Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Les Enfants juifs sauvés de l’hôpital Rothschild

documentaire de Jean-Christophe Portes et Rémi Bénichou
jeudi 1er octobre 2015

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’hôpital Rothschild est un établissement où peuvent encore exercer les médecins juifs, et où ils mettent en place une filière d’évasion pour les enfants juifs...

Projection du documentaire : « Les Enfants juifs sauvés de L’hôpital Rothschild » de Jean-Christophe Portes et Rémi Bénichou. (Dream Way productions, 2014)
CR Dominique Dufourmantelle

Jeudi 16 juillet 2015, Mémorial de la Shoah

« Durant la Seconde Guerre mondiale, l’hôpital Rothschild est un établissement où peuvent encore exercer les médecins juifs, et où ils mettent en place une filière d’évasion pour les enfants juifs. Ils maquillent les registres, déclarent des faux morts, arrachent les enfants à leurs mères et partent dans la nuit, munis de faux papiers. Cette histoire met en perspective la démarche de Colette Brull-Ulmann, 93 ans, pédiatre à la retraite, membre du réseau clandestin qui a sauvé de nombreux enfants. »

En présence des réalisateurs, de Katy Hazan, historienne de l’OSE, Colette Brull-Ulmann, pédiatre, Eric Colomer, producteur et Henri Ostrowiecki, témoin.

Compte-rendu

Katy Hazan souligne le ton juste du documentaire. Elle a été très choquée par l’article de Télérama disant que le film était larmoyant [1]. Elle s’inscrit en faux par rapport à cette impression.
J.C. Portes a mis douze ans avant de pouvoir réaliser ce film. Il a rencontré Colette en juin 2001. Après la lecture du livre Blouses blanches, étoiles jaunes, l’exclusion des médecins juifs en France sous l’Occupation de Bruno Halioua..., (trois ou quatre pages sont consacrées à l’hôpital Rothschild), l’idée était de faire un documentaire avec les témoignages, plusieurs personnes étant encore vivantes à l’époque. Jean-Christophe Portes a montré le film à plusieurs chaînes, sans succès. Il y a deux ans et demi, il travaillait pour Dream Productions, il a rencontré Eric et ils ont fait le film.

L’Hôpital Rothschild, « une histoire qui concentre beaucoup de choses qu’on peut dire sur cette période de l’Histoire, sur la Shoah », un lieu concentré, paradoxal, on soigne les gens avant la déportation.

Un témoin exceptionnel raconte l’histoire, ainsi que des enfants sauvés. Travail d’enquête, retrouver les témoins, écrire un film, construire le récit, « mettre les personnages en condition pour qu’ils puissent témoigner le plus sereinement possible de leur histoire. » Eric était très modeste par rapport à ce qu’il fallait faire en tant que réalisateur, ils ont travaillé tous ensemble.

Henri Ostrowiecki et Katy Hazan
Photo Dominique Dufourmantelle

Katy Hazan témoigne qu’ils ont été très scrupuleux : « Chaque fois qu’il y avait quelque chose d’historique, un point d’histoire, ils venaient consulter l’historienne que j’étais et je n’étais pas habituée à cela de la part de réalisateurs, c’est plutôt l’inverse ... »
Elle a donné quelques noms, celui de Marcel Goldberg dont elle connaissait l’histoire. Son mari Henri Ostrowiecki avait été à l’hôpital mais elle pensait qu’il n’était absolument pas passé par un réseau de résistance, que c’était sa mère qui avait donné un papier de l’UGIF. Au moment où le film se construit, ils ne savaient pas qu’Henri avait été sauvé par le réseau de Claire Heyman. Dans ce film tout a l’air naturel, on a l’impression qu’elle connaissait les témoins depuis toujours.

Colette Brull-Ulmann rencontre les témoins au moment où le film se construit, on n’est pas dans de la fiction.
Colette est très reconnaissante qu’on lui permette de parler de Claire Heyman. « J’ai été une petite exécutante, mais il y a quelqu’un à qui il fallait rendre hommage, c’est Claire qui a mis en danger sa vie pendant quatre ans, pour tout faire pour sauver les enfants. » Elle s’était énormément dévouée et elle ne voulait pas qu’on en parle, elle disait qu’elle n’avait fait que son devoir et elle trouvait que tout le monde aurait pu faire comme elle. « Je savais qu’elle s’était occupée de tous les enfants, moi j’en ai sorti quelques-uns, je ne sais plus lesquels...Tout ça c’est Claire Heyman qui l’a organisé. J’étais contente que le film soit fait de manière à lui rendre la justice qui lui est due. »

Henri Ostrowiecki a été recueilli par ses oncle et tante. Quand il posait des questions à sa tante qui l’avait sauvé, elle poussait des hurlements, « tu poses pas des questions comme ça, t’es en vie, c’est ça le plus important, tu te tais ». La question du comment du sauvetage est restée un flou. Un halo un peu opaque entourait cette histoire.

Son ressenti à propos du film :
"J’ai toujours eu dans mon dossier d’orphelin, l’autorisation que ma mère a donné à ma tante via le bureau de l’UGIF qui était à Drancy. Ce papier stipule que je suis "hospitalisé" à l’hôpital Rothschild. Chose que je n’avais jamais remarquée. Autorisation de venir me chercher que ma mère a signé, car elle ne savait pas écrire.

