Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

"L’Affaire d’Ascq". Les « rebondissements judiciaires » depuis 2013

par Jacqueline Duhem
samedi 7 avril 2018

Des représailles collectives : des SS du bataillon blindé de reconnaissance de la 12e SS-Panzer-Division « Hitlerjugend » massacrent des civils. Bilan : 86 morts, 11 blessés dont certains impotents, 75 veuves et 127 orphelins.

Les « rebondissements judiciaires » de l’"Affaire d’Ascq" depuis 2013

Un arrière-petit-fils du plus âgé des massacrés, Pierre Briet 74 ans, suite à un article en ligne du Figaro de juillet 2013, s’est adressé à l’Office central d’enquête de Ludwigsburg, créé en 1958, dans le Land de Bade-Wurtenberg, pour traquer les criminels de guerre nazis, afin de lancer une procédure en Allemagne contre d’anciens Waffen-SS du convoi d’Ascq.
En effet, dans cet article, il était précisé qu’en Allemagne, depuis 1979, il n’existe pas de prescription pour les crimes de guerre et complicité de crimes de guerre. Le procureur Andréas Brendel du parquet de Dortmund, compétent en matière de crimes de guerre nazis, est ainsi saisi de l’affaire ce qui permet l’envoi d’enquêteurs allemands en 2014 à Villeneuve d’Ascq sur les lieux du massacre.
En janvier 2016, un communiqué de presse du procureur annonce la perquisitions faite chez trois ex-SS de la 12e division Hitlerjugend, âgés de plus de 90 ans, ce qui provoque une seconde enquête à Villeneuve d’Ascq en mars 2016.

Cependant, il faut attendre octobre 2017 pour assister à un nouveau rebondissement : on apprend que le procureur de Dortmund a transmis le dossier d’un des trois perquisitionnés au procureur de Celle en Basse-Saxe : il s’agit de Karl Münter, 94 ans, ancien artisan peintre, habitant Nordstemmen qui a reconnu avoir fait partie d’un commando mais dit ne pas avoir tiré...

Aussitôt, dans l’espoir d’un futur procès, les avocats allemands, qui ont défendu les parties civiles lors du procès d’un ancien comptable d’Auschwitz et de celui d’un ancien gardien de Sobibor, prennent contact avec les familles des victimes. Seuls les enfants de massacrés peuvent se constituer partie civile, ce que vont faire treize d’entre eux.
Mais, comme Karl Münter a été condamné à mort par contumace lors du procès qui s’est tenu à Lille en août 1949, la justice allemande décide de demander son avis à la justice française : Est-il possible de rejuger un individu pour les mêmes faits ?
Le 13 mars 2018, la Cour d’appel de Paris rend un avis négatif se fondant sur l’article 54 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen, signée de 1990, complété par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de décembre 2008. Suivant cet article, une personne ayant été jugée dans un des pays membres ne peut être rejugée dans un autre pays membre même si la condamnation a été rendue par contumace…
Quinze jours plus tard, le procureur de Basse Saxe décide de suivre l’avis de la justice française, abandonnant toute poursuite contre Karl Münter et provoquant ainsi beaucoup de tristesse et amertume parmi les familles des massacrés.
Jacqueline Duhem

de Gaulle à Ascq
Le carré des massacrés.
Le massacre d’Ascq
Ascq 1944. Un massacre dans le Nord. Une affaire franco-allemande
Crimes et criminels de guerre allemands dans le Nord-Pas-de-Calais de Jacqueline Duhem

DUHEM Jacqueline, ASCQ 1944. Un massacre dans le Nord. Une affaire franco-allemande, éd. "Les Lumières de Lille", 2014, 272 pages illustrées.
http://www.lavoixdunord.fr/249551/article/2017-10-20/suites-du-massacre-d-ascq-l-historienne-jacqueline-duhem-stupefaite

Je ne regrette rien

interview ARD, 29 novembre 2018
En Allemagne, Karl Münter, ancien bourreau nazi du massacre d’Ascq, ne regrette rien, ARD, 29 novembre 2018, Ohne Strafe, Ohne Reue, sans peine, sans remords : lui n’a pas été amnistié, condamné par contumace en 1949 en France, il ne peut être jugé pour la même affaire en Allemagne. La journaliste conclue son reportage : "Les lois qu’il méprise sont celles qui le protègent".

Le parquet d’Hildesheim en Basse-Saxe a décidé le mercredi 24 juillet 2019 de reprendre des poursuites contre Karl Münter, 96 ans, à la suite de ses propos tenus à la télévision allemande,pour incitation à la haine raciale et à la mémoire des morts.
Si un procès a lieu, Karl Münter risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.