Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

FAMILLE TOUBERT

dimanche 21 avril 2024

Famille Toubert, David, 44 ans, Blanche ou Brucha 47 ans, Lucien, appelé Gilbert, 19 ans

Le nom de cette famille orthographié Tauberg sur les documents de la période de la déportation (fiches de Drancy, listes de déportés, fiches Arolsen) a été modifié en 1974 au profit de Toubert, le nom d’origine, à la demande de David Toubert, appelé Théo en famille.

Cette famille est originaire de Russie ; les parents de David Toubert, Elias et Sarah, née Tcherna, sont arrivés en France à la fin du XIXème siècle. Ils se sont installés dans ce pays des droits de l’homme où ils pensaient être à l’abri des pogroms et s’y sont bien intégrés. Elias Toubert est orfèvre (bijoutier fabriquant des bijoux). David suit ses études au Lycée Charlemagne où il prépare la seconde partie du baccalauréat en 1917.

Photographie de Brucha et David Toubert pendant l’entre-deux-guerres

David Toubert s’est marié le 6 mai 1924 à Anvers avec Blanche ou Brucha (appelée Bonnette en famille) née Hillel, le 21 octobre 1896 à Cracovie et dont la famille vivait en Belgique. Ils ont dû s’y connaître, car David Toubert, étant diamantaire, a pu s’y rendre pour des raisons professionnelles. Ils ont ensuite vécu à Paris, au 7, Place de la République, dans le 3ème arrondissement. Ils ont eu deux enfants, Gilbert, (désigné sur les actes de son dossier de déporté conservé à Caen sous le nom de Lucien, son 3e prénom) né à Paris, dans le 10e arrondissement, le 14 mai 1925 et, Hilel Hubert, né à Paris le 31 juillet 1934.

En mai 1940, quelques jours avant le début de l’offensive allemande, la famille de Brucha Toubert quitte la Belgique, entre en France et arrive en gare de Toulouse le 10 mai. Les autorités de Toulouse, débordées, les répartissent dans d’autres villes de la Haute-Garonne. Les membres de la famille de Brucha sont envoyés dans deux petites communes voisines, à 60 kilomètres de Toulouse, Saint-Gaudens et Clarac. David, Brucha Toubert et leurs enfants les y rejoignent. Les sœurs de Brucha Toubert, Rosalie et Marya ont l’intention de quitter l’Europe. Leur demande de visa est appuyée par le commissaire de police de Saint-Gaudens qui stipule que "leur départ est motivé par les représailles exercées sur les Juifs en zone occupée" et le 13 août 1942, Rosalie, Marya et son mari obtiennent un visa pour le Venezuela, via l’Espagne. En fait, elles vont vivre à Barcelone pendant une partie de la guerre.

Après la grande rafle du 26 août 1942 qui a lieu dans toute la zone sud, une partie de la famille est assignée à résidence, à Aulus-les-bains. David Toubert et sa famille, qui sont Français d’origine, par prudence probablement, se réfugient dans le petit village de Graulhet, dans le département du Tarn. A ce moment, selon une attestation des responsables datée de 1946 David Toubert et son fils Gilbert sont engagés dans un réseau de résistance, implanté à Toulouse, le réseau Gérard. David Toubert était agent de liaison du réseau.

Dans un premier temps, le deuxième fils de David et Brucha Toubert, Hubert, alors âgé de 9 ans, passe la frontière espagnole, sans le reste de la famille ; il est confié à un passeur, et doit rejoindre ses deux tantes qui se trouvaient à Barcelone. Pourquoi lui seul ? Selon la famille, Il semble qu’étant jeune, il ne devait pas posséder de papiers d’identité, donc en cas de contrôle serait supposé être le fils du passeur. Il retrouvera ses tantes et ira au lycée de Barcelone, de 1943 à 1945.

Photographie de Gilbert Toubert non datée ( entre enfance et adolescence)


David, Brucha et Gilbert Toubert sont, eux, arrêtés par la Gestapo, le 6 juin 1944, dans le village de Saint-Louis, dans le département de l’Aude, alors qu’ils étaient en route pour gagner, à leur tour, la frontière espagnole. Ils sont internés à la prison de la Citadelle à Perpignan, puis transférés avec 15 personnes arrêtées dans les Pyrénées orientales au Camp de Drancy le 22 juin. Ils reçoivent les numéros matricule 24378, 24379, et 24380. La fiche de leur carnet de fouille dit qu’ils remettent au chef de la police du camp la somme de 69 francs, puisque chaque interné devait remettre argent et objets de valeur à son arrivée au camp. Une semaine après, le 30 juin, ils sont conduits à la gare de Bobigny avec 1153 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy.

Le voyage qui dure quatre jours, par une chaleur torride, est particulièrement épuisant pour ces familles entassées dans des wagons à bestiaux plombés. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la "rampe d’Auschwitz" où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés " aptes " pour le travail. Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés désignés pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car les camps deviennent, en 1944, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre. L’autre moitié du convoi, les malades et les enfants, dits "inaptes" au travail, sont gazés dès l’arrivée.

