Quelques biographies au fil des pages du livre de Robert Gildea « Comment sont-ils devenus résistants ? »
Les femmes sont spécialisées dans l’accueil, les tracts (secrétariat, distribution), les caches, soutien, messagères, agents de renseignements, agents de liaison, infirmières et lutte armée pour certaines.
Cécile Rol-Tanguy
Cécile Le Bihan rencontra Henri Tanguy à la fédération CGT de la métallurgie où elle était secrétaire. Elle devint sa femme.
Le père de Cécile, communiste de longue date, militait au Secours rouge international : Cécile avait pu rencontrer des exilés politiques tchèques, hongrois, yougoslaves, italiens et allemands qui venaient chez ses parents. Son mari a rejoint les Brigades internationales et combattit en Espagne en 1937-1938, puis fut mobilisé en 1939. Cécile était la « marraine de guerre » d’Henri avant de l’épouser, lui écrivant quand il était en Espagne.
Restée à Paris, Cécile vécut des moments difficiles : son père est arrêté en avril 1940, accusé d’avoir voulu reconstituer un parti dissous (PCF). Sa petite fille de sept mois, malade alors que le personnel hospitalier participait à l’exode, mourut quand les troupes allemandes entraient dans Paris.
Elle entra en résistance au sein de la fédération CGT : « Je n’avais plus rien. Mon père était arrêté, mon mari, je ne savais pas où il était, et j’avais perdu ma petite fille. Qu’est-ce qui me retenait ? Je rentrai [dans la Résistance]. Ca m’a aidé, ça m’a redonné autre chose. » Elle initia des comités de femmes qui distribuèrent des tracts, des feuilles d’information.
Quand Henri, revenu à Paris après juin 40, engagé auprès des comités populaires, entra dans la lutte armée en 1941, elle devint son agent de liaison malgré les risques extrêmes. Entre autres, elle dactylographia les tracts.
Cécile et Henri eurent deux autres enfants, en 1941 et 1943. Sa mère les aida en se chargeant de la poussette où étaient cachés documents et explosifs tandis que Cécile marchait à côté d’elle, bicyclette à la main. En mai 1943, Henri fut nommé à la tête des FTP de la région parisienne avec Joseph Epstein : Cécile fit la liaison entre eux ; elle avait alors une vingtaine d’années.
Le 27 août 1944, de Gaulle a invité une vingtaine de chefs de la Résistance parisienne au ministère de la Guerre où il avait installé son QG. Les présentations furent d’un laconisme tout militaire. Il passa en revue les personnes d’un « C’est bien, au suivant ». Une fois que furent traitées les questions du jour (retour à l’ordre et attribution de récompenses, décorations), de Gaulle se leva et dit : « Au revoir Madame, au revoir Messieurs ». La dame était Cécile, qui avait réussi à trouver une robe bleue. « J’ai trouvé que ça n’avait pas été chaleureux. C’était une toute petite réception, sans même un verre pour terminer. » De Gaulle semblait vouloir couper les ponts avec la Résistance intérieure dont il considérait le travail terminé.
Cécile raconte que lors des cérémonies organisées par Jacques Chirac, alors maire de Paris (1977-1995), « la Maréchale », veuve de Leclerc et ses fils les regardaient de haut elle et son mari. Après le décès d’Henri, le souvenir de l’insurrection parisienne fut défendu par Cécile et par le musée de la Résistance nationale inauguré à Champigny en 1985.
Claire Rol-Tanguy, fille de Cécile et Henri est secrétaire générale des Amis des combattants en Espagne républicaine (ACER). Elle défend le souvenir des volontaires qui comme son père ont rejoint les Brigades internationales.
