Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Jacques Decour 1910-1942, résistant, écrivain

fusillé au mont Valérien en 1942. (archives des "Langues modernes")
samedi 15 avril 2017

"Je me considère un peu comme une feuille qui tombe de l’arbre pour faire du terreau. La qualité du terreau dépendra de celle des feuilles. Je veux parler de la jeunesse française, en qui je mets tout mon espoir." Jacques Decour

Les Langues Modernes, N° 1 / 1945 Association des professeurs de langues vivantes devenue l’APLV.

Nécrologie Daniel Decourdemanche

Jacques Decour, Cimetière de Montmartre
photo D. Dufourmantelle

Daniel Decourdemanche, en littérature Jacques Decour, fusillé par les Allemands le 30 mai 1942, naquit le 21 février 1910. Licencié en 1930, diplômé en 1931, il fut reçu en 1932, à l’agrégation d’allemand, par un jury qui avait eu vent du mécontentement provoqué chez les autorités universitaires allemandes, par la publication, sous le titre Philisterbourg [1], du journal que ce jeune assistant français avait rapporté de son séjour d’un an à Magdebourg.

Il professa à Reims, de 1932 à 1936, puis après un passage à Tours, il était nommé, en 1937, à Paris, au lycée Rollin, qui aujourd’hui porte son nom. Ses élèves ont dit ce que fut leur maître, ses collègues diront ce qu’ils pensent du germaniste qui travaillait à une thèse, dont le sujet, déposé en 1934, était « La religiosité romantique en Allemagne ». Il a d’ailleurs laissé une œuvre abondante, de nombreux articles ou essais, des traditions, des romans, et l’on en trouvera la liste, avec quelques extraits, dans la trop mince plaquette qui lui fut consacrée aux « Éditions de Minuit ».

Decourdemanche était d’une famille riche et ancienne où ne manquaient pas les fortes personnalités, tel l’aïeul magnifique, venu de l’Orient, voilà près d’un siècle, pour fonder à Paris une maison d’édition et régner sur son peuple de petits-enfants subjugués, où cette mère admirable, marquée du double signe de la douleur et de la lucidité. De qui Decourdemanche tenait-il ses dons, et sa précocité ? Son premier roman Le Sage et le Caporal, il l’a écrit à 17 ans, et un exemplaire d’avant-guerre, que nous retrouvâmes un jour sur les quais, portait déjà mention de la 7e édition... L’homme était la politesse même, la douceur et le désintéressement étaient dans son caractère, mais il avait aussi la force de ceux qui font leur destin.

Son père, agent de change parisien, avait en vain tenté de l’intéresser à sa charge, où Daniel eût réussi brillamment si ses goûts avaient été conformes à ses aptitudes ; il s’était détourné de la banque, comme il se détourna plus tard de son milieu. Ce patricien avait choisi de vivre avec les humbles. Faut-il croire qu’il céda à l’appel irrésistible et mystérieux, à la fatalité d’une vocation mystique ? Il n’avait pourtant point de goût pour l’ascétisme, il aimait les bons repas, les vêtements bien coupés, le confort... Certes, c’est un grand élan d’amour fraternel qui le portait au communisme, mais il y est allé en connaissance de cause, et de propos délibéré. Sa ferveur était lucide. Il plaçait dans le communisme tout l’espoir de l’humanité, en sa quête obstinée du bonheur. Résolument optimiste, il pensait qu’on peut transformer, améliorer les hommes, en les délivrant des servitudes que font peser sur eux la poursuite du profit et la course à l’argent. Il avait dirigé la revue Commune, et, dans la clandestinité, fondé l’Université libre et les Lettres françaises. Il aurait pu échapper aux recherches en se faisant muter en zone libre, mais c’eût été abandonner son poste, lâcher les camarades, le parti, où il s’était engagé sans retour. Son ami Politzer avait été arrêté le 15 février. C’est deux jours plus tard, en se rendant chez lui, que Decourdemanche était pris, à son tour, et la police française livrait, le 20 mars, les deux hommes aux Allemands.

On sait le reste, la détention, le secret, les interrogatoires, - hélas ! - le lent dépérissement, et cette lettre sublime écrite, au matin du supplice, dans la sérénité du sacrifice accepté, déjà accompli. Peut-être, s’il l’avait voulu, s’il avait seulement consenti à renier sa foi, sa famille, ses relations pouvaient-elles encore le sauver ? Mais, dès après son arrestation, il avait averti ses parents de s’abstenir de toute démarche. Il avait suivi sa route droite et brève, sans que le but entrevu ait pu l’en faire dévier. Mais le sang des martyrs ne coule pas en vain, il ranime les sceptiques, éclaire les aveugles, et, dans notre piété pour de tels hommes, il entre, avec le regret de ne les avoir pas assez aimés, autant de gratitude que d’admiration.

Maurice THIÉDOT, professeur d’Histoire au Lycée Decourdemanche.

N° 1 janvier-juin 1945 des Langues modernes

"... j’ai su faire mon devoir de Français.[...] je ne regrette pas d’avoir donné un sens à cette fin. Vous savez que je m’attendais depuis deux mois à ce qui m’arrive ce matin, aussi ai-je eu le temps de m’y préparer, mais comme je n’ai pas de religion, je n’ai pas sombré dans la méditation de la mort ; je me considère un peu comme une feuille qui tombe de l’arbre pour faire du terreau.
La qualité du terreau dépendra de celle des feuilles. Je veux parler de la jeunesse française, en qui je mets tout mon espoir." Jacques Decour
La vie à en mourir, lettres de fusillés 1941-1944, Taillandier, 2003

Quand vous voudrez de mes nouvelles..., de Jacques Decour, édité par Emmanuel Bluteau, La Thébaïde, 72 p.

Voir les résistantes Danielle Casanova, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Charlotte Delbo-Dudach
Danielle Casanova, résistante communiste, convoi du 24 janvier.
Marie-Claude Vaillant-Couturier, déportée à Auschwitz et à Ravensbrück
Charlotte Delbo, résistante, écrivain de la déportation, par Ghislaine Dunant

Plaque à Jacques Decour, photo NM

Fernand COHEN, fut professeur de physique-chimie au lycée Rollin (lycée Jacques Decour).

http://clioweb.canalblog.com/archives/2017/08/15/35582607.html

[1Philisterburg, Gallimard, Paris, 1932. Réédition Farrago, Tours, 2003