Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

La rafle d’Angoulême, 8 octobre 1942

Compte rendu de lecture par Brigitte Vinatier
dimanche 9 juin 2013

La rafle du 8 octobre 1942, en Charente, où des réfugiés croyaient avoir trouvé un havre de sécurité.

La rafle d’Angoulême, 8 octobre 1942, racontée par des survivants
Gérard Benguigui, Frank Svensen, Le Croît Vif, collection Témoignages, 2012

L’évocation des rafles des Juifs, dans de nombreuses villes, sous l’Occupation, suggère aussitôt un nom, le Vélodrome d’Hiver, et un évènement majeur, la rafle des 16 et 17 juillet 1942, à Paris. La rafle du Vel d’Hiv, sinistre abréviation, est considérée comme le symbole des arrestations et des déportations de masse des populations juives en France. C’est ainsi qu’on appelle aussi « le Vel d’Hiv d’Angoulême » la rafle du 8 octobre 1942, fait majeur de l’histoire de la Charente pendant cette période. Ce livre a un double intérêt : les auteurs, Gérard Benguigui, président de l’Association des Juifs de Charente, et Frank Svensen, professeur de philosophie, présentent la rafle en replaçant la grande Histoire, celle de la Shoah, dans le contexte de l’histoire locale charentaise et en donnant la parole aux survivants, qui furent, pour la plupart, ce qu’on appela des enfants cachés.

Les deux premiers chapitres précèdent les témoignages. Après l’évocation de la progression de l’idéologie nazie et de l’antisémitisme en Allemagne puis dans les pays occupés, ils s’intéressent à la vie à Angoulême pendant la guerre. Dès septembre 1939, cette ville voit arriver des réfugiés mosellans, qui ont dû évacuer les zones frontalières de l’Allemagne. Quelques années auparavant, de nombreux Juifs avaient fui la montée du nazisme dans leur pays, Allemagne, Roumanie, Pologne, pour n’en citer que quelques-uns. La France, pays des Lumières et des Droits de l’Homme, leur apparaissait comme un havre de sécurité et d’accueil. Et voilà qu’en 1939, ils devaient quitter le refuge qu’ils avaient trouvé dans l’Est, et changer de région. Néanmoins ils furent plutôt bien accueillis par la population locale, qui leur fournit souvent asile et travail. Beaucoup se sauvèrent en franchissant la ligne de démarcation, qui coupait le département en deux. Cependant à peine installés en Charente, ils subissent les lois d’exception, et les persécutions qui culmineront à Angoulême par la rafle du 8 octobre 1942, décidée par les autorités allemandes à l’encontre des Juifs étrangers. Dans la nuit du 8 au 9 octobre, 422 Juifs furent arrêtés et regroupés dans la salle philarmonique, une très grande pièce, à l’occasion salle de bal ( !), qui jouxtait la gendarmerie et une école. Le 15 octobre, 389 personnes furent transportées en train au camp de Drancy puis déportées à Auschwitz. Seuls dix survivants revinrent. L’ouvrage montre aussi l’attitude des autorités religieuses et politiques : au silence assourdissant de l’Eglise, cependant rompu par les voix de quelques dignitaires, qui protestèrent publiquement, correspond l’absolue fidélité des préfets de Charente au gouvernement de Vichy, mais l‘un d’eux, le préfet Bourgain, réussit à sauver plusieurs enfants juifs en les faisant sortir de la salle philarmonique.

Cet ouvrage présente les témoignages de survivants de cette rafle, de jeunes polonais, adolescents ou enfants à l’époque, qui, grâce à la générosité et à l’abnégation de quelques personnes, furent cachés et sauvés. Ils racontent une vie heureuse avant, dans cette nouvelle région, une enfance insouciante et libre, malgré les difficultés de la vie quotidienne, « deux années merveilleuses », dit même Robert Frank. En témoigne la couverture du livre, une photo de l’un des témoins, Hélène Lamberger, grande jeune fille souriante, debout, le bras levé vers une branche d’arbre, une fleur dans les cheveux, une étoile sur le pull-over. Tout est dit du sombre paradoxe de la gaieté et de la tragédie. Le port de l’étoile est pour ces enfants le début de l’inquiétude. Les pères, soucieux de respecter les lois du pays d’accueil, se sont fait inscrire dès leur arrivée dans le nouveau département. Et la rafle survient. Et avec elle les séparations déchirantes. Certains enfants, naturalisés français contrairement au reste de la fratrie, sont poussés dehors, malgré leur refus, par les pères qui montrent leurs papiers français. Jeta, deux ans, est enlevée aux bras de sa mère. Ainsi ces enfants connaissent-ils un destin similaire : ils sont recueillis, bien traités par des familles qui leur donnent de l’affection. Puis, très vite, quand les Allemands se mettent à arrêter les Juifs français, ils sont cachés jusqu’à la fin de la guerre.

Pour connaître ce qui s’est passé, en ces jours d’octobre, dans la salle philarmonique d’Angoulême, il faut lire le saisissant document rédigé par un Français, Jean-Marie Albert. Fils d’un gendarme et de la directrice de l’école voisine de cette salle, âgé de 16 ans, il fut un témoin direct. Il décrit les conditions de vie dramatiques de ces hommes, femmes, vieillards, enfants et même nourrissons. Il brosse des portraits, raconte des faits, par exemple la façon dont des enfants purent être sauvés. Il évoque aussi les personnes de bonne volonté qui aidèrent les Juifs, au premier rang desquelles sa mère qui se dévoua sans relâche. Un chapitre de cet ouvrage est d’ailleurs consacré aux personnes, nombreuses, qui résistèrent à la barbarie et aidèrent leurs frères humains. 23 Charentais ont reçu le titre de « Juste parmi les Nations », accordé par l’Etat d’Israël, mais il y en eut bien d’autres restés dans l’ombre. On sait que les trois-quarts des Juifs de France ont pu survivre grâce à l’aide de tant d’anonymes.

En annexe l’on trouve la liste des noms et dates de naissance des victimes de cette rafle, qui sont inscrits sur une plaque commémorative, inaugurée à Angoulême, le 8 octobre 2012. Nouveau maillon de la lutte pour la mémoire et contre l’oubli, dans l’histoire de la Charente et de la Shoah.

Brigitte Vinatier


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