Cécile Rol-Tanguy (p 56, 57, 67, 86, 138, 139, 367, 375, 429, 431)
La résistante Cécile Rol-Tanguy est morte
Jusqu’à sa mort, le 8 mai à l’âge de 101 ans, elle défendit le souvenir de l’insurrection parisienne à laquelle elle prit part en tant qu’agente de liaison.
https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2020/05/08/la-resistante-cecile-rol-tanguy-est-morte_6039104_3382.html
Marie-José Chombart de Lauwe
Etudiante en médecine à Rennes, Marie-José avait 18 ans quand elle commença à espionner au sein de Georges France 31, un groupe qui travaillait pour les Britanniques. Son père, pédiatre, gazé pendant la Première Guerre mondiale, était installé chez sa mère, sur l’île de Bréhat. Marie-José utilisa ce prétexte familial pour parcourir à bicyclette cette zone interdite.
Le groupe fut trahi, Marie-José fut arrêtée par la Gestapo en mai 1942, jugée, condamnée à mort. Sa peine fut commuée : elle fut déportée à Ravensbrück en juillet 1943.
En 2013, un hommage est rendu au lycée Buffon à Paris aux cinq lycéens qui avaient fait de la résistance et furent fusillés le 8 février 1943. Autour de François Hollande, se trouvaient sept héros de la Résistance, dont Marie-José qui témoigna des combats de cette époque.
Marie-José Chombart de Lauwe (p 10 134)
CHOMBART DE LAUWE Marie-Jo, Résister toujours, Flammarion, 2015.
Madeleine Riffaud
Madeleine n’avait pas 16 ans quand les armées allemandes envahirent le nord de la France le 5 juin 1940. Sa famille (ses parents étaient instituteurs dans la Somme) s’enfuit vers le sud. Cet exode fut compliqué car il fallait évacuer un grand-père se mourant d’un cancer. Durant l’été 40, la famille retourna par lentes étapes vers la zone occupée. A la gare d’Amiens dévastée, Madeleine chercha un brancard pour son grand-père. « J’avais une petite jupe d’été, j’avais les cheveux sur le dos, j’avais 15-16 ans. » Des soldats allemands l’agressèrent, un officier les rappela à l’ordre. Mais « il m’a flanqué un magistral coup de pied au cul qui m’a envoyée dinguer. J’avais le nez dans la poussière. J’étais tellement furieuse, c’était l’humiliation, la colère, et dans cette colère je me suis juré que j’allais retrouver la Résistance. Je vais les retrouver, ceux qui résistent, c’était parti de là. »
Madeleine avait grandi en Picardie, région d’intenses combats en 14-18. Son père avait été blessé. Elle avait été élevée dans le culte d’un arrière-arrière-grand-père conscrit qui avait refusé de tirer sur les révolutionnaires de 1830. Cet aïeul avait été condamné aux travaux forcés en Algérie pour avoir tenté de dresser les paysans de son village contre le coup d’état de Napoléon III. Le grand-père de l’exode, ancien ouvrier agricole, était considéré comme un « rouge ». Au lycée, elle s’identifiait à des personnages, historiques ou légendaires, tel que Rodrigue (Le Cid) : il lui apparaissait « comme le symbole de la jeunesse ardente, passionnée, généreuse, pleine d’héroïsme et de courage. »
La décision de Madeleine de rejoindre la résistance fut retardée : tuberculeuse, elle fut envoyée au sanatorium de Saint-Hilaire-du-Touvet, près de Grenoble. Cet établissement accueillait des jeunes résistants.
A sa sortie du sana, Madeleine partit à Paris faire des études de sage-femme et adhèra au parti communiste car elle avait entendu parler de Guy Môquet. Dans la résistance communiste elle prit le nom de Rainer, en référence au poète Rainer Maria Rilke.
Evaluée par le parti, elle devint l’un des trois chefs de la section des étudiants en médecine du Front national. Elle eut d’abord une vision traditionnelle du rôle des femmes : « Elles étaient les petites mains de la Résistance, celles qui réparaient les fils brisés, qui raccommodaient le tissu clandestin. » Quand l’Affiche rouge fut placardée, elle demanda à rejoindre la lutte armée et fut affectée au service sanitaire des FPT. Elle apprit à poser des explosifs sur les véhicules allemands et couvrit la fuite de son camarade Paul qui haranguait les clients de la librairie Gibert (boulevard Saint Michel à Paris) quand un soldat allemand le menaça de son arme.
