Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Aktion T4. Assassinat de malades mentaux et d’handicapés, Berlin

Mémorial. Opération T4, Berlin
vendredi 2 décembre 2022

Opération T4, programme d’euthanasie de malades mentaux, d’adultes handicapés, par les nazis.
Monument à Berlin, Tiergartenstraße, Charlottenburg.

Sculpture d’acier de Richard Serra, en hommage aux victimes de l’opération T4
Photo U. Schmoll, novembre 2022

L’opération T4, 1939-1941, nom de code pour désigner l’assassinat d’adultes handicapés physiques et mentaux, allemands et autrichiens, par le régime nazi, l’Eu-Aktion.

Photo U. Schmoll
  • Les raisons : de l’eugénisme à l’euthanasie
    .favoriser la reproduction des éléments « supérieurs »
    . lutter contre les éléments « inférieurs » par la loi de « prévention d’une descendance atteinte de maladie héréditaire » et la loi « contre les criminels habituels dangereux ».
  • Le nom T4
    « L’euthanasie des adultes », centralisée et planifiée par l’Etat nazi, tenait son nom de l’adresse de la Centrale administrative chargée de ce programme, qui se tenait à Berlin au 4 Tiergartenstraße (4, rue du jardin zoologique).
  • Les responsables 
    Déjà, K. Binding et A Hoche justifient juridiquement et médicalement en 1920 leur demande d‘« autorisation de suppression de vies indignes d’être vécues [1] ».
    En juillet 1939, Hitler a chargé le Reichsgesundheitsführer (Führer de la Santé du Reich), le docteur Leonardo Conti de régler la question de « l’euthanasie des adultes ». Conti a pressenti quinze à vingt spécialistes, souvent des sommités académiques parmi lesquelles, des professeurs d’université, des professeurs de psychiatrie, comme le titulaire de la chaire de Berlin, Max de Crinis, éminence grise de l’opération T4, et Karl Schneider, un professeur de l’Université de Heidelberg.
  • Les experts médicaux ont également fait appel à des toxicologues et pharmacologues, qui ont recherché la méthode la plus indolore et la plus efficace de tuer les patients, et ils ont choisi le monoxyde de carbone, ce gaz inodore, incolore, produit par exemple par un poêle à charbon, qui endort et tue sans souffrance.
    C’est à dire une Gnadentod, une mort miséricordieuse.






  • Le déroulement des opérations

 Établissement d’un questionnaire
En octobre 1939, une circulaire et un questionnaire ont été adressés à toutes les institutions chargées des handicapés, pour obtenir un recensement des patients, et l’application de cette « mesure de planification économique ». Le questionnaire comportait des questions médicales sur la fréquence des soins, le diagnostic, les rechutes éventuelles ou possibles, le pronostic de guérison, des questions sur les capacités de production du patient, comme l’épluchage de pommes de terre ou le remplissage d’oreillers, sur ses aptitudes professionnelles éventuelle. Les réponses à ces questionnaires permettaient de choisir, selon les deux critères de productivité et de curabilité, entre les patients qui vivraient et ceux à qui « accorder la délivrance par la mort », parce que jugés incurables.

 L’organisation médicale
Mi-octobre 1939, Hitler a délégué, par une lettre rétrodatée de septembre 1939, à travers le chef de la chancellerie du Führer, Bouhler, et Karl Brandt, les pleins pouvoirs aux médecins psychiatres en matière d’euthanasie. Si le signalement était obligatoire, aucun médecin n’était tenu de participer à l’euthanasie. Ceux qui en ont refusé la pratique, n’ont pas été inquiétés, ni entravés dans leur carrière, pas plus que ceux qui ont accepté, n’ont été favorisés.

En août 1940, au moment le plus fort, l’opération T4 a fonctionné avec près de quarante experts psychiatriques externes, comprenant onze professeurs d’universités de psychiatrie, les médecins du siège T4 à Berlin et les médecins responsables des « centres d’euthanasie » ; les deux directeurs médicaux, le Pr Nitsche et le Pr Heyde étaient des psychiatres, choisis parmi des professeurs de médecine.

 Le tri des patients : Vernichtung lebensunwertes Leben (destruction des vies indignes d’être vécues).
Les questionnaires remplis et retournés au centre T4 de Berlin, faisaient l’objet d’un premier tri des cas « évidents » ; le reste des questionnaires était transmis à cette commission de quarante experts, qui procédaient à une deuxième sélection, indiquée en rouge ou en bleu. Les dossiers étaient renvoyés à la centrale T4 qui organisait le transfert des patients pour « mesure de planification économique » vers un des six centres chargés de la mise à mort.

 Six centres d’euthanasie, équipés de chambre au monoxyde de carbone, ont été installés à Grafenek dans le Wurtemberg, Hadamar dans le Limbourg, Bernburg en Saxe, Brandenburg à 70 km de Berlin, Hartheim en Autriche, près de Linz et Sonnenstein en Saxe.

