Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

La jeunesse sous le troisième Reich

Günther Grass, Pelures d’oignon et le contexte
mardi 20 avril 2021

"Le souvenir enjolive, contredit la mémoire, il ressemble à un oignon qui voudrait être pelé."

Une jeunesse nazie

Une jeunesse nazie, à travers la lecture de Pelures d’oignon ("Beim Häuten der Zwiebel" en épluchant l’oignon) de Günther Grass (1927-2015), autobiographie, Paris, Seuil, 2007.

Günther Grass est né le 16 octobre 1927 à Danzig-Langfuhr dans une famille germano-polonaise, de père protestant et de mère catholique cachoube.
Danzig, ville libre, est une cité-État sous la protection de la Société des Nations de 1919, dans le corridor polonais.

  • Une jeunesse d’État
    La jeunesse est excitée par les temps nouveaux. La légion Condor combat en Espagne contre le péril rouge. Les gamins jouent à l’Alcazar (siège de l’Alcázar de Tolède, 1936).
    Aux Jeux olympiques en 1936, l’Allemagne obtient une pluie de médailles à Berlin [1].
    À 10 ans, il est Pimpf (louveteau), puis membre du Jungvolk en 1937. Il est en uniforme, avec un calot, un foulard, un ceinturon et un baudrier. Il peut participer aux jeux de plein air, en forêt ou sur la côte balte, autour d’un feu de camp et chanter en marchant au pas ou en regardant le drapeau "Notre drapeau flotte devant nous", le samedi après-midi au son du tambour, au lieu d’aller à l’école, même si cela l’ennuie.
  • Pas de questions
    En 1938, la synagogue à côté de son lycée brûle. Il est simplement étonné.
    Un jour le professeur de latin disparait. Une rumeur dit qu’il est interné au Stutthof, un camp de concentration, proche de Danzig, qui ne cesse de s’étendre. Un parent cachoube a été assassiné dans la prise de la poste par les nazis en 1939. Les paysans polonais sont chassés de leurs fermes. Les Cachoubes sont classés dans le groupe racial III et les jeunes femmes sont envoyées au service du travail.
    Les juifs sont enfermés dans le ghetto de la Mäusegasse. Puis ils sont déportés à Theresienstadt. La mère de Grass ne comprend pas qu’on s’en prenne aux juifs.
  • Jeunesse séduite
    La Norvège fait rêver les jeunes au bord de la Baltique avec la victoire de Narvik (1940). Ils jouent avec des bateaux miniatures en plomb, ils refont les batailles navales en terrassant la Norvège. Comme ses camarades, Grass veut vivre le danger, couler des navires, démolir des blindés ennemis, abattre les avions bombardiers ennemis avec des Messerschmitt. Le "récepteur du peuple" énumère les victoires remportées.
    À 15 ans, il rêve d’aller au combat. Le lycéen Grass s’engage volontairement pour le service armé, il veut être sous-marinier, mais il est refusé : trop jeune. Il se voit en défenseur de Stalingrad, dans les chars.
  • Préparer la guerre
    À 16 ans, Grass doit faire le Service du travail du Reich. Il est affecté dans le service auxiliaire de la Luftwaffe, à la batterie anti-aérienne du Fort Impérial. Il rêve. "Ça pue" par vent de nord-ouest, on sent le camp de concentration du Stutthof.
    Il n’a plus les culottes courtes du lycéen et sa casquette rouge. Il se retrouve en brun caca avec un chapeau "cul à poignées", et une bêche pour 3 mois de service au RAD-(STR) service du travail du Reich.
    Pourquoi tant d’adolescents déshumanisés ? Dans le groupe, un jeune refuse de toucher un fusil. Les pires punitions, les brimades de ses camarades, rien n’y fait. Nous ne faisons pas ça dit-il.
    "250 abrutis, aux cheveux ras" se sont acharnés sur le témoin de Jéhovah qui est déporté.
  • Le camp d’instruction
    L’ordre d’incorporation est sur la table. Il s’est engagé dans la Waffen-SS, peu regardante sur l’âge des volontaires. Il est incorporé dans la 10e division Panzer SS "Frundsberg" de la Waffen-SS, le 10 novembre 1944, à presque 17 ans.
    Du train il voit Berlin en flammes. Il reçoit sa feuille de route pour un camp d’entrainement de la Waffen-SS pour être « fantassin porté » dans les chars à Dresde. Sa formation l’a abruti, gavé de théories Völkisch.
    À 17 ans il prête le serment de la Waffen-SS, fin février 1945. On leur projette le film Kolberg sensé galvaniser les troupes.
  • Combattre jusqu’au dernier
    Dans un chaos organisé, des résidus d’unités, réagissant à des ordres contradictoires qui envoient dans une direction puis une autre pour "le raccourcissement du Front à l’Est" ou "l’égalisation du front", la peur, la retraite. Il croise des colonnes de réfugiés civils de l’est.
    Il voit Dresde en flammes depuis son wagon de marchandises. Ils n’ont pas les Königstiger pour combattre, mais des Jagdpanther, vieux chars sans tourelles pivotantes. Il se retrouve seul dans la forêt, avec des pendus aux arbres. Ceux qui circulent sans ordre de marche sont fusillés par les "chiens de garde" (les Feldgendarmen). "Tous les hommes capables de tenir une arme entre 16 et 60 ans doivent défendre la patrie du Reich allemand". Les Soviétiques progressent. Il a des runes sur le col. Le caporal-chef perdu comme lui, lui fait changer de vareuse pour qu’il ne prenne pas une balle dans la tête. Ils obtiennent un papier tamponné Marienbad. Les orgues de Staline s’abattent sur eux. Le fantassin porté est blessé, le caporal chef a les jambes déchiquetées. "Mort héroïque du Führer" diffusent les ondes. Sa vision des héros de ses années lycée se détraque.
  • Prisonnier des Américains
    Il est fait prisonnier à l’hôpital de Marienbad. Au camp de travail en Bavière, soumis au régime punition de Morgenthau, à 1000 calories par jour, il crève de faim, il voit la ségrégation entre GI blancs et GI noirs. Des jeunes juifs veulent aller en Palestine.
    On leur montre des photos de camps. Ils ne veulent pas y croire. Ils ne savaient rien.
    Comme Grass a toujours un éclat d’obus à l’épaule, il est envoyé au camp de Munster chez les Anglais. Il est libéré.
  • Retour à la vie civile
    Il cherche un sens à sa vie, à travers les ruines à Cologne, ville "aplatie", sauf la cathédrale. Comment a t-il pu être un engagé volontaire ? Il se dit que c’est pour fuir la famille, être loin de son père, le logement trop petit, inconfortable. Avec le recul, il juge qu’il était simplement "idiot".
    Il devient accrocheur de berlines à la mine de potasse d’Hanovre pour avoir des tickets d’alimentation.
    Ses parents, expulsés de l’Est, sont assignés comme réfugiés, chez un paysan du côté de Cologne.
    Il veut être sculpteur. Il sculpte des pierres tombales. Il a trouvé un atelier où il répare les statues des façades bombardées des quartiers riches.
    Année "zéro".
Carte prisonnier américain, wikipedia

