Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

ROTSZTEIN Estelle, convoi 76

mercredi 21 juin 2023
Estelle Rotsztein, 17 ans déportée avec son frère, Léon, 9 ans, et sa mère, Chana, 43 ans.

Surnommée Estelle en famille, Esther Rotsztein, parfois Rosztajn ou Rosztain, était née le 24 décembre 1926 à Nancy où vivaient au numéro 94, rue de la Hache, sa mère Chana, née Brona, le 15 décembre 1901 dans le village de Rakow, en Pologne, et son père, Simcha, également d’origine polonaise. Son jeune frère, Léon, est né aussi à Nancy le 20 juin 1934.

Son père Simcha, alors célibataire, émigre le premier en France le 22 septembre 1923 [1] et s’établit à Nancy comme tailleur d’habits. Chana s’installe à son tour à Nancy le 16 novembre 1925 où elle épouse un an plus tard Simcha le 20 novembre 1926. Originaires de la même ville en Pologne, on ne sait si le jeune couple se connaissait avant leur émigration en France.
Apatride, Simcha fait alors sa demande de naturalisation en 1935, demande ajournée en 1939.

Pendant la guerre, la famille quitte la Lorraine, à une date inconnue, et se réfugie, avant juillet 1942, dans les Hautes- Pyrénées, à 50 kilomètres de la ville de Tarbes, dans le petit village de Tuzaget, situé à proximité de Lannemezan, et surtout des Pyrénées. Le passage de la frontière vers l’Espagne, à travers les Pyrénées, y était difficile, dans ce secteur, mais possible. De plus, au moins six familles juives originaires de Paris, s’étaient réfugiées dans ce village, certaines dès 1941, d’autres après la rafle du Vél’ d’Hiv : les Guttmann, les Osman, les Kadenski, les Jackson, les Jachson, les Rozenberg, les Kutas, les Zytaner et les Winiaker. Il semble que certaines familles étaient parentes ou se connaissaient et s’étaient donné l’information, d’autant plus qu’une famille d’agriculteurs de la commune, la famille Marmouget, avait hébergé clandestinement plusieurs de ces familles. Pour l’aide offerte à ces familles persécutées, les Marmouget seront honorés du titre de Justes de France en 1992.

A Tuzaguet, Symcha Rotzstein est employé dans la teinturerie de Henri Dasque où il laisse le souvenir d’un ouvrier très habile. La menace est permanente, une arrestation opérée par des gendarmes français a déjà eu lieu dans la teinturerie qui emploiera jusqu’à cinq Juifs.

Par prudence probablement, les deux enfants, Estelle et Léon, avaient été cachés dès l’hiver 1942 dans des institutions catholiques de Tarbes, Estelle au couvent du Pradeau avec Rosa et Lili Rozenberg sous la protection de la Mère Supérieure Céraphie Sainte-Anne et de la Sœur infirmière, et Léon dans une autre institution dont le nom n’est pas connu. Les hauts murs du couvent offrent un asile à ces enfants, présentés aux autres pensionnaires comme protestantes et sous une fausse identité. Outre la séparation traumatisante, elles perdent dès lors tout contact avec leurs parents, aucune visite, sortie ou vacance n’étant autorisées. Les filles cachées, portant le traditionnel uniforme et le chapeau bleu marine, déscolarisées, participent à la vie du couvent, aident à la bibliothèque. Souffrant de solitude, elles se préservent en évitant d’aborder tout sujet concernant la vie extérieure au couvent, notamment le sujet trop douloureux de leurs parents.

Photographie de Léon Rotsztein avant la guerre

Face à des menaces de rafles grandissantes dans la région, la plupart des hommes de ces familles sont déjà partis pour l’Espagne, en mars 1944 avec des passeurs. Comme tout s’est bien passé pour eux, ils demandent à leurs familles de les rejoindre par la même filière avec les mêmes passeurs. Chana Rotsztein se rend donc à Tarbes fin mai 1944 pour récupérer ses deux enfants cachés Estelle et Léon en vue de leur départ imminent pour l’Espagne.

Ainsi, à la tombée de la nuit, le 2 juin 1944, Chana Rotsztein et ses deux enfants avec 18 personnes dont 8 enfants et adolescents de 8 à 16 ans, pour la plupart nés en France, tentent ce périple extrêmement risqué. Durant la journée suivante, le groupe de candidats à l’évasion se cache dans une grange et ne reprend sa marche qu’à la nuit tombée du 3 juin 1944. Trahis par leur passeur, ils sont interpellés vers 2h du matin par des douaniers allemands dans une prairie bordant la voie ferrée Luchon-Montréjeau à Chaum en Haute-Garonne près de Saint-Béat. Une adolescente, Rosa Rozenberg, 16 ans, parvient à s’échapper en agrippant instinctivement le bras d’un des deux passeurs qui s’enfuient via le lit d’un cours d’eau, déroutant le flair des chiens, mais un homme, Jacques Kadenski, est tué devant sa femme et son fils par les balles allemandes qui fusent de toutes parts pendant près de 30 min. Les recherches pour retrouver la fugitive durent jusqu’à 7h du matin. Les 16 restants sont amenés au poste allemand de Cierp puis internés dans les geôles de la Gestapo de Luchon, puis à Toulouse (prison Saint-Michel puis Caffarelli) avant d’être rapidement transférés à Drancy où ils entrent le 19 juin 1944 avec plus de 100 Juifs arrêtés dans la région de Toulouse. Leurs numéros matricule sont 24127, 24128 et 24129. Dix jours après leur arrivée, le 30 juin, ils sont conduits à la gare de Bobigny avec 1153 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy.