 Lettre aux familles
Puis les familles recevaient la lettre annonçant le décès, une cause médicale inventée et la nécessité de l’incinération pour éviter une soi-disant épidémie ; une demande de chèque accompagnait ce courrier pour couvrir les frais de réception de l’urne.

Villa T4, Philarmonie, Tiergarten
  • Les réactions de la population

Les familles d’enfants handicapés d’une même ville se connaissant souvent, ont pris conscience qu’il s’agissait d’une mort suspectée d’avoir été provoquée. La législation allemande considérant la mort provoquée de patients handicapés comme un homicide, les familles ont lancé des procédures judiciaires. Les nazis se sont inquiétés et un nouveau comité d’une quarantaine d’experts, souvent des professeurs de psychiatrie ou des généticiens humains, pas forcément des sommités universitaires comme Fritz Lenz, mais des universitaires bien établis ont demandé une loi.

Ces événements ont causé, en Allemagne, une agitation, dont les alliés se sont fait l’écho amplifié dans un programme radio, en allemand, de la BBC. Les alliés ont mis en garde la population allemande sur le fait que, si les nazis avaient commencé par la suppression des handicapés, demain ils pourraient continuer, par les soldats blessés au front et les vieux parents. Le clergé allemand a dénoncé l’assassinat des handicapés et en particulier Mgr Gallen, évêque de Münster, s’est exprimé à ce sujet dans un sermon en chaire ; l’impact a été important, d’autant qu’un certain nombre de nazis étaient chrétiens.

Les décideurs ont abandonné l’idée de légiférer et en août 1941, Hitler a fini par ordonner l’arrêt officiel de ce programme T4, qui a organisé la mise à mort de 70 000 handicapés, adultes et enfants, déclarés « réfractaires aux traitements ».

L’euthanasie des enfants s’est poursuivie jusqu’en 1945 et si l’opération T4 s’est arrêtée, d’autres opérations ont eu lieu.
L’euthanasie « sauvage » ou « régionale » était laissée à la discrétion de chaque asile, et a été poursuivie jusqu’en 1945.

De l ’Aktion T4 à l’Aktion Reinhard. U Schmoll

Extrait du Petit Cahier N°13 [2]
De l’eugénisme à la Shoah

Des experts, une centaine, de l’opération T4, ont continué leur œuvre de mort dans les camps d’extermination pour « libérer les camps des fardeaux inutiles » par les gaz, Aktion Reinhard, programme de la destruction des Juifs d’Europe.

  • Médiagraphie

ALY Götz, Les Anormaux : Les meurtres par euthanasie en Allemagne (1939-1945), Flammarion, 2014, 312 p.
« Un Allemand sur 8 a eu quelqu’un de sa famille, malade ou handicapé, « lebensunwertes Leben » (vie indigne d’être vécue) assassiné par les nazis », dit Götz Aly. 200 000 entre 1939 et 1945.
KLEE Ernst, La médecine nazie et ses victimes, Actes Sud, 1998
HAUTVAL Adélaïde, Anise Postel-Vinay, Médecine et crimes contre l’humanité : Le refus d’un médecin, déporté à Auschwitz, de participer aux expériences médicales, Le Félin, 2006 Adélaïde Hautval, (1906-1988) une biographie
SERENY Gitta, Au fond des ténèbres. Un bourreau parle : Franz Stangl, commandant de Treblinka - De l’euthanasie à l’assassinat de masse : un examen de conscience, Paris, Denoël, 1975
WEINDLING Paul, L’eugénisme, L’Hygiène de la Race. Eugénisme médical et Hygiène raciale en Allemagne, Préface de B. Massin, Paris, La Découverte, 1998.

Film de propagande :
(Ich klage an, 1941 (« J’accuse »), 119 min, film de Wolfgang Liebeneiner, avec Heidemarie Hatheyer, Paul Hartmann, Mathias Wieman).
Ce film met en scène un médecin mettant à mort son épouse atteinte de sclérose en plaques.

Amen, film de Costa-Gavras avec Ulrich Tukur, Mathieu Kassovitz. Kurt Gerstein, un officier SS allemand, enquête, 2002

Mémorial et informations sur les victimes de l’Aktion T4
Photo US

[1Cf. Platon, La République.

[2N°13 - Journée d’étude du 16 décembre 2000 : - L’eugénisme, l’euthanasie, la Shoah, conférence de Benoît Massin et table ronde, Les expériences médicales dans les camps nazis, avec Katy Hazan, Bernard Delpal, Esther Bensasson, Madeleine Szpitalnik, Anise Postel-Vinay, Stanislas Tomkiewicz. 2001, 43 p.