Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Le massacre d’Ascq

par Jacqueline Duhem
jeudi 10 mars 2011

Dans la nuit du 1er au 2 avril 1944, des SS qui se trouvent dans un convoi à destination de la Normandie, massacrent 86 civils de la commune d’Ascq, dans le Nord de la France
Voir l’Interview mit NS-Verbrecher : "Ich bereue nichts !" Je ne regrette rien, dit le criminel nazi. ARD, 29 novembre 2018
http://mediathek.daserste.de/Panorama/Interview-mit-NS-Verbrecher-Ich-bereue/Video?bcastId=310918&documentId=58197594. Le procès n’aura pas lieu, Karl Münter est décédé en septembre 2019

Histoire et mémoire

Les civils face à la terreur nazie : l’exemple du massacre d’Ascq  [1]

Ascq 1944. Un massacre dans le Nord. Une affaire franco-allemande

Dans la nuit du 1er au 2 avril 1944, les SS du bataillon blindé de reconnaissance de la 12e SS-Panzer-Division « Hitlerjugend » qui se trouvent dans un convoi en provenance de Bruxelles à destination de la Normandie, massacrent 86 civils de la commune d’Ascq, petite commune de 3 500 habitants située à sept kilomètres à l’est de Lille. Ce massacre intervient à la suite d’un acte de sabotage sur la voie ferrée, perpétré par des cheminots- résistants du « groupe d’Ascq », réseau Voix du Nord, sabotage qui visait en réalité un train de marchandises. En effet, ce type de sabotages ciblés est effectué pour éviter trop de bombardements alliés qui visent les grands axes ferroviaires et les gares de triage ce qui, début avril 1944, a déjà provoqué de nombreux morts dans la population du Nord-Pas de Calais (rappelons que le Nord pas de Calais a subi environ la moitié des bombardements alliés effectués sur l’ensemble du territoire national pendant l’ensemble de la guerre…).

Le premier convoi de la « Hitlerjugend » [2], dont les plus jeunes soldats se sont engagés à l’âge de dix-sept ans voire même de seize ans et demi, s’est intercalé entre l’express Bruxelles-Lille et le train de marchandises, ce que ne pouvait pas savoir le groupe de résistants. Les explosifs posés sur l’aiguillage, près du passage à niveau, ne font que légèrement dérailler la locomotive et les deux premiers wagons seulement chargés de matériel militaire. Aucun blessé n’est à déplorer parmi les SS…

Cependant la population de ce petit bourg, jusque-là sans histoire, se trouve brutalement confrontée à la guerre totale menée par les nazis : la rafle commence à 23 h 15 et va durer pendant deux heures : sur les ordres du chef de convoi, le lieutenant Walter Hauck qui applique les ordres de représailles collectives donnés par le commandant de la division, quatre commandos sillonnent les rues de part et d’autre du passage à niveau, défoncent les portes, emmènent, dans un premier temps, des hommes et des femmes de tout âge.

Des hommes sont amenés et exécutés à un endroit précis en trois pelotons successifs, d’autres fusillés sur place, d’autres abattus en tentant de fuir, ou battus à mort. Soixante-dix sept hommes de quinze à soixante-quinze ans sont amenés, par pelotons successifs, le long de la voie ferrée, abattus à la mitrailleuse et achevés d’une balle dans la tête, la majorité vers la queue du convoi ( où se trouve l’actuel Mémorial), sur le talus de la voie et dans le champ qui le jouxte.
Certains n’ont pas été emmenés le long de la voie, comme le vicaire Maurice Cousin, roué de coups, puis tué dans sa rue, et le curé Henri Gilleron abattu dans son presbytère.

Le massacre s’arrête à 1h 15 le matin du 2 avril, dimanche des Rameaux, grâce à l’intervention de la Feldgendarmerie de Lille, prévenue grâce aux appels au secours répétés du facteur enregistrant de la gare d’Ascq. 45 hommes du dernier peloton échappent de justesse au massacre.

Le bilan est terrible : 86 morts, 11 blessés dont certains impotents, 75 veuves et 127 orphelins. Ce massacre, malgré la censure allemande, va être connu dans toute la région. Les funérailles, le 5 avril, attire une foule considérable et les appels à la cessation du travail sont suivis dans de nombreuses entreprises. Maurice Schuman évoque le massacre le 12 mai 1944 sur les ondes de la BBC.

En 1949, neuf des anciens membres de la division « Hitlerjugend » sont jugés à Lille dont le lieutenant Hauck. En vertu de la loi votée en 1948, dite « Loi Ascq-Oradour », (loi qui fait d’un membre quelconque de la division incriminée un responsable des exactions commises par ses compagnons) huit sont condamnés à mort dont Walter Hauck, le seul à avoir été reconnu par les témoins. Mais, à la suite de l’amnistie des SS alsaciens de la division « Das Reich », responsable du massacre d’Oradour, Walter Hauck et les autres condamnés sont amnistiés en 1955 par le président de la République, Monsieur René Coty. Walter Hauck est libéré en 1957 à la suite de remises de peine successives.