Comment la jeunesse a t-elle pu être abusée par le national-socialisme, séduite, comme la population qui en majorité était "éduquée, civilisée" ?

Médiagraphie

Autres témoignages
Erika MANN, 10 millions d’enfants nazis (1938), réd. Tallandier, 1988
https://blog.muenchner-stadtbibliothek.de/zehn-millionen-kinder-die-erziehung-der-jugend-im-dritten-reich-erikamann/
contre l’endoctrinement et le Drill. Un bestseller aux USA (School for Barbarians. Education under the Nazis). „Zehn Millionen Kinder. Die Erziehung der Jugend im Dritten Reich“ .
Melita MASCHMANN, Fazit, Bilan (au sens comptable du mot). Enthousiasme et aveuglement d’une responsable au sein du BDM.
Christa WOLF, Trame d’enfance, Stock, 2009
Günther GRASS, Katz und Maus, Berlin, 1961, dtv 2014
Irmgard KEUN, Quand je serai grande je changerai tout, Agone, 2017

- Centre de documentation sur le nazisme de la ville de Cologne
https://museenkoeln.de/ns-dokumentationszentrum/default.aspx?s=1858

- Des témoignages
http://museenkoeln.de/ausstellungen/nsd_1609_hitlerjugend/Medienstationen/10_AlltagHJ/01.html

- Jeunesse idéologie, endoctrinement, guerre
http://www.jugend1933-45.de/portal/Jugend/geschichte.aspx?id=26636

- lexique
http://www.jugend1933-45.de/portal/Jugend/infothek.aspx?id=26642

Le contexte

  • La famille allemande XIXe
    La famille et l’école : Les enfants subissent un dressage, un endoctrinement au XIXe.
    Dans les lycées il est question de "prussianisation", les professeurs sont d’anciens officiers de réserve qui tyrannisent les élèves. Les Buddenbrook de Thomas Mann.
    Le ruban blanc film de de Michael Haneke, 2009, montre l’éducation rigoriste, la discipline dans les familles du nord de l’Allemagne avant la guerre 1914-18, préfigurant la société sous le nazisme.
  • Hitlerjugend HJ : tableau
GarçonsâgeFilles
Pimpf 10 ans
Jungvolk 10-14 Jungmädelbund
Hitlerjugend 14-18 Bund deutscher Mädel

Les jeunes filles sont aussi concernées.
BDM Bund deutscher Mädel Melita Maschmann dans Fazit (Bilan) dépeint l’enthousiasme et l’aveuglement d’une responsable au sein du BDM.