Le petit Riri, Henri Ostrowiecki

On voit à travers ce film la découverte au moment du tournage, du passage du statut d’interné, que Katy Hazan avait trouvé dans les Archives de l’Assistance Publique , à celui d’hospitalisé. Colette me fait remarquer que je suis rentré avec le statut d’"interné" donc avec impossibilité de sortir. Il y a donc eu un tour de passe-passe.
D’après Colette ce serait le travail de Claire Heyman et de son réseau de sauvetage.
Il a fallu ce film. « tout s’est éclairci. » « On était en train d’écrire un petit bout de cette histoire. » « Je remercie la production Rémi et Jean-Christophe d’avoir fait ce film. »

Une intervenante dans la salle, Maryvonne Braunschweig, évoque alors le rôle de l’abbé Ménardais qui procurait de faux certificats de baptême. Plusieurs couvents recueillaient les enfants. L’abbé était une des pièces du réseau de l’Hôpital Rothschild. Rien n’a été écrit, il n’y a pas d’archives.
10 000 enfants ont été sauvés par les œuvres. 6000 en zone sud, 4000 en zone occupée. Tous les réseaux de sauvetage ont travaillé ensemble.

Les réalisateurs insistent sur le caractère spontané du documentaire. Ce n’est pas un documentaire historique. L’idée de départ était que Colette Brull-Ulmann rencontre les enfants qu’elle avait sauvés, de vraies rencontres. Rien n’est truqué, aucun montage, aucune préméditation.
Colette dit qu’on ne pouvait pas préméditer. En parlant on a découvert en même temps, c’était évident. On n’avait pas eu l’occasion de se voir avant. C’est vraiment ce qu’on s’est dit pour la première fois.
Katy Hazan, historienne n’avait pas lu entre les lignes. Elle s’est occupée de l’histoire d’Henri depuis des années. Pour elle le papier de l’UGIF avait été dicté pour sa mère par le bureau de l’UGIF, mais elle n’avait pas pensé au réseau de sauvetage clandestin.
On voit alors la collaboration étroite entre l’historien, les archives et les témoins. Et on le voit se construire dans le film lui-même.

Malheureusement aucun historien ne s’est intéressé à l’histoire de Claire Heyman.
Il est dit par une intervenante que le médecin venu chercher les enfants était le professeur Brocard, contrôleur de l’infirmerie du camp de Drancy.
Suspendu de ses fonctions par arrêté du 10 septembre 1945 du Ministre de la Santé Publique, il est blanchi en deuxième instance. Il est nommé chef de service en pneumologie à l’hôpital Tenon le 1er janvier 1948, puis professeur titulaire de la chaire de pneumologie au CHU Saint-Antoine jusqu’en 1979. Il a eu la légion d’honneur.
La standardiste, des infirmiers, des médecins ont été déportés. Pour une évasion ils menaçaient de prendre quatre membres du personnel et de les mettre immédiatement dans des convois.
Fin 43, début 44, Brunner reprend tout en main et transforme Rothschild en hôpital-prison, c’était devenu l’annexe de Drancy. Il fallait soigner les gens avant de les déporter. L’endroit était très surveillé, avec des contrôles à la sortie de l’hôpital.
Colette s’exclame non sans humour : « Pas du tout un endroit à fréquenter, pas sympathique. »
Les Allemands auraient voulu que tous les juifs malades aillent à Rothschild.
Plus les années passaient, plus la défaite de l’Allemagne semblait probable, on soignait les juifs dans les hôpitaux.

Pour conclure  :
Il est important que ce film circule. L’anachronisme de ce lieu a donné lieu à un autre anachronisme, le trou historique, un trou dans l’Histoire. L’histoire spécifique de l’hôpital Rothschild sous l’occupation n’a pas été documentée par des historiens ou des écrivains. Parmi les adultes, il n’y a que Colette pour porter témoignage. Il y a des bouts épars, mais rien n’a jamais été d’un point de vue scientifique consolidé.

Un intervenant dans la salle :
« C’est sur ce point-là que je voulais insister aussi, pour dire que dans le fond, vu l’absence de travaux historiques, vous avez fait un travail de pionniers. Et je n’hésiterai pas à dire que dans le fond, vous avez fait un second sauvetage, sauvetage de cette mémoire, de ces histoires, de ce qui même prend forme à travers votre film et qui lui donne une épaisseur historique extraordinaire. »

CR Dominique Dufourmantelle, septembre 2015

Colette BRULL-ULMAN, Jean-Christophe PORTES, Les Enfants du dernier salut, City Éditions, 2017, 255 p.

Claire Heyman et l’Hôpital Rothschild :
Claude ALBERMAN Dominique DUFOURMANTELLE, Annie LYON-CAEN, Serge KLARSFELD, Une Juste juive à l’Hôpital Rothschild, Association Fils et Filles des Déportés Juifs de France, 2020
Commande : FFDJF, 32 rue de la Boétie, Paris, 75008

Colette Brull-Ulmann, Hôpital Rothschild
Exposition sur la Fondation Rothschild sous l’Occupation
Quand l’ État français était antisémite, Marc-Olivier Baruch

[1L’auteur de l’article reproche au documentaire "plusieurs effets de dramatisation"


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