Le souvenir de ce massacre reste très vif dans la mémoire collective.
En 1947, Charles de Gaulle, en tant qu’ancien chef de la France Libre, puis Vincent Auriol, président de la République, viennent rendre hommage aux martyrs d’Ascq.

de Gaulle à Ascq
Le 29 juin 1947, Le général de Gaulle vient se recueillir au cimetière d’Ascq
devant « Le carré des Massacrés »

Une stèle est dédiée aux victimes sur le lieu même du massacre (« le Tertre des massacrés ») et un dispensaire y est ouvert à l’initiative des veuves dans le but de préserver la vie, là où on a donné la mort. « L’ensemble du souvenir » est inauguré en octobre 1955. De plus, chaque année, depuis 1945, la municipalité commémore le souvenir du massacre en présence des autorités civiles et militaires de la région.
En 1970, les 3 communes d’Ascq, Annappes et Flers fusionnent pour donner naissance à une ville nouvelle qui devait s’appeler Villeneuve-en-Flandre mais qui porte depuis le nom de Villeneuve d’Ascq en souvenir de la tragédie d’avril 1944.

DUHEM Jacqueline, ASCQ 1944. Un massacre dans le Nord. Une affaire franco-allemande, éd. "Les Lumières de Lille", 2014, 272 pages illustrées.

  • En attente d’un nouveau procès :

Heinz Munter, condamné par contumace en 1949 a été retrouvé en Basse-Saxe sous le nom de Karl Münter.
Karl Münter adepte du Plattdeutsch à Nordstemmen.
En 1949, un tribunal militaire français déclarait coupable de cet assassinat collectif de 86 hommes de 15 à 75 ans, Karl Münter, de la division Hitlerjugend (Jeunesse hitlérienne). Condamné à mort par contumace, il est aujourd’hui âgé de 94 ans. Le procureur général de Dortmund l’a retrouvé. Le 9 octobre 2017 l’affaire est confiée au tribunal de Celle, Basse-Saxe qui doit décider s’il sera jugé par l’Allemagne.
http://www.lavoixdunord.fr/249551/article/2017-10-20/suites-du-massacre-d-ascq-l-historienne-jacqueline-duhem-stupefaite

interview ARD, 29 novembre 2018

Je ne regrette rien
En Allemagne, Karl Münter, ancien bourreau nazi du massacre d’Ascq, ne regrette rien, ARD, 29 novembre 2018, Ohne Strafe, Ohne Reue, sans peine, sans remords : lui n’a pas été amnistié, condamné par contumace en 1949 en France, il ne put être jugé pour la même affaire en Allemagne. La journaliste conclue son reportage : "Les lois qu’il méprise sont celles qui le protègent".
Mais
Ich bereue nichts ! Je ne regrette rien !
https://daserste.ndr.de/panorama/archiv/2018/Interview-mit-NS-Verbrecher-Ich-bereue-nichts,ssmann102.html
Sans peine effectuée, sans remords
https://www.zeit.de/gesellschaft/zeitgeschehen/2018-11/ss-verbrechen-karl-m-nationalsozialismus-nazizeit-todesurteil-neonazis/komplettansicht
https://www.lemonde.fr/international/article/2018/11/30/en-allemagne-karl-munter-ancien-bourreau-nazi-du-massacre-d-ascq-ne-regrette-rien_5390712_3210.html
« Le SS est vieux, il ne changera plus. Mais vous devez vous assurer qu’il n’infecte personne d’autre de ses idées. Pour qu’une telle chose ne se répète jamais. » dit Rolande Bonte dont le père a été massacré.

Une plainte a déjà été envoyée auprès du procureur de Celle, Berth Kolkmeier, par un descendant de massacré, Alexandre Delezenne. Les médias allemands ont l’interdiction de donner le nom de famille de Karl Münter car il n’a pas été mis en examen pour l’affaire d’Ascq. IIs pourront le faire s’il l’est mis pour négationnisme et apologie de crime de guerre et crime contre l’humanité... Jacqueline Duhem

Reprise des poursuites
Le parquet d’Hildesheim en Basse-Saxe a décidé le mercredi 24 juillet 2019 de reprendre des poursuites contre Karl Münter, 96 ans, à la suite de ses propos tenus à la télévision allemande, pour incitation à la haine raciale et à la mémoire des morts.
Si un procès a lieu, Karl Münter risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.
https://www.lavoixdunord.fr/616828/article/2019-07-24/l-ex-ss-karl-munter-officiellement-poursuivi-pour-incitation-la-haine-et
Décès de Karl Münter en septembre 2019

https://www.youtube.com/watch?v=euoph03Dg9o

le Mémorial Ascq

79 rue Mangin - Villeneuve d’Ascq

Un Mémorial, le « Mémorial Ascq 1944 », est installé, depuis 2004, dans l’ancien dispensaire. Ce Mémorial resitue cette tragédie dans le contexte des phases du conflit de la 2ème guerre mondiale et de la guerre totale voulue par les nazis. Il est visité, en particulier, par des classes de CM2, 3ème et 1ère dans le cadre de leur programme d’histoire.
Des expositions temporaires y sont également organisées. La dernière qui vient de se terminer, mais sera de nouveau présentée dans le courant de l’année 2011, a pour thème :
« La Résistance et les résistants à Villeneuve d’Ascq 1940-1944 ». Elle sera visible à Mouscron puis à Deinze en Belgique.
Le « Mémorial Ascq 1944 »
Mémorial d'Ascq