Le voyage qui dure quatre jours, par une chaleur torride, dût être particulièrement épuisant pour cette mère, seule dans ces wagons à bestiaux plombés avec ses deux enfants âgés de 9 et 17 ans. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la "rampe d’Auschwitz" où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés " aptes " pour le travail. Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés désignés pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car les camps deviennent, en 1944, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre. L’autre moitié du convoi, les malades et les enfants, dits "inaptes" au travail, sont gazés dès l’arrivée.

Il est probable que Chana Rozenstein et son fils Léon, âgé de 9 ans aient été gazés dès l’arrivée à Birkenau. Visiblement séparée de sa mère et de son frère, Estelle, âgée de 17 ans, entre au camp de femmes de Birkenau, avec le numéro matricule A-8671. Elle est détenue dans la baraque 22 dans laquelle ont été internées une partie des femmes de ce convoi. Elle survit jusqu’à l’évacuation du camp le 18 janvier 1945. Elle reste au camp ainsi qu’une vingtaine de déportées du convoi 76, malades ou n’étant pas en état de marcher, donc restées à l’infirmerie de Birkenau. Estelle déclare avoir eu les pieds gelés, ce qui explique probablement qu’elle soit restée au camp au moment de l’évacuation. Libérées par l’Armée rouge le 27 janvier 1944, ces malades sont installées dans les blocs du camp d’Auschwitz où elles vont être soignées par des médecins et infirmières de la Croix Rouge polonaise. Ainsi, bien que généralement âgées, la plupart de ces femmes sont rentrées. Estelle Rotsztein est rapatriée le 11 mai 1945. Elle suit l’itinéraire de la plupart des déportés restés au camp d’Auschwitz. Elle est conduite à Cracovie où l’on regroupait les rapatriés. Puis gagne en train Odessa d’où elle prend un paquebot pour Marseille. A son retour, malgré un poids tolérable de 55 kilos, récupéré probablement après les soins prodigués au Lazaret d’Auschwitz, de janvier à mai 1945, elle déclare avoir eu les pieds gelés et avoir été abusée sexuellement 2 mois auparavant.

Extrait de la liste des Français malades encore au camp d’Oswiecin ( Auschwitz) le 7 mars 1945
Y figure le nom "d’Estalle Rotsztein", noms et prénoms mal orthographiés.

Par la suite, elle revient à Nancy, sa ville natale où elle fait la connaissance de Charles Gottlieb, alors qu’elle venait s’inscrire à l’association des déportés dont fait partie Charles. Elle l’épouse le 25 juin 1948. Charles Gottlieb avait fui la Lorraine avec sa famille en 1940 et, entré dans la résistance, avait été arrêté à Lyon et déporté à Auschwitz, comme Estelle Rotsztein. Ils avaient 21 et 22 ans et ont eu deux enfants, Annie et Luc Ils ont travaillé ensemble toute leur vie à Nancy, dans le prêt à porter et à force de travail et d’entreprise, ont fait fructifier leur affaire. Belle revanche sur la vie. En 1980, à l’âge de la retraite, ils partent s’installer à Nice où Estelle décèdera le 15 février 2008, à l’âge de 82 ans.

Charles témoignera inlassablement de son parcours de résistant déporté devant les élèves du département des Alpes-maritimes, afin de transmettre aux jeunes la mémoire de la barbarie nazie. Il est décédé le lendemain du 8 mai 2015 à Cagnes-sur-mer.
Leurs deux enfants sont également décédés aujourd’hui et n’ont pas de descendance directe.

Musée de la Résistance et de la Déportation de Tarbes

Sources : DAVCC- AC21P617752-AC21P 533216- mémorial de la Shoah- Témoignages familiaux. Écrit en collaboration avec Sandrine Espouey, documentaliste au Musée de la déportation et de la résistance des Hautes-Pyrénées, 63 rue Georges Lasalle, 65000 Tarbes

Chantal Dossin
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Liste du Convoi 76 et liens vers des notices biographiques

[1État des Israélites étrangers dans le canton de Saint-Laurent, 7 juillet 1942, Archives Départementales des Hautes-Pyrénées 12W70 dossier Israélites, Recensement de juillet 1942, brigade de gendarmerie.