Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Joseph Piet, dit Pat, lycéen engagé dans la Résistance dès juin 40, déporté

Spécialiste de morse, il est deuxième du stage, derrière Daniel Cordier ; radio du réseau Ali
samedi 27 janvier 2018

Scout, patriote, résistant, radio, déporté, Joseph Piet, né en 1922, Pat dans sa famille, Jo, Tom dans la Résistance.

Un jeune homme dans la guerre, Pat Piet, souvenirs rassemblés par Bernadette Grandcolas, Textes et Prétextes, 2005, 104 p.

L’exode

Début juin souffle un vent de panique sur la capitale. Pat, 17 ans, scout, aide les réfugiés venus de partout.

« Nous avons passé de nombreuses nuits dans les gares de l’Est, du Nord, d’Austerlitz, essayant de canaliser ces pauvres gens qui, quelquefois, bombardés en cours de route, ne savaient même plus où ils étaient. Nous avions vu des fonctionnaires affolés remettre complètement la direction des opérations à nos chefs scouts, qui, eux, trouvaient toujours des bonnes volontés pour tous genres de travaux... les petits scouts avaient du bon. » écrit Pat.

Les Allemands seront bientôt à Paris, la famille se replie en train à Poitiers, le 3 ou le 10 juin 1940. Pat part à bicyclette la rejoindre avec deux camarades et ses bouquins pour passer le bac. Au milieu des voitures, ils sont entourés d’« un brouillard qui s’épaissit rapidement, qui nous aveugle et nous salit, car il est chargé de poussières, de cendres, de saletés . »
C’est un nuage noir provenant des 500 000 tonnes d’hydrocarbures de la CFR qui brûlent à Rouen.

Le père, « militaire et patriote dans l’âme » a compris que Pétain, c’est la défaite, l’armistice. La famille parvenue à Royan, cherche à s’embarquer pour l’Algérie. Mais le désordre est tel, que c’est impossible.

Le père de Pat a entendu parler le général de Gaulle à la radio de Londres. Il pense que c’est lui ou un autre qui relèvera la France, mais pas Pétain. Il en parle à Pat, qui veut rejoindre Londres. Ses parents respectent son choix, alors qu’il n’a pas 18 ans.
À Bordeaux, la famille continue vers le sud, lui, pour le consulat britannique à Bayonne, mais il n’ y a plus de consul.

Un jeune scout à Londres

À Saint-Jean-de-Luz, échappant aux contrôles, Pat parvient à embarquer sur l’Arandora Star avec quelques cinq cents Polonais, le 21 juin 1940. Ils débarquent à Southampton. Considéré comme civil, il est conduit à l’Empress Hall, un grand stade couvert qui sert de camp pour des Polonais, des juifs, de 200 à 300 Français, des Anglais, des étrangers, des femmes et des enfants. Il s’engage auprès d’un officier de de Gaulle, puis il défile, derrière une pancarte Volunteers for de Gaulle’s Army, en se rendant à l’Empire Hall à Londres, où se réunissent les premiers Français libres, en entonnant la Marseillaise.

Revêtu d’un uniforme de scout, il devient agent de liaison. Le 6 ou 7 juillet 1940, ils sont cinq cents français, émus, à écouter quelques paroles de de Gaulle à l’Empire Hall-Olympia. On lui a raconté qu’un défilé mémorable a lieu le 14 juillet à Londres : les Français sont acclamés, malgré l’armistice.

Le 12 juillet, Pat part pour le camp de l’École des Cadets de la France Libre, sous la direction du capitaine Lescure, à Brynbach [1] au Pays de Galles, « le Saint Cyr » de la France libre. Il y a parmi eux Joël Le Tac [2].

Jeunes volontaires français de la France libre

De Gaulle inspecte le camp de la Légion des jeunes volontaires français (futures Forces Françaises Libres) le 26 août 1940 en compagnie de Percy Everett, un des proches collaborateurs de Baden-Powell. (Photo Wiki communs).

