Compte rendu de la conférence-débat du 3 octobre 2007 au lycée Edgar Quinet
Marie Paule Hervieu, présidente du Cercle d’étude, présente les intervenants : Marc-Olivier Baruch, docteur en histoire, ancien élève de l’École polytechnique et de l’École nationale d’administration, directeur d’études à l’EHESS, (École des hautes études en sciences sociales), Colette Brull et Jacques Ullmann, étudiants en médecine, victimes du numerus clausus sous Vichy, Eliette Benattar, dont la sœur, Lydie a été une enfant exclue d’une école publique à Oran.
« Mes réflexions m’ont amené de plus en plus près du catholicisme où je vois l’achèvement le plus complet du judaïsme. Je me serais converti, si je n’avais vu se préparer depuis des années la formidable vague d’antisémitisme qui va déferler sur le monde. J’ai voulu rester parmi ceux qui seront demain des persécutés ». Henri Bergson, 1937
Le statut des juifs
Loi du 3 octobre 1940 « portant statut des Juifs »
Marc-Olivier Baruch est parti du statut des juifs du journal officiel du 18 octobre 1940, et s’est interrogé sur cette loi particulière, en rupture avec l’ordre politique républicain, et sur le rôle de l’administration à cette époque. Des gens vont être exclus, arrêtés, emprisonnés, spoliés, et cela va aller jusqu’à la complicité dans la mise à mort industrielle de personnes nées là où il ne fallait pas. « Ce n’était pas la France » dit de Gaulle. Mais c’est une loi française qui va être appliquée par le régime de Vichy.
Un antisémitisme d’État
Il existait en France, avant la guerre, un fort courant antisémite qui s’est manifesté avec l’affaire Dreyfus, puis avec Léon Blum. Dans ses bagages, Pétain amène la droite anti-Lumières, le clan maurrassien d’extrême droite. A l’époque, et même assez longtemps après la guerre, on a cru que la législation antisémite était un produit d’importation et que les nazis avaient imposé les Statuts aux Français. « Je me suis battu pour que les Français soient arrêtés par des Français » dit René Bousquet devant ses juges en 1950. Xavier Vallat va voir Danecker auquel il affirme : « Je pourrais être votre père en antisémitisme. Je n’ai pas de leçon à revoir de vous. » Le gouvernement de Vichy peut faire des textes valables pour l’ensemble du pays. Lorsque les Allemands prennent des ordonnances pour la zone occupée, le gouvernement de Vichy a déjà préparé sa législation. La zone sud n’a pas de statut d’occupation. L’étoile jaune, objet d’une ordonnance allemande, n’est pas portée en zone libre. Les mesures allemandes concernent la vie économique et sociale, alors que celles de Vichy sont des mesures politiques. Pour Vichy, il faut prendre des mesures de salubrité publique contre la présence des juifs qui représente un danger. L’université va être un lieu de prédilection de l’antisémitisme d’état, tout comme la justice, l’armée, la police, la diplomatie. Paul Baudoin rapporte qu’au conseil des ministres du 1er octobre 1940, c’est le maréchal qui se montre le plus sévère pour que la justice et l’enseignement ne contiennent aucun juif.
Dans le journal officiel d’octobre 1940, « Est regardé comme juif toute personne issue de 3 grands-parents juifs… ». On est regardé comme juif, désigné, exclu, livré surtout si on est étranger, et c’est Vichy qui est responsable de ce statut.
L’influence juive doit être limitée. La loi du 3 octobre 1940 prévoit un numerus clausus dans les professions libérales et l’interdiction des métiers de la presse et du cinéma, aux juifs. Ils ont l’interdiction absolue d’exercer de hautes fonctions comme chef d’état, ministre, préfet, diplomate. Le gouvernement n’a rien contre les juifs comme les anciens combattants, les épouses de prisonniers de guerre ou d’hommes qui ont la carte de combattants qui restent à leur place, dans des postes subalternes. Une exception est faite pour les juifs qui ont rendu des services exceptionnels.
L’application des décrets du 18 octobre 1940
Le 19 décembre, il ne doit plus y avoir de juifs fonctionnaires. Mais qu’est-ce qu’un juif, qu’est-ce qu’un fonctionnaire ? La loi est absurde. Les ministères vont faire preuve d’inventivité. Les proviseurs doivent trouver qui est juif de notoriété publique. Le ministre des finances fait signer un papier. Le ministre de l’intérieur considère comme juif, « tout individu présumé comme tel ». Pour les fonctionnaires, il n’y a pas de statut à l’époque. Les ministères régaliens comme la justice, la police, l’armée, appliquent l’antisémitisme d’État. Pour les ministères techniques, les compétences de la personne l’emportent sur l’antisémitisme.