L’avenir du peuple allemand dépend de sa jeunesse...
Toute la jeunesse allemande vivant sur le territoire du Reich est rassemblée dans les jeunesses hitlériennes. Loi 1er décembre 1936.
Un dressage.

  • L’école sous le III Reich
    Le style d’éducation à l’époque, entre dressage et endoctrinement, est un terreau favorable. Certains parmi les meilleurs pédagogues se mettent au service du nazisme.
    Max Weinreich [2] a étudié le rôle des universitaires allemands inféodés à la dictature, dans l’extermination des Juifs, comme Heidegger le philosophe nazi, Carl Schmitt le juriste, Karl Haushofer le théoricien du Lebensraum...
    Une éducation raciste, nationaliste, anti-intellectuelle, anti-humaniste est opposée aux Lumières et à la raison.
    - Manipulation des masses
    L’étude des manuels d’enseignement du IIIe Reich montre comment la langue nazie a été utilisée dans un but pédagogique au service de la dictature. L’emploi d’acronymes, de verbes d’action, de clichés, d’énumérations, de paires synomyques, de mots passe partout, de mots tabous dans l’apprentissage de la lecture, copie, description, récit.
    - Endoctrinement : Biologie et théorie des races. Les symboles, le sang, le sol, la race, le peuple, le Reich.
    - Rituels : le culte du Führer, le portrait d’Hitler, le salut hitlérien, la croix gammée, appel et les rituels devant le drapeau, l’uniforme, les marches.
    - "Une jeunesse cruelle"
    Dans la classe, à côté du portrait d’Hitler, son slogan : Sois dur comme l’acier Krupp, coriace comme le cuir et rapide comme les lévriers [3] ..

« Nous ne réfléchissions pas tellement à ce que nous faisions, mais nous nous amusions bien et nous avions le sentiment que nous étions importants ». Kurt Zeisser 13 ans en 1930 in W.S. Allen, Une petite ville nazie (Northeim/Thalburg)
http://clioweb.canalblog.com/tag/Hitler

  • Service du travail du Reich STR
    (RAD Lager : Reichsarbeitsdienst [5] ), camp pour jeunes allemands, loi du 26 juin 1935.
    Le but est le même pour les deux sexes : amalgame et abolition des classes, apprentissage de la vie en commun, de la camaraderie...

Les exclus et les opposants

  • Les enfants juifs sont renvoyés des écoles. Lois de Nuremberg du 15 septembre 1935 : contre les écoles communautaires juives, les associations culturelles juives),
    notions de demi-juif, quart de juif ("Halbjude"), ("Vierteljude") [6].
    Koehn Ilse, Mischling, Second Degree : My Childhood in Nazi Germany, New York,
    Puffin Books, 1990.
    http://www.fcit.usf.edu/HOLOCAUST/resource/biblio/midbib.htm#mfiction
  • Les enfants tsiganes
  • Augmentation de la natalité avec l’idéologie de la femme au foyer, Lebensborn pour donner un enfant au Führer cf. film Europa, Europa
    Mais stérilisation et eugénisme pour ceux dont la vie n’est pas digne d’être vécue.
    La population a exclu une partie de la population allemande, l’a considérée comme nuisible et sans valeur, a laissé faire l’extermination.

Jugendschutzlager : camps de "protection" de la jeunesse : Jugend-KZ Moringen et Jugend-KZ Uckermark

NM

[2WEINREICH Max, Hitler et les professeurs, Belles Lettres, 2013, 396 p.

[3Im Klassenzimmer hing neben dem Hitlerbild sein Spruch : "Ihr sollt sein : Hart wie Kruppstahl, zäh wie Leder und flink wie Windhunde"."in Wolfgang Findeisen (1926-2015) aus Eschborn

[4Michael Buddrus : Totale Erziehung für den totalen Krieg. Hitlerjugend und nationalsozialistische Jugendpolitik. Teil 1 und 2. Saur, München 2003

[5Reichsarbeitsdienstgesetz du 26. Juni 1935
http://www.verfassungen.de/de/de33-45/reichsarbeitsdienst35.htm
Benz, Wolfgang : Vom Freiwilligen Arbeitsdienst zur Arbeitsdienstpflicht. In : Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte 16 (1968) 4, 317-346.