenel, elle aussi résistante politique. Anciens des Jeunesses communistes (JC), ils sont partis à Lyon qui devient en 1942 la capitale de la Résistance intérieure et sont engagés dans le Front national pour la Libération et l’indépendance de la France, mouvement clandestin de résistance politique. Charles devient directeur de journaux, imprimeur clandestin d’une presse en yiddish et en français : « Jeune Combat » de l’UJJ (Union de la jeunesse juive) et « Fraternité » du MNCR (Mouvement national contre le racisme ) liés à la MOI : Main d’œuvre immigrée d’appartenance communiste. Ils échappent à la déportation et Charles devient combattant FTP-MOI : Franc-Tireur, Partisan.

un groupe de résistants communistes, été1941
Maurice Feld, Edmonde Chaumeil, Rosette Ghertman, Sylvia Brodfeld,
Thérèse Feld Ghertman, et sa mère Cécile Feld

Thérèse, née en 1923, a épousé en 1940 Georges Ghertman, Juif roumain, né en 1919 , fourreur de son métier et militant communiste, cadre moyen d’après Jean Jérôme. Ce sont des résistants politiques issus des J C. Ils ont eu une petite fille, Gabrielle, née le 09/06/1942. Thérèse est arrêtée et emprisonnée à Fresnes, le 12/03/1943, avec son bébé. Elle a comme amie et camarade de cellule Lise Ricol London, résistante aguerrie, femme d’Artur London, un cadre supérieur du parti communiste clandestin. Celle-ci est jugée et condamnée aux travaux forcés à perpétuité, le 16 juillet 1943, par le tribunal d’Etat une juridiction d’exception créée par le gouvernement de Vichy. Les deux femmes sont enfermées dans le quartier dit des nourrices, ayant l’une et l’autre, avec elle, un enfant de moins de 4 ans. La petite Gabrielle meurt le 10/05/1943 [4] d’une broncho-pneumonie, suite à une rougeole, elle a 11 mois et est enterrée dans le cimetière de la prison. Sa mère restée emprisonnée à Fresnes jusqu’au 15/03/1944, est alors tranférée dans la Maison centrale de Caen (Calvados) puis libérée. Son père alors qu’il est arrêté dans une affaire interne à la Résistance, le 24/06/1942, n’est pas reconnu comme tel. Jugé et condamné par une juridiction française comme droit commun, il est emprisonné à la Santé, jusqu’en mai 1944, transféré dans la prison des Hauts Clos (Aube) puis libéré.

Le plus jeune des fils Feld, Maurice [5], né le 27/06/1924, est un jeune apprenti mécanicien travaillant chez Renault. Lui aussi adhérent des Jeunesses communistes, arrêté comme tel en octobre 1941, emprisonné, interné puis libéré, il s’est engagé très tôt , en novembre 1941 dans la Résistance armée, devenant membre de l’OS (organisation spéciale) unifiée, dans les Bataillons de la jeunesse, puis il est devenu combattant dans les FTP-MOI : Francs tireurs et partisans-main d’œuvre immigrée, dès leur création en avril 1942. Il est intégré à un groupe de trois, dont le chef est son ami et camarade Maurice Feferman, avec Isidore Grinberg. Ils sont les auteurs de deux attentats visant des membres de l’armée allemande : le 2 décembre 1941, Bd Magenta (10e) contre le médecin Joseph Kerscher, qui est blessé par balles, et le 9 mai 1942, dans une action contre un hôtel réservé à la Wehrmacht, square Montholon, dans le 9e . Au terme d’une bataille rangée avec des policiers de la BS2 (Brigade spéciale « antiterroriste » ) Renseignements généraux de la Préfecture de police de Pais, le 9 mai 1942, il est blessé, arrêté par l’inspecteur Barrachin, sans doute torturé, hospitalisé à l’Hôtel Dieu, puis emprisonné à la Santé, jugé et condamné à mort par le tribunal militaire allemand dépendant du commandant du Grand Paris, siégeant rue Boissy d’Anglas. Il est fusillé le 22 août 1942, au stand de tir de Balard (Paris 15e), il a 17 ans. Sa camarade et son amie, Sylvia Brodfeld, 2 rue Oberkampf (11e) est arrêtée et déportée à Auschwitz-Birkenau. Sa tante Rosette Ghertman a été déportée à Ravensbrück.

Marie -Paule Hervieu-septembre 2021

Photos transmises à l’AMEJD 11e par Alain Ghertman, peintre et dessinateur de presse, fils de Georges et Thérèse Ghertman, né en 1946.

[1CPS X club populaire sportif du X e :
http://www.cps10.fr/wp-content/uploads/2015/06/CPS10-H80.pdf

[2Voir le livre de l’historien Jean-Marc Berlière, Le sang des communistes-Les Bataillons de la jeunesse dans la lutte armée-Automne 1941, Fayard, 2004 et celui de Franck Liaigre, Les FTP- Nouvelle histoire d’une Résistance, Perrin, 2015.

[3Le gouvernement de Vichy livre à l’occupant allemand 48 otages, essentiellement des syndicalistes et des communistes.
https://www.humanite.fr/resistance-les-fusilles-de-chateaubriant-epris-de-liberte-618486

[4Voir le livre de Lise Ricol, La Mégère de la rue Daguerre -Souvenirs de Résistance, Seuil, 1995 et son témoignage « La bouleversante histoire de Thérèse Feld-Ghertman » dans la Lettre des Résistants et déportés juifs-O1/09/1999.

[5Voir le Maitron des fusillés-article de Jean-Pierre Besse. https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article23891