Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Suzanne Buisson, socialiste, féministe, résistante

par Gérard Da Silva
jeudi 28 mars 2019

Suzanne Buisson, née Lévy, militante politique, féministe dès l’âge de 16 ans, principale responsable durant les années 1930 du Conseil National des Femmes Socialistes, morte à Auschwitz. En 1940, elle s’écriait : « Non, la France, la République ne sont pas mortes, mais il faudra se battre, on se battra ».

Suzanne Buisson, socialiste, féministe, résistante

« Chaque femme porte la forme entière de l’humaine condition  [1] ».

Tel est le propos de ce livre, première biographie consacrée à Suzanne Buisson.

Suzannne Buisson, socialiste, féministe, résistante

La figure de Suzanne Lévy, veuve de Charles Gibault puis épouse de Georges Buisson, militante politique, féministe dès l’âge de 16 ans, principale responsable durant les années 1930 du Conseil National des Femmes Socialistes, avant de devenir cofondatrice et responsable du réseau de résistance, en zone Sud, du Parti socialiste, après quelques hommages immédiats, est tombée dans l’oubli. Le présent livre est, sans doute, un hommage et une biographie essentiellement politique, faute, d’archives privées et familiales.

Le livre restitue, préalablement, l’histoire du féminisme politique, à compter des années 1830, afin de mieux comprendre le type d’engagement qui va animer la jeune Suzanne Levy, dès 1899.

Puis sont restitués les débats divergents, dans le cadre de la guerre, comme au moment de la crise interne au Parti socialiste, qui conduit à la création du Parti communiste. A fortiori pour les années 1930 car, si Suzanne Buisson est devenue la principale figure féminine et féministe du Parti, elle est en premier ligne en butte, à une opposition masculine organisée à l’égalité des droits, au sein dudit Parti, surtout à partir de 1935.

Le livre sépare la militante politique et socialiste de la militante féministe et socialiste, pour des raisons de clarté d’exposé et éviter des redites. Ce qui est particulièrement net, à compter de 1913, avec le journal l’Equité, journal des militantes socialistes favorables à l’égalité des droits, puis avec le Groupe des Femmes Socialistes durant les années 1920, sous la direction de Louise Saumoneau, avec Suzanne Buisson, enfin, et surtout, avec le Conseil national des femmes socialistes dirigé par Buisson, à compter de 1930.

Au sein même du GFS et du CNFS, une ligne de partage est constante entre la tendance Saumoneau, pour laquelle la cause des femmes est réductible à celle de l’émancipation du prolétariat ou, durant les années 1930, n’est pas prioritaire (mais la lutte pour la paix contre le fascisme, quitte à se déclarer favorable aux accords de Munich…). Et la tendance qu’incarne Buisson, favorable à « l’égalité complète » entre hommes et femmes, à l’indépendance des femmes par le salariat (et non la femme payée pour rester au foyer). Ce qui fait passer le groupe de 100 à 10 000, de 1930 à 1938. Révélateurs sont les débats, ici restitués, sur le vote des femmes en 1936 et pourquoi le gouvernement de Front populaire n’a pas tenu des engagements pourtant constants. Tout n’est pas vain et la fin partielle de l’incapacité civile de la femme mariée, en 1938, n’aurait pas existé sans le combat des femmes initié un siècle plus tôt.

Le CNFS, que dirige Buisson, s’il a le soutien de socialistes comme Bracke et Blum, se retrouve mise en minorité, après les accords de Munich. La tendance de Faure, qui a imposé le vote socialiste en faveur des accords de Munich, en profite pour exclure Suzanne Buisson du CNFS, en juin 1939, au bénéfice d’un groupe des femmes (encadrées d’hommes de l’appareil, comme Faure et Séverac) qui considère comme secondaire la question de l’égalité et sont favorables à Munich.