Pat Piet

Au lieu de passer son bac, Pat s’engage le 29 septembre 1940, avant ses dix-huit ans, dans les FFL, section des parachutistes. Il est emmené au camp d’entrainement de Camberley, où se trouve Sandhurst, le Saint Cyr anglais. De là, avec Daniel Cordier et d’autres, en train, ils vont vers une destination secrète, l’école de parachutiste de Ringway. Avant toute mission, il faut apprendre à sauter en parachute. Il subit un entrainement près de Londres, puis un stage à Inchmery de l’Intelligence Service pour apprendre le sabotage et la radio, le chiffrage, les explosifs. Il fait une formation radio pour une mission en France. Spécialiste de morse, il est deuxième du stage, derrière Daniel Cordier [3].

Radio du réseau ALI

Le réseau ALI est un réseau renseignements-actions, en relation avec le BCRA (Bureau central de renseignements et d’action), qui a pour mission de créer d’autres réseaux et de les mettre en relation avec Londres. Les opérateurs radios, les « pianistes », permettent la communication avec Londres. « les radios forment la partie la plus vulnérable de tout le réseau ». Les radiogoniomètres allemands permettent de les déceler.
La branche renseignements a pour chefs Wybott (Ronald), Mangin (Pierre) Andlauer (Antoine).
TIR branche Action a eu pour chefs Edgard Tupët (Thomé), puis Gaston Tavian (Colin).

Début octobre, Pat, comme radio fait partie du réseau ALI
Le 8 décembre 1941, Joseph Piet (Jo), agent du BCRA, saute de nuit d’un bombardier Halifax, avec son poste émetteur-récepteur AMKII de 30 kg, près de la ferme des Lagnys, du côté de Chateauroux, avec Edgar Tupët, le chef de mission. Le largage de nuit est mouvementé. Tupët-Thomé, tombé sur la tête est vaseux et Jo s’est cassé la cheville. Il est soigné à la ferme. ils s’installent à Néri-les-Bains pour organiser des atterrissages. Parmi les missions, des opérations aériennes avec parachutages d’hommes et de matériel, des réceptions et des départs d’agents.
Les lampes balisent le terrain. Deux passagers sautent à terre, deux autres montent, en 5 minutes. Si le Lysander n’a pu passer, il faut attendre la prochaine pleine lune.
Les actions sont difficiles et souvent annulées. Mangin et Andlauer partent pour Londres.
Gaston Tavian après avoir été formé pour les opérations nocturnes, remplace Tupët qui est reparti pour Londres avec le courrier, pour se faire soigner, le 27 mai 1942.

http://webdoc.france24.com/derniers-compagnons-liberation-resistance/

Joseph Piet (Tom W), devient le radio de Gaston Tavian.
Un parachutage se passe mal pour Orabona (Grimaldi) qui avait la poitrine enfoncée et les jambes brisées. Pat va chercher le curé. Orabona meurt pendant le transport à Montbrison. Tavian monte avec Pat une opération de récupération de Pierre Queille et Guy Chaumet dans la région de Châteauroux.
http://resistancefrancaise.blogspot.fr/2016/03/reseau-sol-boa-sap-region-b-lequipe-de.html

Le tour de France des prisons

Pat Piet est pris à Marseille dans une souricière en allant voir s’il y avait de courrier chez Rondeau. Il est interné dans diverses prisons en France, à la prison Saint Nicolas avec d’autres membres du réseau ALI. À Toulouse, il est accusé de complot contre la sûreté de l’État et de tentative d’évasion. Après le 11 novembre 1942, il est évacué sur Montpellier. Il est déplacé à Montluc, en janvier 1943. Condamné à 5 ans de prison, puis il passe à deux ans, puis 15 mois de prison. Il est envoyé à Villefranche de Rouergue. De retour à Marseille début 1944, il est avec des résistants et surtout des communistes. Déplacé à Aix-en-Provence avec des mafieux, il refait une évasion manquée, il est alors envoyé au Mas de Cadarache, un centre pour jeunes délinquants, d’où il s’évade le 20 mars 1944. Il se fait reprendre à la frontière espagnole, près de Saint Girons en Ariège. Interné à Saint Michel à Toulouse, il dit qu’il a voulu fuir pour échapper au STO. Il est transféré à Compiègne, au Front Stalag 122.