Le 23 juillet après-midi, Madeleine prit un pistolet et son vélo. Sur le pont de Solférino, un sous-officier allemand contemplait la Seine. Elle lui tira deux balles dans la tête et fut de suite renversée par une voiture de miliciens qui la livrèrent à la Gestapo.
Ce qui la décida à tuer un soldat allemand ce 23 juillet 1944 n’est pas clair (cet acte lui valu un blâme du PCF pour avoir agi sans autorisation) : en 1946 elle affirma que le PC avait donné ordre de tuer des officiers et soldats allemands après Oradour. En 1994, elle dit avoir voulu venger un camarade blessé par les Allemands et mort le 23 juillet à 1 heure du matin. En 2012, elle a affirmé que son geste était destiné à faire sortir les Parisiens de leur torpeur : « J’étais dans un combat. Il fallait des actions spectaculaires […] On était en train de travailler la population pour qu’elle se lève. »
Arrêtée, torturée, Madeleine a été condamnée à mort et aurait dû être exécutée le 5 août. Mais elle fut mise dans un train de déportation qui quitta Paris le 15 août. Miraculeusement, on la fit descendre de ce train avec une femme agent britannique, Anne-Marie. Elles furent emmenées à Fresnes. Raoul Nordling négociait une trêve : elles furent relâchées et Madeleine rejoignit les FFI. Elle commanda la compagnie FFI Saint-Just. Le 23 août elle fut désignée par Rol-Tanguy comme leader d’un groupe de trois chargé d’attaquer un train allemand à la grenade sur le pont de Belleville-Villette (les Allemands durent se réfugier dans un tunnel sous les Buttes-Chaumont et se sont ensuite rendu). Après les combats près de la place de la République, elle fut citée à l’ordre de l’armée : « Toujours à la tête de ses hommes, [elle] a donné pendant toute la lutte l’exemple d’un courage physique et d’une résistance morale remarquables. »
Quand les FFI furent invités à rejoindre l’armée régulière pour repousser les Allemands hors de France après la libération de Paris, Madeleine n’en eut pas le droit ; « Non seulement tu n’es pas majeure, lui a dit un officier, (mais] tu n’as pas la permission de ton père et tu craches rouge dans ton mouchoir. » (elle n’était pas totalement guérie de sa tuberculose). Elle apprit plus tard que ses camarades de la brigade Fabien étaient morts en opération sur le Rhin. Elle passa souvent au Lutetia mais aucune de ses compagnes du train du 15 août ne revint. Son fiancé, résistant, était mourant et elle avait rompu avec ses parents. « J’avais envie de me suicider parce que je me suis retrouvée isolée. Je n’avais plus d’amis. ».
Souffrant d’une rechute de tuberculose, elle partit au sanatorium de Combloux où elle rencontra Pierre Daix. Il la voyait comme « La liberté guidant le peuple », elle le voyait comme un héros de la Résistance mais « il était en miettes à l’intérieur et moi, j’étais en miettes aussi. » Ils eurent un enfant, atteint de la tuberculose qui fut mis en pouponnière deux ans, séparé ainsi de ses parents.
Le 11 novembre 1944, insomniaque et profondément déprimée, elle assista au défilé de la victoire, et retrouva dans un café un groupe de poètes qu’elle avait connus au PC. « Le seul qui m’a sauvée, c’est Paul Eluard. » : il lança sa carrière, préfaça son recueil de poèmes Le Poing fermé. Picasso fit son portrait pour le frontispice. Elle rencontra Vercors et affirma qu’elle aurait préféré écrire Le Silence de la mer plutôt que de manier le pistolet-mitrailleur. Elle devint journaliste, soutint les mineurs grévistes en 1947. Elle fut correspondante de guerre au Vietnam.
En 1989, elle fut interviewée pour Femmes dans la guerre [1] et témoigna de son implication dans la violence.
Madeleine Riffaud (p 27, 58, 59, 60, 144, 145, 146, 148, 360, 374, 396, 422)
Mila Racine
Sœur d’Emmanuel Racine (né à Moscou, chargé d’une filière d’évasion vers la Suisse)
Âgée de 20 ans elle fut arrêtée par les Allemands le 23 octobre 1943 et transférée à Drancy.