Enfin, le livre restitue la geste de Suzanne Buisson, de juillet 1940 à juillet 1944 et sa mort à Auschwitz, dans l’avant dernier convoi, par rares témoignages superposés et avec mise en valeur des témoignages, plus rares encore, d’une des figures majeures, et effacée des mémoires, de la Résistance. Engagée dans la Résistance dès juillet 1940, elle cofonde quelques mois plus tard avec Daniel Mayer, le Comité d’Action Socialiste, réseau du Parti socialiste pour la zone non occupée. Elle est la principale figure féminine, au plan national, pour le Parti socialiste.

S’il s’était agi de Suzanne Buisson, elle aurait, vraisemblablement, été déportée vers Ravensbrück. Mais Suzanne Lévy, arrêtée par la Gestapo à Lyon en mars 1944, est déportée à Auschwitz. Elle fait partie du convoi 76, l’avant dernier convoi de Drancy à Auschwitz, qui part le 30 juin 1944. Ce convoi comporte 1156 déportés, dont 650 hommes et 500 femmes. Parmi les membres du convoi, Georges Wellers, qui en témoignera, en 1973, dans son livre, L’étoile jaune à l’heure de Vichy : de Drancy à Auschwitz.

Au demeurant, l’ouvrage que le Cercle d’étude de la Déportation a publié sur l’avant dernier convoi mentionne « Suzanne Buisson, née Lévy, militante socialiste », précisant « emprisonnée à Montluc, elle est torturée mais ne livre aucun secret. Elle est internée à Fresnes, puis le 28 juin à Drancy [2]. »

Suzanne Lévy, épouse Buisson, qui a 61 ans, est assassinée le 5 juillet, date officielle, disparaissant dans les affres d’une tragédie sans comparaison dans l’ignominie, au déshonneur irrévocable de ceux qui l’ont voulue, soutenue et exécutée.

Léon Blum attend le 2 février 1946, alors que Georges Buisson vient de mourir, pour rendre un exemplaire et conjoint hommage à Suzanne Buisson dans le Populaire :

« Avant la guerre chacun dans le Parti respectait et admirait Suzanne comme un modèle. Elle était la militante accomplie, exemplaire, à qui le Parti peut tout demander, qui ne recule jamais devant aucune charge, qui d’ailleurs est apte à les remplir toutes par le caractère vraiment absolu du dévouement et du désintéressement. Mais des crises comme celles de la déroute et de la résistance agissent sur les êtes avec un étrange pouvoir de révélation. Chez des hommes que l’on croyait forts et purs on a u apparaitre la faiblesse ou la bassesse. Chez cette femme exacte, laborieuse, méthodique, modeste jusqu’au scrupule, une véritable héroïne s’est levée soudain. Parmi les noms qu’aucun socialiste de France n’aura le droit d’oublier jamais, car ils sont liés à la résurrection de notre parti en même temps qu’à la libération de la patrie, celle de Suzanne Buisson figure au premier rang. Dans la vie normale du Parti elle n’avait hésité devant aucune tâche ; dans la lutte clandestine, elle n’a reculé devant aucun danger. Le dévouement s’est haussé jusqu’à la plus téméraire intrépidité ; le désintéressement jusqu’au plus pur sacrifice […] Nous ne les reverrons plus, ni elle, ni Georges. Leurs deux noms s’ajoutent à la longue liste funèbre…L’humanité, depuis qu’elle existe, a toujours payé du meilleur de son sang chaque pas vers sa délivrance. »

Gérard da Silva, Suzanne Buisson, Socialiste, Féministe, Résistante, L’Harmattan, 2018, 20 €

BUISSON Suzanne, convoi 76
Elles étaient juives et résistantes-Convoi 76, Chantal Dossin
https://maitron.fr/?article18168

Daniel Mayer et Marthe Louis-Lévy :
http://www.lours.org/archives/default34f6.html?pid=904

[1Montaigne, Essais, Livre III, chapitre II, p.782, Pléiade, 1980 (la phrase de Montaigne est « chaque homme… »)

[2Chantal Dossin et Jeanine Thomas, L’avant dernier convoi Drancy-Auschwitz, p.62, Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah et Union des Déportés d’Auschwitz, 2010