Le Train de la mort

Compiègne, Soissons, Saint-Brice, Reims, Bétheny, Revigny, Novéant, Sarrebourg, Strasbourg, Karlsruhe, Pforzheim, Stuttgart, Ulm, Burgau, Augsbourg, Munich, Dachau.
Le train de la mort, 2 juillet 1944, 2521 prisonniers, 2521 déportés, 984 morts dénombrés à l’arrivée à Dachau.
http://www.bddm.org/liv/details.php?id=I.240.
Le train de la mort du 2 juillet 1944 de Compiègne-Royallieu à Dachau
60e anniversaire du passage du train 7909 dit « Train de la mort » à Saint Brice Courcelles ( Marne ) Juillet 1944 - Juillet 2004 : par Jean-Pierre Husson http://www.cndp.fr/crdp-reims/memoire/enseigner/memoire_deportation/train_de_la_mort.htm

Camp de Neckarelz

5 juillet : Dachau, 984 cadavres
Douchés, rasés, désinfectés, Appel, tenue rayée, numéro.
22 juillet : transfert
En train, 3 ème classe, des Kapos avec casquette noire, comme les marins, Stuttgart. Arrêt à Neckarelz. D’autres poursuivent jusqu’à Neckargerach.
L’école du village est transformée en camp de concentration, avec barbelés, miradors, deux paillasses de 80 cm.
Pat reçoit un nouveau numéro, une gamelle Kochgeschirr et une cuillère en fer.

4 heures- 4h30, appel jusqu’à 7 h du matin, formation en carré.
Mützen ab !, enlevez les bérets. Puis Mützen auf ! Plusieurs fois.
Au pas cadencés pour sortir de village, ils se dirigent vers la mine. La population, intoxiquée par la propagande, est hostile et les prend pour des droits communs.
À 18 h, Antreten (rassemblement), marche au pas. Les enfants crachent au visage des détenus, ou leur jettent des pierres.
19h, formation de carrés de cent. Comptés, recomptés, fouillés pendant des heures.
21 h, dortoirs, pain noir, louche de soupe, 3 pommes de terre parfois. Les lits sont encore chauds, l’équipe précédente s’en va.
Deux camarades évadés, un Russe et un Français. Ils sont repris. Une potence est dressée dans la cour. Pendus par deux rayés pour une soupe, les corps se balancent dans le vide.

Alors qu’il est au camp de Neckarelz, la cour d’appel d’Aix annule la condamnation de 1943, car les inculpés faisaient partie du deuxième bureau du général de Gaulle, et leurs actes étaient légitimes.

Aménagement des galeries d’anciennes mines pour installer des usines souterraines pour la fabrication de moteurs de la Luftwaffe, pour Daimler-Benz. Il fallait déblayer des pierres, de la terre, de la boue, transporter des planches, des rails, pour installer des voies ferrées.

À Asbach, un petit camp (dont il est le seul survivant), il prépare du charbon de bois, il est à l’air libre en faisant cuire des betteraves d’un champ voisin, pendant des heures, pour en extraire du sucre.

Ils sont revenus par la Suisse, "J’ai le souvenir d’un accueil peu chaleureux", accueillis au Lutetia, le fonctionnaire qui l’a enregistré était le même que celui qui l’avait interrogé à la prison de Marseille.

merci à Bernadette Grandcolas, N. M.