Jean Deffaugt, maire d’Annemasse, membre du groupe organisant les passages en Suisse, vint la voir en prison avant son départ pour Drancy. Elle lui demanda de la poudre de riz et du rouge à lèvres : « Je vous promets, quand je monterai dans le camion, je ne pleurerai pas, mais je veux être belle. »
Mila Racine (p 186)
Marie-Hélène Lefaucheux
Marie-Hélène était la sœur d’André Postel-Vinay (ancien de Sciences Po, jeune inspecteur des finances, membre de l’Organisation civile et militaire –OCM) et l’épouse de Pierre Lefaucheux, directeur d’une usine métallurgique à Montrouge, un des dirigeants de Renault. Tous trois résistaient ensemble dans l’OCM.
André, le frère de Marie-Hélène fut arrêté en décembre 1941. Emprisonné à la Santé, il se jeta du deuxième étage pour ne pas risquer de parler et se blessa le dos. Marie-Hélène, par un ami, lui conseilla de simuler la folie. Pendant les promenades il s’agitait et gesticulait. En septembre 1942 il fut interné à Saint-Anne. Le psychiatre lui indiqua qu’il avait repéré la supercherie et le laissa près de l’ascenseur en disant qu’il allait appeler une ambulance, permettant ainsi à André de s’enfuir. Grâce en partie à Marie-Hélène, André put donc rejoindre les Français libres à Londres où il fut chargé des finances de la France libre puis des colonies. Il épousa plus tard Anise Girard, qui avait été déportée à Ravensbrück. Anise participa aux recherches sur les camps de concentration et les chambres à gaz aux côtés de Germaine Tillion (livre en 1973 et travaux historiques publiés dans les années 1990).
Le COSOR (Comité des œuvres sociales des organisations de la Résistance) recruta Marie-Hélène qui avait crée une œuvre de charité, l’œuvre Sainte-Foy, pour venir en aide aux résistants emprisonnés à Paris.
En septembre 1943, fut crée le Comité parisien de la libération (CPL). Le bureau était constitué à parité de communistes et non-communistes. Parmi les non-communistes se trouvait Marie-Hélène, « catholique consensuelle » représentant l’OCM. Marie-Hélène affirmait que les grands bourgeois « s’étaient assez mal conduits ; ils n’étaient pas tous des ‘’collaborateurs’’, ils ne gagnaient pas tous de l’argent en travaillant pour les Allemands, mais ils étaient souvent lâches et hésitaient à se compromettre […] Au contraire, la classe ouvrière s’est conduite de façon très honorable ; les ouvriers n’hésitaient pas à agir, à accepter des missions dangereuses. Ils étaient pleins de courage, d’espoir, de confiance. »
La stratégie prônée par les communistes (actions immédiates même à petite échelle jusqu’à l’insurrection nationale et la guérilla au moment du Débarquement) s’implanta au CPL. Pour Marie-Hélène (représentant l’OCM – son mari est alors emprisonné), les représailles féroces (SS, Vichy, Milice) après les soulèvements rayés comme celui des Glières, obligaient à s’interroger sur la stratégie d’action immédiate.