Ils rentrent au camp tous les trois. Pour Brucha Toubert, ce sera le camp de femmes de Birkenau. Désormais, elle ne sera plus appelée par son nom, mais par son numéro, le A-8705. Pour David et Lucien Toubert, ce sera le camp d’Auschwitz III situé à une dizaine de kilomètres d’Auschwitz près du village de Monowitz. Y était installée l’usine surnommée « Buna », d’IG Farben-Industrie destinée à fabriquer du caoutchouc synthétique. Eux seront les déportés A- 16890 et 16891.

Brucha survit, malgré son âge, jusqu’à la libération du camp par les Russes, le 26 janvier 1945. (Sa connaissance de la langue allemande l’a peut-être aidée à survivre). Elle est alors soignée dans les blocs du camp d’Auschwitz par des médecins et infirmiers de la Croix Rouge polonaise. Elle figure sur la liste établie en février, puis en mars 1945 par le docteur Sellert qui recense ces déportés restés au camp, âgés pour la plupart, ou malades et qui y sont soignés. Ainsi sauvée, elle est rapatriée le 5 avril 1945 par bateau d’Odessa à destination de Marseille. En témoigne la pochette qu’elle a brodée, à son retour.

Broderie effectuée par Brucha à son retour du camp, sur le bateau selon sa famille. Elle y représente son itinéraire de retour en bateau d’Odessa à Marseille. Document précieux conservé par sa famille.Les déportés restés au camp le 18 janvier 1945 suivaient cet itinéraire lors de leur rapatriement)

David et Gilbert, son fils, survivent également jusqu’au 18 janvier 1945. Ils font partie des 250 à 300 déportés du convoi 76 évacués du camp de Monovitz. Ils effectuent, probablement ensemble, la première marche de la mort , une marche de 60 kilomètres sur des routes enneigées, en plein hiver, jusqu’à la ville de Gleiwitz, un Kommando du camp d’Auschwitz. Le 20 ou le 21 janvier, 2451 déportés sont entassés dans des wagons à charbon que les hommes rentrés dénommaient "wagons découverts", car sans toit, donc ouverts à tous les vents, à la neige et au froid, sans recevoir de nourriture.

Carte personnelle de Gilbert Toubert, orthographié Lucien : numéro matricule au camp, identité, date et cause du décès, Hirnhautentzündung = méningite, selon le médecin du camp ( archives Arolsen)

Après six jours de transport, ils arrivent vivants avec 100 hommes du convoi 76 le 26 janvier 1945 au camp de Buchenwald. Nouveau camp, nouveau matricule. Leurs numéros se suivent, 123337 et 123338, comme ils se suivaient au camp de Monowitz. Ce qui prouve qu’ils ont tout vécu ensemble, depuis le début de leur internement, la vie au camp, les marches de la mort et la vie au camp de Buchenwald. Probablement jusqu’au décès de Gilbert Toubert. Se rendant à l’infirmerie du camp, contre l’avis de son père, il y décède le 22 février 1945. Le médecin note dans le document d’archive du camp de Buchenwald que la cause de sa mort était une méningite ; on peut penser que les épreuves subies en sont, bien sûr, la première cause. David Toubert survit jusqu’à la libération du camp. Son poids, à son retour, est de 37 Kilos contre 90 auparavant. Il sera rapatrié par train sanitaire le 30 avril 1945. Il est resté hospitalisé pendant plus d’une année. La vie restera difficile pour ces parents rentrés sans leur fils aîné. Par ailleurs, l’appartement (à usage d’habitation et de commerce) et les biens de la place de la République ont été saisis, ce qui nécessita de nombreuses démarches pendant des décennies. David reprendra une activité de bijoutier. Il représente la France lors des congrès de diamantaires de 1954 et 1955 organisés par la Fédération mondiale des diamantaires et bijoutiers.

Le deuxième fils de David et Brucha Toubert, Hubert, sauvé par son passage en Espagne, restera toujours aux côtés de ses parents jusqu’à leur décès respectif, en s’occupant d’eux à chaque instant. Il s’est marié en 1964 avec Pascale Goldstein, née en France. Ils ont donné naissance à trois enfants, Arnaud, Aude et Axel. Ils ont eux-mêmes donné naissance à 13 petits-enfants. Une volonté de reconstruction des descendants de David et Brucha Toubert.

David Toubert est décédé le 2 janvier 1974, à Paris, dans le 3ème arrondissement.
Blanche, elle, est décédée le 17 juin 1982, à l’âge de 86 ans, à Paris, à l’hôpital Ambroise Paré.

S’il y a un symbole à retenir, c’est la mention apposée "Mort pour le France"sur l’acte de décès de Gilbert Toubert. Il est parti à l’âge de 19 ans, laissant inconsolables ses proches.

Sources : DAVCC, AC21P 542976-629082-680460- Mémorial de la Shoah- Archives en ligne Arolsen. Témoignages familiaux.

Chantal Dossin

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