Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Ascq 1944. Un massacre dans le Nord. Une affaire franco-allemande

Jacqueline Duhem, éd. "Les Lumières de Lille", CR Brigitte Vinatier
jeudi 13 mars 2014

C’est l’Oradour du Nord. Dans la nuit du 1er au 2 avril 1944, Ascq, tranquille petite ville nordiste, est plongée dans l’horreur : 86 habitants sont massacrés par des Waffen-SS de la division Hitlerjugend.
Interview mit NS-Verbrecher : "Ich bereue nichts !" ARD, 29 novembre 2°18
Je ne regrette rien : voir l’interview
http://mediathek.daserste.de/Panorama/Interview-mit-NS-Verbrecher-Ich-bereue/Video?bcastId=310918&documentId=58197594

Compte-rendu du livre par Brigitte Vinatier

ASCQ 1944 Un massacre dans le Nord. Une affaire franco-allemande

Jacqueline Duhem, éd. "Les Lumières de Lille", 2014.
Ce livre a été réédité en avril 2017 avec le sous-titre L’Oradour du Nord.

Ascq 1944

Oradour-sur-Glane, le nom de ce village du Limousin évoque les exactions commises par une compagnie de SS de la division Das Reich, le 10 juin 1944. Devenu le symbole des villages martyrs, il a peu à peu éclipsé le souvenir de drames similaires qui se déroulèrent dans d’autres localités françaises, elles aussi confrontées à la violence et à la barbarie des soldats nazis, telles Ascq et Oignies dans le Nord ou Maillé en Indre-et-Loire. Dans son ouvrage intitulé ASCQ 1944, Jacqueline Duhem, historienne, membre de la Société historique de Villeneuve d’Ascq et du Mélantois, relate les événements qui s’y produisirent, ainsi que leurs conséquences, en replaçant cette page douloureuse et méconnue du Nord de la France dans un contexte plus général.

La première partie présente le drame. Ascq est une bourgade du Nord, située à l’est de Lille, où se côtoient exploitations agricoles et petites industries et dont la population, 3 500 habitants, est en majeure partie composée d’ouvriers, d’employés et de fonctionnaires. Une solide tradition religieuse dynamise la petite cité. Dès le début de l’Occupation, les Allemands ont investi la ville, attirés par l’intérêt stratégique que présentent à la fois la voie ferrée et la route nationale. Très vite les actes de résistance se multiplient du fait de différents groupes qui se forment spontanément, tel un groupe d’une dizaine d’hommes, constitué par un cheminot, Paul Delécluse. « Le groupe d’Ascq » a peu de moyens, peu d’expérience, peu d’entraînement, qu’importe, il veut agir et passer à l’action immédiatement. Ce sera le sabotage de la voie ferrée, tout près du passage à niveau situé au cœur de la commune. Les résistants connaissent l’heure de passage des deux trains prévus dans la soirée du samedi 1er avril, mais ils ignorent qu’un train supplémentaire doit s’intercaler entre eux, qui transporte un bataillon blindé de reconnaissance de la 12 SS-Panzer Division Hitlerjugend, transféré de Belgique en Normandie. L’explosion se produit à 22h44, au moment précis du passage de ce convoi qui s’arrête. Le constat effectué aussitôt relève quelques dégâts matériels, deux wagons ont déraillé, mais il n’y a ni mort ni blessé. Cet attentat pourtant mineur va provoquer de terribles représailles accomplies très rapidement. Rassemblement des soldats, harangue et ordres de leur chef. Et voilà plusieurs commandos de soldats qui donnent libre cours à leur fureur : ils investissent le village, pénètrent dans les maisons, en font sortir de force les habitants. Des hommes sont amenés et exécutés à un endroit précis en trois pelotons successifs, d’autres fusillés sur place, d’autres abattus en tentant de fuir, ou battus à mort, tel le jeune vicaire du village. Quand la Feldgendarmerie de Lille alertée, arrive enfin et fait arrêter le massacre, il est 1h15 en ce dimanche 2 avril. Ce même jour, les SS quittent un village hier encore tranquille et aujourd’hui en proie à la désolation et au désespoir. Il y a 86 morts, des hommes de 15 à 74 ans, dont 77 avaient été abattus le long de la voie ferrée ou à proximité, la majorité vers la queue du convoi ( où se trouve l’actuel Mémorial) sur le talus de la voie et dans le champ qui le jouxte. Les 9 autres n’ont pas été emmenés le long de la voie, comme le vicaire Maurice Cousin, tué dans sa rue, et le curé Henri Gilleron abattu dans son presbytère, de nombreux blessés rescapés du massacre, des veuves et des orphelins et des maisons pillées. Peu de temps après, les résistants du groupe d’Ascq, traqués par un Français à la solde des nazis, sont arrêtés et fusillés, un seul d’entre eux parviendra à fuir.