Il y a une marge de manœuvre. Le conseil d’État qui s’interroge sur la loi, montre que l’on n’est plus dans le domaine du droit en voulant retirer l’influence des juifs de l’État.
La machine à exclure est mise en place
Un deuxième statut des juifs loi du 2 juin 1941, introduit le critère de la religion. La palme de l’exclusion va à l’Éducation nationale. La loi du 22 juillet 1941 sur l’aryanisation économique est faite pour éviter que les entreprises françaises passent sous contrôle des Allemands.
Le deuxième statut des juifs de juin 1941 est plus sévère pour élargir l’interdiction des fonctions ou emplois publics. Une traque aux emplois se met en place de façon arbitraire. Elle entraîne la perte de tous les moyens de vie. La résistance en 1943 fait comprendre aux préfets que les fonctionnaires ont des petites latitudes comme la grève du zèle. Un fonctionnaire est remarqué pour son « zèle humanitaire poussé à l’extrême ».
Lexique : les mots de la France sous l’occupation
L’antisémitisme est une réalité. La situation de la France en 1940, Pétain, figure vénérée, maréchal de France, républicain, le respect dû à la loi, la conscience professionnelle dévoyée, tout cela fait que le texte sur l’exclusion sera mis en œuvre sans difficultés par les fonctionnaires français.
Les thèses défendues par Michael Marrus et Robert Paxton dans Vichy et les juifs (Calmann-Lévy, 1981), selon lesquelles la population française aurait été profondément antisémite se révèlent fausses.
Jacques Ullmann démobilisé près de Limoges, revient à Paris en septembre 1940 pour reprendre son poste d’externe à la Salpétrière. Il lui est interdit de se présenter au concours d’externat de l’Assistance publique en octobre 1940. Il va à Lyon où il ne peut s’inscrire à la faculté de médecine, pétainiste, mais il s’inscrit à la faculté de sciences gaulliste. En 1942-1943, les facultés étaient plus laxistes et disposées à ne pas tenir compte des origines. Il a pu contourner la loi.
Colette Brull est étudiante en première année à la faculté de médecine de Paris, en 1939. En septembre 1940, presque tous les étudiants sont recalés aux examens. À la deuxième session organisée après un mouvement de protestation, elle est admise à passer en deuxième année. En 1941, malgré le numerus clausus, elle a pu s’inscrire, son père étant un ancien combattant. Elle apprend 15 jours avant qu’elle ne peut passer le concours d’externat de l’Assistance publique. Elle fait cependant des remplacements. Le Concours de l’hôpital Rothschild est autorisé pour les juifs. Suite à la rafle du Vél’ d’Hiv’, des enfants en très mauvais état sont transférés de Drancy à l’hôpital Rothschild. Un médecin des Hôpitaux de Paris est chargé d’inspecter les malades pour qu’ils ne restent pas trop longtemps à l’hôpital. Lorsque deux fillettes, Céline et Danielle, sont envoyées à Drancy, ils comprennent que les enfants sont en danger. Elle va à l’aide d’une assistante sociale, Claire Heyman, et d’un abbé, Menardais, faire sortir des enfants, le soir. En août 1942, des policiers français ont fait une rafle d’enfants étrangers parmi les enfants de l’orphelinat voisin.
Les Enfants juifs sauvés de l’hôpital Rothschild
Colette Brull-Ulmann, Hôpital Rothschild
Eliette Benattar expose la situation en Algérie où les juifs ont été exclus de la nation française. La loi du 3 octobre 1940 abolit le décret Crémieux d’octobre 1870. Ceci a pour conséquence d’exclure les juifs des fonctions publiques, mais aussi d’exclure les élèves et les étudiants des écoles, de l’enseignement secondaire et des universités par l’introduction d’un numerus clausus de plus en plus restrictif. Sa soeur, 6 ans a appris à la fois qu’elle était juive, et qu’elle n’irait plus à l’école publique en 1941. Elle était écartée de ses camarades, et n’avait plus accès à l’instruction. Les enfants exclus ont été accueillis dans des écoles privées. D’autres ont trouvé refuge avec leurs maîtres dans les synagogues. L’exclusion a duré jusqu’au débarquement américain. Le décret Crémieux a été rétabli en 1943
Marc-Olivier Baruch montre qu’il y a deux logiques, deux antisémitismes : un d’État avec Vichy et un d’extermination avec les Allemands.