Histoire et lieux du massacre :
Pour plus d’informations, consultez sur le site de la Société Historique de Villeneuve d’Ascq et du Mélantois le Mémorial d’ Ascq

http://web.archive.org/web/20131101202958/http://shvam.com/index.php/fr/memorial-ascq-1944
http://shvam.com/?page_id=15

79 rue Mangin - Villeneuve d’Ascq

Bibliographie sur le massacre d’Asq

- CATEL Edouard, Le crime des SS nazis à Ascq , Croix du Nord 1944 (épuisé mais réédité par la SHVAM)
- WECH Louis, J’accuse Boulonnais Ascq 1945, (épuisé mais réédité par la SHVAM)
- MOCQ Jean-Marie, Ascq 1944, la nuit la plus longue, Editions Actica 1971 (épuisé)
- MOCQ Jean-Marie, La 12.SS Panzer-Division massacre Ascq, cité martyre, Hitlerjugend, Bayeux, Éditions Heimdal, 1994, 197 p.
- DUHEM Jacqueline, Le massacre d’Ascq : les civils face à la terreur nazie. Histoire et mémoire, Numéro spécial Revue du Terroir SHVAM mars 2011

article de Jacqueline Duhem

Intervention de Jean-Paul Barrière, universitaire, portait sur Les veuves du massacre d’Ascq (avril 1944) : mémoires et silences au Mémorial de Caen.
Colloque au Mémorial de Caen : 22,23,24 novembre 2017 Mémoires des massacres du XXe siècle
http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/sites/default/files/public/node/manifestations/memoire-massacre-prog.pdf

- Arte Regards, 10 janvier 2020, 13 h
75 ans après, Ascq réclame justice

Dans la nuit du 1er au 2 avril 1944, quatre-vingt-six civils sont massacrés par des troupes de la Waffen SS dans le village français d’Ascq. Soixante-quinze ans après, leurs descendants continuent de se battre pour faire juger les coupables. Car l’un des auteurs du massacre est toujours en vie et coule des jours paisibles en Allemagne, à Hildesheim.
Cette affaire intéresse particulièrement un journaliste d’Hildesheim. Tarek Abu Ajamieh décide de se rendre à Ascq pour assister à une cérémonie commémorative, avec une question en tête : est-il encore possible d’obtenir justice après toutes ces années ?

Anne Frank, une histoire d’aujourd’hui

Associés à la Maison Anne Frank d’Amsterdam, le Mémorial Ascq 1944, la Maison natale Charles de Gaulle et le Musée de la Résistance de Bondues vous proposent diverses manifestations organisées, dans différents musées de la métropole lilloise dont le "Mémorial Ascq 1944", à la mémoire d’Anne Franck, en partenariat avec la maison d’Anne Franck d’Amsterdam du 2 avril au 30 juin.

Autres massacres
Le massacre d’Oradour-sur-Glane :
http://www.cercleshoah.org/spip.php?article176
Un autre massacre dans le Sud-ouest commis par les SS de Brehmer, à Rouffignac du 31 mars au 2 avril 1944 :
http://crdp.ac-bordeaux.fr/cddp24/CNR99/rouffig.htm
GUINGOUIN Georges , Quatre ans de lutte sur le sol limousin, Paris, Hachette, 1974

Maison du souvenir à Maillé
Le 25 août 1944, 124 personnes de 3 mois à 89 ans, dont de nombreux enfants, sont massacrées à Maillé, ; village d’Indre et Loire
Histoire et mémoire d’un massacre : Maillé, Indre et Loire, par Sébastien Chevereau (chef du projet Maison du Souvenir) et Luc Forlivesi (directeur des Archives départementales d’Indre-et-Loire) :
http://www.fondationresistance.org/documents/ee/Doc00004-008.pdf

NM. février 2011-avril 2012-oct-novembre 2017-mars 2018-2019

[1cf. revue de l’UDA, "Après Auschwitz" n° 317

[2La 12e SS Hitlerjugend a été créée en juin 1943 avec l’appel anticiée de jeunes gens de 17 ans qui, à partir de l’automne 1943 jusque fin mars 1944 ont reçu leur formation militaire en Belgique avant de partir vers la Normandie pour remplacer une autre division SS en partance pour le front russe.