Ce drame suscite aussitôt de vives protestations, tant dans la population du Nord que de la part des autorités politiques et religieuses, unies dans l’indignation et la condamnation. Dès la Libération et surtout dès la reddition de l’Allemagne nazie, le village se met à espérer que les recherches aboutiront rapidement à la capture des criminels. Hélas, il n’en est rien. C’est une traque très complexe qui s’opère, jalonnée de nombreux obstacles car il n’est pas facile de retrouver l’identité des soldats qui se trouvaient dans ce convoi. Au terme d’une longue série d’enquêtes et d’interrogatoires, neuf ex-Waffen-SS de la 12-SS sont inculpés, six hommes de troupe, deux sous-officiers, et l’officier chef de convoi, l’ex-lieutenant Walter Hauck. A cette époque, en 1949, il est temps de clore l’affaire. D’abord l’exaspération est à son comble à Ascq où l’on attend toujours que justice soit rendue. Puis le monde a changé, « la guerre froide » s’est installée, et l’on commence à mettre fin à la recherche des criminels de guerre en liquidant les services qui en étaient chargés. Et surtout pour cette affaire justement, le juge peut s’appuyer sur une nouvelle loi promulguée en septembre 48. Dite « Ascq-Oradour », elle stipule que les membres d’une formation déclarée coupable de crimes de guerre en sont collectivement responsables, quelle que soit leur participation effective, sauf à prouver leur innocence. Ce sont donc neuf « coupables », dont la défense est assurée par quatre avocats, qui comparaissent le 2 août 1949, devant le tribunal militaire permanent de Metz séant au palais de justice de Lille. Les accusés cherchent à se disculper en rejetant les crimes commis sur les absents et en chargeant leur officier qui a donné les ordres. Les témoins qui se présentent ne reconnaissent aucun des hommes, à l’exception de l’officier Walter Hauck, formellement identifié par deux personnes. Le 6 août, le tribunal condamne à mort huit accusés ainsi que huit autres inculpés jugés par contumace. Jugement salué par la presse à l’unanimité. Commence alors un long combat judiciaire mené par les avocats, après le rejet du recours en grâce intervenu rapidement. Ceux-ci sont aidés dans leur tâche par la mobilisation importante qui se développe contre la loi de 1948 sur la responsabilité collective. En France, pendant des années, de nombreuses personnalités, religieuses, politiques, et des citoyens ont dénoncé cette loi qu’ils jugent inique, surtout en ce qui concerne le drame d’Oradour-sur-Glane. Elle est finalement abrogée en 1953. De plus de multiples démarches sont effectuées en faveur des condamnés d’Ascq, tant en Allemagne qu’en France. En 1955, le Président de la République René Coty signe la grâce des condamnés (emprisonnés), commuée en travaux forcés. Par le jeu des remises de peine, ceux-ci sont peu à peu libérés, les deux derniers en 1957.

La commune d’Ascq est restée marquée par ce drame dont elle entretient scrupuleusement la mémoire. Chaque année est commémoré le massacre, et le nom de certaines rues garde le souvenir de ses victimes. Le Mémorial Ascq 1944 a été inauguré en 2005. Peut-on espérer que le traumatisme qui a longtemps perduré au sein de la population sera un jour définitivement guéri ? Cette page de l’histoire douloureuse de la ville a été longue à tourner, et il aura fallu attendre 2005 pour qu’un jumelage lie Villeneuve d’Ascq (1) à la ville allemande de Leverkusen, même si les sociétés historiques de ces deux villes avaient noué des relations auparavant [1]. Espérons en cet heureux présage.