Le 8 mai 1945, Capitulation sans condition de l’Allemagne

CNRD 2018 « S’engager pour libérer la France » 

Médiagraphie

- Réseau Ali
https://www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1994_num_76_306_4929

Les opérateurs radio clandestins des réseaux ACTION de la France Combattante :
http://jcbm-evade-de-france.pagesperso-orange.fr/20100803182850_ACTION.pdf

voir l’histoire de Raymond Fassin, radio de Jean Moulin, qui s’est embarqué aussi à Saint Jean de Luz :
http://www.memorialjeanmoulin.fr/articles.php?lng=fr&pg=116

Plaque, monument Jean Moulin à Salon de Provence, photo Francis Bellin

Les responsabilités du commandement militaire allemand dans les déportations depuis le Nord de la France
http://forezhistoire.free.fr/images/62-Collectif-CVDF-Forez-Foreziens-guerre-Resistance.pdf

Radio Libre, 1940-1945, de Maurice de Cheveigné, le livre en ligne :
http://www.francaislibres.net/pages/index.php?id=77

Maurice de Cheveigné : les pseudonymes des radios :
http://www.francaislibres.net/pages/page.php?id=1055

- Mémorial de Compiègne :
http://memorial.compiegne.fr/
Mémorial de Dachau :
http://www.kz-gedenkstaette-dachau.de/index-e.html

- Mémorial de Neckarelz :
http://www.kz-denk-neckarelz.de/

6500 faits de Résistance recensés en Ile-de-France
La Base "Ile-de-France" repose uniquement sur les archives de la répression, de juillet 1940 à la mi-août 1944, avant les combats de la Libération.
http://www.museedelaresistanceenligne.org/evenement.php

AMOUROUX Henri, La Grande Histoire des Français sous l’occupation, 4 tomes, Éditions Robert Laffont, collection Bouquins, 1997-1999.
AZÉMA Jean-Pierre, Jean Moulin, le politique, le rebelle, le résistant, Perrin, 2003, réédition poche collection Tempus, 2006.
CHEVEIGNÉ Maurice de, Radio libre 1940-1945, Éditions du Félin, 2004.
CORDIER Daniel, Alias Caracalla : mémoires, 1940-1943, Paris, éd. Gallimard, 2009.
CRÉMIEUX-BRILHAC, Jean-Louis, De Gaulle, la République et la France Libre, 1940-1945, Perrin, collection « Tempus », 2014.
GRANDCOLAS Bernadette, Un jeune homme dans la guerre, Pat Piet, Souvenirs rassemblés par Bernadette Grandcolas, Textes et Prétextes, 2005, 104 p.
NOGUÈRES Henri, Histoire de la résistance en France de 1940 à 1945, 5 vol., Robert Laffont, 1967-1981.
TUPËT-THOMÉ Edgar, Special Air Service. L’épopée d’un parachutiste en zone occupée, Grasset 1981. Réédition : Special Air Service. 1940-1945, l’épopée d’un parachutiste de la France occupée, Atlante éditions, 2011.
https://www.resistance-brest.net/article1185.html

« le patriotisme, c’est d’abord l’amour, le nationalisme, c’est d’abord la haine, le patriotisme, c’est d’abord l’amour des siens, le nationalisme, c’est d’abord la haine des autres. »
Romain Gary, Pour Sganarelle, Gallimard 1965 page 371
http://savatier.blog.lemonde.fr/2012/05/01/rendons-a-romain-gary-ce-qui-lui-appartient/
source DL : http://clioweb.canalblog.com/archives/2018/02/03/36110218.html

Noor Inayat Khan, princesse indienne, soufie, résistante

NM, janvier 2018

[1Il existe à côté un camp (EFGB) Éclaireurs français en Grande-Bretagne dont les effectifs proviennent en partie du lycée français de Londres.

[2Joël Le Tac est l’un des cinq soldats français de l’équipe parachutée le 15 mars 1941 près de Vannes, pour une opération du SOE (Special Operations Executive) les services secrets britanniques, il a été déporté

[3Daniel Cordier est envoyé comme radio de Georges Bidault, puis comme secrétaire de Jean Moulin. Daniel Cordier, l’avant-dernier Compagnon de la Libération et ancien secrétaire de Jean Moulin, est mort à l’âge de 100 ans le 20 novembre 2020.