Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

FAMILLE ROTH, convoi 76

mardi 9 mai 2023
Marcelle Roth, épouse Angelergues, 23 ans, ses frères jumeaux, Paul et André, 20 ans, déportés avec leur sœur cadette Françoise, 17 ans et leur mère Laure.
Laure Roth et Joannès sur la plage de Villers-sur-mer en 1939
Archives familiales

Laure Roth est née Wildenstein le 18 novembre 1889, à Fegersheim, près de Strasbourg, dans le Bas-Rhin. Elle est mariée à Joannès, né à Lyon, le 12 juin 1887. Ils font partie des vieilles familles françaises d’origine juive totalement intégrées.

Joannès est représentant en métallurgie, il a combattu pour la France pendant la 1ère guerre mondiale et est titulaire de la croix de guerre et de la médaille d’Orient. Après la guerre naissent quatre enfants, Marcelle, en 1921, les jumeaux, André "le turbulent" et Paul, "le placide", en 1924, et Françoise en 1927. La famille vit à Lyon.
Au début des années 1930, ils s’installent à Paris, 7 rue Chaptal, dans le 9ème arrondissement.

De gauche à droite, Françoise, André, Marcelle et Paul (1939)
Archives familliales
Photographies des quatre enfants avant-guerre, de gauche à droite et de haut en bas, Paul, André, Marcelle, Françoise, avant guerre

En 1940, l’exode les mène aux environs de Tours, puis ils retournent à Paris, pour des raisons professionnelles. Au lycée le jeune Paul perçoit les premières marques d’antisémitisme de la part de lycéens français. Puis les premières lois antisémites touchent la famille. Joannès est dépossédé de son entreprise. Tous se déclarent Juifs lors du recensement des Juifs ordonné par le gouvernement de Vichy en juin 1941. Marcelle se souvient d’avoir porté, ainsi que son père, l’étoile jaune discriminatoire, alors qu’elle était en première année de médecine à Paris.

En 1942, la famille se replie à Lyon. C’est probablement à ce moment que Joannès entre dans la Résistance sous le nom de Leblanc. Il fait partie du réseau F2, un réseau de renseignements franco-polonais, lié à l’armée secrète. Il fournit des renseignements stratégiques à Londres. Dans le cadre de dénonciations relatives à son réseau, il est arrêté à Lyon le 14 août 1943, interné pendant trois mois à la prison de Montluc. Il est conduit, à plusieurs reprises probablement, à la Gestapo, boulevard Berthelot, où il est interrogé et torturé par l’équipe de Klaus Barbie. Malgré ces tortures, Il réussit à ne livrer aucun des camarades de son réseau. Il est ensuite transféré au camp de Compiègne, puis déporté le 17 janvier 1944 au camp de Buchenwald.

Le reste de la famille se réfugié à Villeurbanne. André entre dans un groupe de lycéens résistants rassemblés dans le Front uni de la jeunesse (FUJ). Il participe à des distributions de tracts et de journaux clandestins, mais aussi à des transports d’armes.


Attestation des activités résistantes d’André dans le grouoe de résistants lyonnais dénommé "le coq enchaîné "


Titre de déporté résistant attribué à André Roth en 1955

Tous les cinq, les 4 enfants et leur mère sont arrêtés à leur domicile, au 78 rue-Germain le 22 mai 1944.

Renseignements sur les conditions de l’arrestation de la famille Roth figurant dans le dossier de déporté de Marcelle Roth

À un mois du bac, précise Paul, alors en terminale " Maths élem ", comme André. Marcelle est en deuxième année de médecine, à la faculté, et Françoise est en classe de première. Ils sont conduits à la Gestapo, puis internés à la prison de Montluc. Les deux garçons dans la sinistre" baraque aux Juifs" de Montluc et la mère et les deux filles dans la cellule 7. Cela durant quatre semaines. Puis c’est le départ pour Drancy où ils entrent le 21 juin avec une centaine de Juifs arrêtés dans la région lyonnaise. Ils ont les numéros matricule 24236 à 24240. Paul et André retrouvent leur mère et leurs sœurs.

Peu après, Le 30 juin, ils sont conduits à la gare de Bobigny avec 1153 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy. Le voyage qui dure quatre jours, par une chaleur torride, est particulièrement épuisant pour ces familles entassées dans des wagons à bestiaux plombés. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la "rampe d’Auschwitz" où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés " aptes " pour le travail. Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés désignés pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car les camps deviennent, en 1944, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre. L’autre moitié du convoi, les malades et les enfants, dits "inaptes" au travail, sont gazés dès l’arrivée. Les quatre enfants, jeunes, entrent au camp, alors que leur mère est gazée dès l’arrivée, comme ils l’apprendront plus tard.

Paul et André sont dirigés vers le camp d’Auschwitz III situé à une dizaine de kilomètres d’Auschwitz près du village de Monowitz. Y était installée l’usine surnommée « Buna », d’IG Farben-Industrie destinée à fabriquer du caoutchouc synthétique où ils vont travailler.. Ils deviennent les déportés A-16838 et A-16839. Les deux frères restent ensemble, ce qui était précieux pour survivre à Auschwitz. Françoise et Marcelle entrent au camp de femmes de Birkenau, matricules A-8872 et A-8873. Elles aussi restent ensemble jusqu’à ce que Françoise entre au Revier.