Brigitte Vinatier Ehrmann

1 : En 1970, Ascq a fusionné avec deux communes voisines pour devenir Villeneuve d’Ascq.
L’article et le lien pour écouter l’interview de Jacqueline Duhem sur France bleue sont sur la page :
http://www.francebleu.fr/culture/il-y-70-ans-le-massacre-d-ascq-1414975

C’est l’Oradour du Nord.

Dans la nuit du 1er au 2 avril 1944, Ascq, tranquille petite ville nordiste, est plongée dans l’horreur : 86 habitants sont massacrés par des Waffen-SS de la division Hitlerjugend.
Après la Libération, les responsables de ce massacre sont recherchés. En août 1949, à Lille, neuf ex-SS comparaissent devant un tribunal militaire qui condamne huit d’entre eux à la peine de mort. Mais la justice a-t-elle bien été rendue ?

Dans les années qui suivent, l’« Affaire d’Ascq » déchaîne les passions en France et en Allemagne où d’anciens Waffen-SS justifient encore l’injustifiable.

Le souvenir de la tragédie reste vivace à Villeneuve-d’Ascq, la ville nouvelle fondée en 1970, qui a gardé le nom d’Ascq pour mieux perpétuer la mémoire.
Les recherches de Jacqueline Duhem, agrégée d’histoire et membre de la Société historique de Villeneuve-d’Ascq et du Mélantois (SHAVM), permettent de remettre en cause certaines idées reçues et font découvrir des pans méconnus de l’histoire franco-allemande du massacre d’Ascq.

Jacqueline Duhem, ASCQ 1944. Un massacre dans le Nord. Une affaire franco-allemande, éd. "Les Lumières de Lille", 2014, 272 pages illustrées, ISBN 978-2-919111-15-2

Karl Münter Condamné à mort par contumace en 1949 par un tribunal militaire français, de la division Hitlerjugend ("Jeunesse hitlérienne") est aujourd’hui âgé de 94 ans. Le procureur général de Dortmund l’a retrouvé. Le 9 octobre 2017 l’affaire est confiée au tribunal de Celle, Basse-Saxe qui doit décider s’il sera jugé par l’Allemagne.
http://www.lavoixdunord.fr/249551/article/2017-10-20/suites-du-massacre-d-ascq-l-historienne-jacqueline-duhem-stupefaite

Je ne regrette rien, interview ARD, 29 novembre 2018

En Allemagne, Karl Münter, ancien bourreau nazi du massacre d’Ascq, ne regrette rien, ARD, 29 novembre 2018, Ohne Strafe, Ohne Reue, sans peine, sans remords titre le Zeit : lui n’a pas été amnistié, condamné par contumace en 1949 en France, il ne peut être jugé pour la même affaire en Allemagne. La journaliste conclue son reportage : "Les lois qu’il méprise sont celles qui le protègent".
Münter est protégé à la fois par la prescription des peines (qui interdit de mettre à exécution la condamnation de 1949, prescrite après 30 ans) et par le principe non bis in idem, qui interdit de le juger une seconde fois puisqu’il a déjà été jugé en 1949. (Wikipedia).

Ich bereue nichts ! Je ne regrette rien !
https://daserste.ndr.de/panorama/archiv/2018/Interview-mit-NS-Verbrecher-Ich-bereue-nichts,ssmann102.html
https://www.zeit.de/gesellschaft/zeitgeschehen/2018-11/ss-verbrechen-karl-m-nationalsozialismus-nazizeit-todesurteil-neonazis/komplettansicht
https://www.lemonde.fr/international/article/2018/11/30/en-allemagne-karl-munter-ancien-bourreau-nazi-du-massacre-d-ascq-ne-regrette-rien_5390712_3210.html (deux erreurs, il s’agit d’un sabotage et l’album est celui que les néonazis ont offert à KM.