Petit cahier N°3. Conférence-débat du 3 octobre 2007 : « Quand l’État français était antisémite : l’exclusion des juifs des fonctions publiques (1940-1944) » : conférence de M.-O. Baruch ; témoignages de C. Brull-Ulmann, J. Ulmann et E. Benattar ; article de R. Créange ; texte de M.-P. Hervieu sur J-G. Cohen ; hommage à Lucienne Lehmann-Netter. |
Le Régime de Vichy, année 1940
[1]
Racismes et mensonges, appel à la vigilance.
Malet-Isaac
Le « Malet-Isaac » « Bible » des années 1920-1960, écrit en réalité par Jules Isaac.
« La vérité historique n’a pas de patrie, ne porte pas d’écharpe tricolore »
Isaac, révoqué en 1940 en vertu du Statut des juifs de Vichy.
« Il n’était pas admissible que l’histoire de France soit enseignée aux jeunes Français par un Isaac » Abel Bonnard, ministre de l’éducation nationale sous Pétain, Gringoire, novembre 1942.
André KASPI, Jules Isaac ou la passion de la vérité, Plon, 2002
https:/www.lemonde.fr/idees/article/2018/07/14/pourquoi-le-malet-isaac-ne-fut-redige-que-par-isaac_5331378_3232.html
De l’antijudaïsme à l’antisémitisme raciste (1)
– Marc-Olivier BARUCH, Le Régime de Vichy, éd. La Découverte, Coll. Repères, 1996, Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944, Fayard, 1997, L’École polytechnique et les polytechniciens (1940-1944), Fayard, 2000
– Marc Olivier BARUCH, Keti IRUBETAGOYENA, Quand l’administraiton française était antisémite. Le statut des juifs, de l’archive au théâtre, Bleu autour, 2023
« Décembre 1940, Vichy. Des secrétaires d’État discutent les modalités de mise en application de la loi du 3 octobre 1940 portant sur le statut des juifs, reprenant les propos contenus dans les archives. Trois jours plus tard, toute personne désignée comme « israélite » se verra exclue de la fonction publique. »
« Jouer l’archive, octobre-décembre 1940 »
Sud-ouest pièce jouée aux archives départementales.
– Robert O. PAXTON (Sous la direction de), Olivier Corpet (Sous la direction de), Claire Paulhan (Sous la direction de), Archives de la vie littéraire sous l’occupation : A travers le désastre, Tallandier, 2009), 446 p.
– Jean-Claude DREYFUS, Le médecin juif errant : 1940-1943, La Cause Des Livres, 2009, 80 p.
« De 1940 à 1943, Jean-Claude Dreyfus a cherché sans relâche, de Paris à Toulouse, de Lyon au Bugue en Dordogne, de Rouen à Annecy, comment exercer son métier : médecin. »
François CUZIN, 1914-1944, normalien, a écrit une lettre de protestation à Jérôme Carcopino, secrétaire d’État à l’Éducation nationale, le 21 mars 1941, par solidarité avec ses camarades juifs interdits de concours, suite à la loi sur le statut des Juifs d’octobre 1940. Professeur de philosophie, résistant, il est exécuté le 19 juillet 1944 dans le Var.
– Les lois et le statut des juifs : sur le site de JM. MATISSON :
http://www.matisson-consultants.com/
La législation antisémite de Vichy, documentaire de Michel Kaptur, 2013
– Les rapports des préfets :
Edition des rapports du Militärbefehlshaber Frankreich et des Synthèses des rapports des préfets, 1940-1944 :
http://www.ihtp.cnrs.fr/prefets/
– Les juifs en Algérie :
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article149
L’année de l’Algérie au Lycée Edgar Quinet
– Laurent JOLY, L’État contre les juifs - Vichy, les nazis et la persécution antisémite, éditions Grasset, 2018
https://www.grasset.fr/letat-contre-les-juifs-9782246862994
Laurent Joly, La falsification de l’Histoire. Eric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs, Paris, Grasset, 2022.
Laurent Joly, Vichy et les juifs, avec Michael MARRUS, Livre de poche, 1024 p.
– Jacques SEMELIN, Persécutions et entraides dans la France occupée (Les Arènes, 2013) : La Survie des juifs en France. 1940-1944 (préface de Serge Klarsfeld, CNRS Editions, « Seconde guerre mondiale », 376 p.
Jérémy GUEDJ, Les Juifs français et le nazisme (1933-1939). L’Histoire renversée, avec une préface de Johann Chapoutot, Paris, PUF, 2024.
Des documents, des vidéos :
http://picpus.mmlc.northwestern.edu/mbin/WebObjects/Picpus.woa/wa/browseView
Boltanski Christophe, La Cache, Stock, 2015, 344 p.
Nicole Mullier, février 2008-octobre 2018-octobre 2024
[1] Statut des juifs : Quand l’ État français était antisémite, Marc-Olivier Baruch