Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

LTI, Langue du III Reich, Victor Klemperer

Langue et Propagande
mercredi 1er mai 2019

« L’ Histoire ne s’écrit jamais de façon innocente, les mots sont eux-mêmes une histoire ». Pierre Laborie

  Victor Klemperer

Victor Klemperer, 1881-1960, né à Landsberg, Prusse (aujourd’hui en Pologne), fait des études de philologie dans plusieurs universités, enseigne à l’Université de Dresde depuis 1919. C’est un universitaire, un chercheur, un grand amoureux des Lumières, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau.
Converti au protestantisme, mais considéré comme juif, il perd son emploi à l’Université de Dresde en 1935. Il a un statut particulier, ayant fait un mariage mixte, il est partiellement « protégé » par sa femme protestante, Eva Schlemmer.
Privé de droits, il exerce des petits métiers. Le couple doit quitter sa maison pour la laisser aux aryens, aller dans diverses Judenhaus (maisons juives), parqués à plusieurs comme dans une baraque, « On se marche les uns sur les autres, on se bouscule ». Ils vivent dans la peur de la Gestapo.

Mes soldats de papier, ***

Klemperer n’est pas parti en exil, il aime Dresde, se pense allemand, n’est pas sioniste, ne songe pas à s’établir en Palestine. En 1938 il se sent cosmopolite (Voltaire). Klemperer se retrouve en prison, Cellule 89 [1] sept jours, du 23 juin au 1er juillet 1941, pour avoir oublié d’obscurcir sa fenêtre. Ce n’est pas la Gestapo qui l’a arrêté.
En 1945, le bombardement de Dresde le sauve. Les juifs mariés à des Aryennes, sont convoquées en février 1945.
N’ayant plus d’illusion sur l’Allemagne, il s’intéresse à l’Europe, travaille à l’Institut Humbolt à Berlin-Est.

 LTI

Une langue dénaturée, boursoufflée, pleine de superlatifs (Barnumstil), déshumanisée, pervertie, manipulée, cassée par le nazisme. Die Sprache des Faschismus.

« Cette « novlangue », comme dira plus tard Orwell, n’a qu’un seul registre, celui du hurlement, de l’exhortation et qu’elle est absolument incapable de servir comme une langue normale à l’échange, au rapports humains. »
https://blogs.mediapart.fr

La langue pour décerveler. La rhétorique nazie, en corrompant la langue allemande, fait passer pour vrai ce qui est faux.
Il prend conscience de l’antisémitisme comme pilier de l’idéologie nazie tardivement. C’est tellement effrayant. Quand il est interdit de bibliothèque, Viktor Klemperer lit, écoute, écrit. Il s’intéresse au vocabulaire de rue, du commerce, dans les bus, les voisins, à l’Université.

Caractéristiques :

  • Des abréviations
    AEG : Alles echte Germanen
    KNIF : Kommt nicht in Frage
    SB, RAD, SD, EK, BDM, HJ,

Ent-(polonisierung) et ein-(deutschung)

  • Les mots à consonance étrangère (Fremdwörter) sont interdits, mais liquidieren, Evakuierung, fanatisch, Rasse, Masse, Klasse, Kultur, Zivilisation Expedition.
  • Des mots sont martelés (deklamieren) : Volk, Volkisch, sonder, Total.
    Sein, Kraft, Lichter, Heimatlich, Weltanschauung (conception du monde), Ur, Jude, Kraft, Judenfrage, Aufziehen élever.
  • communauté du peuple Volksgemeinschaft, mise au pas Gleichschaltung (mécanisation de la personne).
  • le sang, le sol Blut und Boden,
  • guerre sainte, vocabulaire religieux : croire en Hitler.
  • Total, éducation totale, la guerre totale.
  • de nouveaux mots Endsieg, Blitzkrieg, le combat, le sang.
    Juden.
  • Des euphémismes
    Après guerre, des mots sont devenus tabous. Le groupe 47 a fait une action pour purifier la langue.*
  • La langue est déjudaisée.
    Les noms juifs sont interdits (Einstein, herz en physique.)

Le système (Weimar) dénoncé sans cesse, et organisation
haine du juif dans l’idée de race

  • énumération
  • exagération
  • bêtise du peuple
  • le mouvement Sturm
  • Style ampoulé ou érudit
  • Wende trahison

des syllogismes

La dissimulation sert à cacher la réalité de la Solution finale.

 Maison Heine

Frédéric Joly, La langue confisquée, éd. Premier parallèle, 2019.
19 septembre 2019, Maison Heine, Frédéric Joly et Frédéric Salée.

La masse ne pense pas, on peut facilement l’abrutir.

 « Un ensauvagement des mots » dit Frédéric Salée ; un langage influencé par la camaraderie des tranchées. K a fait la première guerre. Kamerad. Voir Blutgemeinschaft communauté charismatique du sang (Jünger).
Il y a apparition d’un mot, puis ce mot revêt une nouvelle acceptation, et prend un sens nazi plus tard. Les mots sont avalés. Avant 1933 le langage nazi est déjà en place dans Mein Kampf, 1925, dit Frédéric Joly.

Les anti-Lumières sont arrivés au pouvoir.
Intrusion de mots de la sphère technique dans d’autres domaines, des mots nazis pénètrent la littérature, le langage se mécanise, le faux passe pour vrai.
Guerre défensive, guerre d’agression.
Un langage technique, dévoyé, des mots utilisés en sens contraire, martelés. Sonder, Aktion...
Heidegger a intégré du vocabulaire nazi dans ses écrits. ex.Weltjudentum.
Thomas Mann constate la primitivité du vocabulaire.

Klemperer travaille en 1946, à partir de ses journaux, de la littérature nazie, sur la novlangue.
Un mélange de fascination pour la modernité technologique et une langue qui reste rétrograde, archaïque, dans un pays composé de régions industrielles et de régions rurales tournées vers le XIXe siècle.

La LTI est restée dans les esprits, on l’applique à la langue stalinienne, la LQI Lingua quarti imperii, Nachkriegsdeutsch.

On retrouve des éléments de langage de l’extrême droite aujourd’hui, des parallèles entre Afd et LTI, dans la rhétorique sur les migrants-réfugiés, la banalisation des mots, le mot race.

KLEMPERER Viktor, LTI, (Lingua tertii imperii), La langue du Troisième Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel, coll. Bibliothèque Idées, 1996, 375 p. Traduit et annoté par Elisabeth Guillot. Présenté par Sonia Combe et Alain Brossat. [LTI. (Lingua tertii imperii) Notizbuch eines Philologen, Berlin, Aufbau Verlag, 1947,

Victor Klemperer : Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten. Tagebücher 1942–1945, Berlin 1995

Victor Klemperer, Mes Soldats de papier et Je veux témoigner jusqu’au bout, Seuil 2000.

Mes soldats de papier. Journal 1933-1941 ; Je veux témoigner jusqu’au bout. Journal 1942-1945", Seuil, 2000

NM,
Notes de 2001, LTI, 2019.

[1p. 603, t1