Roman Vishniac, « De Berlin à New- York, 1920-1975 »
exposition au MAHJ jusqu’au 25 janvier 2015.
Photographe amateur dans un premier temps, Vishniac devint photographe accompli en prenant toutes sortes de vues, d’abord dans son quartier de Wilmersdorf puis de toute la ville et ce dans les années 1920-1930. Images paisibles de la vie calme et insouciante du Berlin d’alors. Insouciance qui disparaît avec l’arrivée au pouvoir des nazis.
Les mesures vexatoires et discriminatoires s’abattent sur les Juifs berlinois. Ainsi en 1934, ils n’ont plus le droit de prendre des photographies dans les rues. Roman Vishniac passe outre, ce qui lui permet d’observer la rapide acclimatation de Berlin au nazisme. Les croix gammées fleurissent, la terreur règne, la peur s’insinue dans la Communauté juive.
Dans la seconde partie des années 1930, Vishniac est mandaté par les institutions et organisations juives de secours pour illustrer toutes leurs actions d’aide envers la population juive marginalisée. Il photographie, entre autre, des enfants et adolescents dans des écoles d’apprentissage. Des dispensaires ayant été créés, on y voit des médecins juifs auscultant des patients juifs. Les premiers n’ayant plus le droit de soigner des non-juifs, etc.
Une grande partie de l’exposition est consacrée à la vie juive en Europe Orientale. En effet l’American Jewish Joint Distrubution Committee (JOINT) charge Vishniac de parcourir une grande partie de l’Est Européen et notamment la Pologne. Il prend de nombreuses vues des villes mais aussi des villages (shtetlekh), et ceci dans le but d’illustrer des brochures et conférences afin de récolter des fonds.
C’est peu dire que ces photos reflètent le grand dénuement de familles entières, et surtout celui des enfants. Ces derniers, comme toujours, sont les premiers à souffrir de la folie des hommes. Ces vues sont extrêmement poignantes car l’on sait que peu survécurent ( pratiquement pas de personnes âgées et d’enfants).
Leur misère est telle qu’il ne leur manque que l’étoile jaune (absente en 1938) pour se croire devant les vues des ghettos qui apparurent quelques années plus tard.
Restez quelques instants devant la photo de cette magnifique petite fille juive aux cheveux blonds et aux yeux clairs. Tous les enfants sont beaux mais quand j’ai vu cette petite, si belle, si lumineuse malgré les haillons dont elle est vêtue, j’y ai vu aussi le démenti le plus évident des théories raciales aussi absurdes que funestes quant au type sémite des uns et au type aryen des autres.
Le périple de Vishniac le mène en 1939 en Hollande où les mouvements sionistes sont en plein essor. Il photographie des jeunes gens, garçons et filles qui travaillent la terre, construisent des bâtiments, manient pelles et marteaux.
Mais hélas les Allemands envahissent les Pays-Bas et sur les 315 jeunes de cette photographie, 175 périrent dans les camps d’extermination.
Une autre grande partie de l’exposition est consacrée à la vie juive dans la Pologne d’avant-guerre. Images d’un monde pratiquement disparu de nos jours puisqu’elles témoignent de l’univers des Juifs religieux et des écoles talmudiques en Galicie.
Rares sont les photos de France où Roman Vishniac travaille comme photographe indépendant d’avril à septembre 1939. À la fin 1939, il est arrêté et interné au camp du Ruchard, en Indre et Loire. Grâce aux démarches de sa femme et de ses amis, il est finalement libéré et parvient, avec son épouse, à quitter la France pour rejoindre les États-Unis.
Après toutes ces vues, pour beaucoup mortifères, la fin de l’exposition nous montre la vie qui reprend, timide, affaiblie mais présente, comme pour ces enfants, dont beaucoup d’orphelins, en partance pour les États-Unis où une nouvelle vie les attend, ou ces migrants, accoudés au bastingage d’un bateau qui les emmène en Israël.
Cette exposition qui débute par la vision joyeuse du Berlin cosmopolite des années 1920 se termine par la vision apocalyptique du même Berlin. Entre ces deux dates – 1920-1945 – il y eut entre 50-60 millions de morts dans le monde et la disparition quasi-totale des Juifs d’Europe centrale et orientale. Grâce au travail de Roman Vishniac et à l’initiative du Musée du Judaïsme, ils « revivent » sous nos yeux.
Catherine Monjanel.
http://www.mahj.org/fr/3_expositions/expo-Roman-Vishniac-De-Berlin-a-New-York.php
Pour en savoir plus :
La ferme-école Gut Winkel pour jeunes juifs allemands souhaitant émigrer en Palestine :
http://www.rosalux.de/fileadmin/rls_uploads/pdfs/Themen/Rechtsextremismus/Eine_F_rstenwalder_Geschichte.pdf
David, film de Peter Lilienthal, 120 min 1979, scénario de Jurek Becker et Ulla Ziemann d’après le roman de Joel König, sur la montée de l’antisémitisme à Berlin, une ferme- école avant le départ prévu en Palestine
http://tjctv.com/movies/david/
Berlin en ruines :
Allemagne, année zéro, Roberto Rosselini, 1948, 78 min
Les Assassins sont parmi nous ( Die Mörder sind unter uns), film de Wolfgang Staudte avec Hildegard Knef, DEFA, 1946, 91 min
Plaque à la mémoire de Kurt Hollaender, Sybelstraße 9, Berlin-Charlottenburg,
L’école Julius Stern ayant été aryanisée, Kurt Hollaender et ses soeurs, Suzanne et Mélanie, fondent une école de musique comprenant 24 enseignants et 150 élèves juifs. Kurt Hollaender, et sa femme Herta, ont été en octobre 1941 déportés dans le Ghetto de Litzmannstadt. Suzanne a été assassinée à Auschwitz. Mélanie a pu émigrer.
NM, décembre 2014