Marcelle, quant à elle, est transférée le 15 octobre au camp de Ravensbrück. Après deux mois environ, elle est envoyée, avec un groupe de femmes, près de Leipzig, dans un Kommando du camp de Buchenwald, où elles travaillent dans une usine d’armement du groupe Hasag Hugo Schneider. Elles vérifient des cartouches et munitions, mélangeant chaque fois que c’était possible les bonnes et les mauvaises pièces. Un hasard extraordinaire veut que Marcelle croise son père, transféré à Leipzig. "Elle le reconnaît, s’élance et s’accroche à son cou. Coups de schlague, jetée au cachot". Le chef du camp et le commandant, peut-être plus cléments à la veille de la défaite, lui accordent cependant une entrevue d’une heure avec son père. Elle connaît alors les conditions de son arrestation, les tortures subies et son activité militante à Buchenwald. Quant à Joannès, il apprend l’arrestation de sa famille.

Puis a lieu l’évacuation du camp., dans la nuit du 13 au 14 avril 1945, nouvelle marche. Au cours de l’évacuation, elle aperçoit encore son père, affaibli. Lui qui avait subi tant d’épreuves décèdera au cours de ces nouvelles marches, le 4 mai 1945, à Ladisdorf, à la frontière des Sudètes. Avec son amie Lisette, Marcelle s’évade de la colonne, se laissant glisser dans un fossé. Étonnées de se sentir libres, elles marchent encore. Après avoir volé un tracteur, elles traversent l’Allemagne et les lignes de front avec des prisonniers de guerre français et sont finalement prises en charge par la Croix Rouge. Elles passent la frontière française en autocar à Saint-André et aboutissent au Lutetia le 14 mai 1945.

Françoise, elle, au moment de l’évacuation du camp, est transférée du "Revier" de Birkenau à l’hôpital d’Auschwitz. Malgré les soins, elle décède le 11 mars 1945, des suites probables d’une primo-infection et, surtout, d’épuisement.

Paul et André, eux, effectuent, le 18 janvier 1945, la première marche de la mort, une marche de 60 kilomètres sur des routes enneigées , en plein hiver, jusqu’à la ville de Gleiwitz, un Kommando du camp d’Auschwitz. Ils luttent pour ne pas s’endormir debout, puis, le 20 ou le 21 janvier, sont embarqués dans des wagons à charbon que les hommes rentrés dénommaient "wagons découverts", car sans toit, donc ouverts à tous les vents, à la neige et au froid, sans recevoir de nourriture. Après six jours de transport, ils arrivent épuisés, mais vivants, le 26 janvier 1945, au camp de Buchenwald.

Pas de travail forcé. Atteints de pneumonie, ils entrent à l’infirmerie du camp. Paul perdait espoir, se sentant proche de la fin. Ils sont finalement libérés ensemble en février 1945 par les GI’s du général Patton. Paul exprimait sa reconnaissance envers Marcelle qui parvient à mettre sur pied un train sanitaire pour les rapatrier le 1er juin 1945.

A leur retour, Paul et André ne retrouvent donc que Marcelle. Courageusement, Marcelle s’occupe de ses deux frères. Paul, très affaibli, pèse 38 kilos pour 1m.80. André est plus faible encore, il ne pèse que 36 kilos pour 1m.82. Malades, ils sont donc longtemps hospitalisés. Mais ils reprennent tous finalement leurs études. Après quoi André continuera le métier de représentant en métallurgie, Paul " fait médecine", comme Marcelle. Il installe son cabinet de médecin généraliste à Villeparisis, puis à Boulogne-Billancourt où il exerce pendant quarante ans. Les deux frères, à côté de leur activité professionnelle, se sont consacrés à l’art, André dans la peinture, Paul dans la sculpture, comme si l’art leur permettait d’écarter l’ignominie de la déportation. Marcelle a repris ses études de médecine et a obtenu la qualification de médecin psychiatre. Elle a exercé pendant 30 ans au dispensaire Alice Grosperrin de la FNDIRP où elle a assuré jusqu’à sa retraite la consultation de psychiatrie.

Leur reconstruction est aussi passée par la fondation d’un foyer. Marcelle a épousé René Angelergues, psychiatre. Ils ont eu deux enfants, une fille et un fils. Paul, marié en 1951 a eu deux enfants. André s’est marié en 1947 avec Paulette qui était sa petite amie avant sa déportation. Ils ont eu quatre enfants ( deux filles et deux fils jumeaux, à l’image de sa fratrie).

Et ils ont aujourd’hui de nombreux petits-enfants et arrière petits enfants.
André est décédé dans sa quatre-vingtième année, le 8 janvier 2004. Paul est décédé récemment, le 4 mars 2023, à l’âge de 98 ans. Marcelle est la dernière survivante directe de sa famille, alors, dit-elle, qu’elle était la plus âgée.

Le cri, sculpture de Paul Roth
Fonds privé

Paul Roth, rescapé des camps d’Auschwitz et de Buchenwald

Chantal Dossin

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