Des commentaires

" Je recommande ce livre "Ascq 1944" écrit par Jacqueline Duhem, agrégée d’histoire, et qui se lit comme un roman. Avec un souci d’objectivité et un savoir-faire professionnel, elle expose les points de vue français et allemands sur ce tragique événement, qui est pourtant un peu occulté dans la mémoire nationale. Elle laisse s’exprimer la douleur des gens simples et retrace l’immense élan de solidarité qui a suivi le massacre, notamment le don extraordinaire de l’Algérien Hachemi Ben Chenouf et relate bien d’autres conséquences jusqu’à nos jours, certaines fort surprenantes."

"Pour ma part je suis sensible par exemple au souci que tu as de parler de ce qu’on appelle maintenant le syndrome post traumatique chez les survivants, avec une mortalité accrue, ou encore de relater le don extraordinaire du bachaga Hachemi Ben Chenouf, que j’ignorais totalement."

"La question de la repentance, longtemps absente du côté allemand, est posée en filigrane. Puisse ce livre contribuer à éviter le retour de tels comportements barbares."

"La lecture de ce livre m’a passionnée, encore mieux m’a surprise par l’ampleur de l’enquête sur le devenir ultérieur des acteurs de ce drame, sur leur psychologie. Mais ça fait peur, les jeunes soldats étaient des produits de l’idéologie hitlérienne, dont on voit en Europe les résurgences."

"Lise à qui j’ai laissé la primeur de la découverte de ton ouvrage se passionne pour sa lecture ; encore a-t-elle comme moi quelque vergogne à parler de passion quand on sait les horreurs dont sa matière est nécessairement constituée. Mais on ne peut confondre le sujet et son élaboration."

"Je viens de terminer la lecture de ton ouvrage sur "Ascq. 1944". Voici mes remarques, en vrac.
On voit que tu as fait un gros travail de recherche et de synthèse. Et aussi fourni les éléments de compréhension ( références historiques) pour un large public qui ne les a pas forcément en tête.Tu as donc fait aussi oeuvre pédagogique.
Pour ma part, je ne savais quasiment rien sur le massacre d’Ascq et j’ai donc beaucoup appris. J’ai apprécié ton effort constant pour replacer l’évolution de l’affaire dans le contexte historique de l’après-guerre ( guerre froide, rapprochement franco-allemand ) qui influe sur le procès et ses suites.
A te lire , on est frappé par la difficulté qu’a la justice française à mener à bien sa recherche des responsables (heureusement, elle est servie par la chance) et à établir la responsabilité du massacre. Et elle laisse échapper, de façon incompréhensible, des gens qui semblent avoir joué un rôle important dans l’affaire comme le dénommé Stun). Quant à la loi du 15 septembre 1948, c’est une monstruosité juridique (responsabilité collective) et on peut penser qu’elle n’a pas aidé à établir la vérité. Quant au lieutenant Hauck, principal inculpé et qui est impliqué aussi dans une affaire similaire en Tchécoslovaquie), ses déclarations de 1988 sont scandaleuses ; à 70 ans , il persiste et signe. Il est vrai qu’il parle devant un groupe d’anciens combattants SS....Dommage que la justice française n’ait pas réussi à établir plus nettement ses responsabilités dans le massacre d’Ascq.
Bravo pour ton travail.
Et vive la réconciliation franco-allemande, malgré tout ! Maurice.

- "la SNCF et les cheminots"
Le massacre d’Ascq (22 cheminots sur 86 massacrés) et des résistants cheminots, auteurs du sabotage entraînant les représailles.
http://www.franceinter.fr/emission-la-marche-de-l-histoire-la-sncf-et-les-cheminots

RIBEILL Georges, Les cheminots, La Découverte / Repères, 1984

Contact :
"Les Lumières de Lille", 46, rue du Curoir, 59100 Roubaix
Tél. 03 20 659 50
contact@leslumieresdelille.com
http://www.leslumieresdelille.com/

Jacqueline Duhem était au Salon du livre, Porte de Versailles le dimanche 23 mars 2014, de 13 à 15 heures, pour dédicacer son livre chez l’éditeur "Les Lumières de Lille"
http://www.salondulivreparis.com/A-la-une/Dedicaces.htm

Voir l’article de Jacqueline Duhem sur « le massacre d’Ascq » du 1er avril 1944
http://www.cercleshoah.org/spip.php?article174

NM mars-décembre 2014-octobre-novembre2017

[1Charte de jumelage signée le 15 novembre 2005