Pierre, le mari de Marie-Hélène fut entassé dans le dernier convoi quittant Paris le 15 août 1944. Marie-Hélène voulut à tout prix suivre son mari et quitta son poste au CPL. Elle vit son mari quitter Fresnes, monter dans un des dix cars. « Quelques femmes parvinrent à suivre, très longtemps, à bicyclette ce terrible parcours […] hantées par la terreur de voir le convoi prendre la route du Mont Valérien ou celle de Vincennes. » Les cars sont en fait allés à la gare de marchandises de Pantin. Les wagons furent hermétiquement fermés. Marie-Hélène arriva à faire passer un colis alimentaire à son mari. Le train démarra à 11 heures du soir. Marie-Hélène rejointe par une amie qui avait une voiture suivit le train. A Châlons-sur-Marne, elle aperçut Pierre quand les wagons furent ouverts pour donner de l’eau aux prisonniers. A Bar-le-Duc, Marie-Hélène apprit par la Croix-Rouge que le consul de Suède, Raoul Nordling, avait négocié un accord et que le train devait rester sur le sol français. Elle et son amie réveillèrent le sous-préfet, allèrent à Nancy persuader le préfet de téléphoner au consulat de Suède pour faire stopper le train, en vain. Par hasard, ce qui restait du gouvernement de Vichy était à Nancy : Marie-Hélène fit jouer les relations d’affaires de son mari pour faire intervenir Laval et Bichelonne (ancien ministre de la Production industrielle) ; ils se dirent impuissants. Le 18 août, à 2h du matin, le train franchit la frontière. Marie-Hélène retourna à Paris où elle arrive le 19 août, lors de la première action insurrectionnelle pour la libération de la ville. Elle reprit son poste au CPL.
Elle repartit le 27 août dans une voiture prêtée par la Croix-Rouge. Elle alla trouver un officier de la Gestapo à Metz, lui expliquant que son mari arrêté comme officier de réserve et emmené à Buchenwald était totalement innocent. Comme les Allemands se retiraient et pensaient à l’avenir, un ordre fut signé pour transférer Pierre à la police allemande (SD) de Metz. Marie-Hélène paya un entrepreneur italien travaillant pour les Allemands : il l’a conduisit à Sarrebruck. L’officier de la Gestapo les y rejoignit et monta dans la voiture, ayant appris qu’il y avait du cognac. Ils arrivèrent à Buchenwald le 3 septembre. L’officier entra dans le camp, négocia. Quatre heures plus tard Marie-Hélène retrouva son mari : « Le grand vagabond maigre qui marchait à côté du Boche était bien mon mari. Il portait le manteau que ma belle-mère avait réussi à lui passer à Fresnes et un chapeau qui lui tombait sur le nez parce que ses cheveux étaient rasés. Quand la portière de l’auto s’est ouverte, j’ai dit ‘’Bonjour, comment vas-tu ?’’ et lui de son côté [il lui] parut tout naturel de s’asseoir à côté de sa femme. » Ils laissèrent l’officier de la Gestapo à Neustadt.
Marie-Hélène retourna en Allemagne dans différents camps dans l’espoir de faire sortir des camarades comme elle l’avait fait pour son mari. Elle fit un rapport à la commission des déportés de l’Assemblée consultative le 27 avril 1945. Elle y décrivit entre autres des cas d’anthropophagie sur des cadavres à Bergen-Belsen.
Marie-Hélène Lefaucheux (p 75, 137, 159, 274, 275, 289, 304, 336, 352, 353, 356, 364, 365, 389, 390, 395)
Jeanne Bohec
Jeanne avait 21 ans quand le 18 juin 1940 elle embarqua sur un bateau pour l’Angleterre. Elle était alors aide-chimiste à la poudrerie de Brest. A son arrivée elle fut interrogée dans une ancienne école de la banlieue sud de Londres puis hébergée chez une famille de Dulwich. Le 14 juillet, elle prit le bus pour voir le petit défilé des Français libres à Trafalgar Square et découvrit que « malheureusement, les FFL n’acceptaient pas encore de femmes dans leurs rangs. » Elle se rendit régulièrement à Carlton Gardens jusqu’à ce qu’un Corps féminin des volontaires françaises soit crée (novembre 1940). Elle s’engagea en janvier 1941 et partit se former à Bournemouth.
Jeanne voulait être plus qu’une auxiliaire : elle voulait se battre. Elle travailla dans un laboratoire d’explosifs mais voulait à tout prix être envoyée en France. Elle suivit l’entraînement militaire britannique ‘’standard’’. Ses dernières évaluations notaient qu’elle « tire assez bien au pistolet », qu’elle était meilleure en chimie pratique que théorique, qu’elle « ferait un excellent instructeur en explosifs artisanaux », qu’« elle a des capacités de commandement et remplira avec fiabilité les tâches qui sont de ses compétences. Passe inaperçue, ce qui devrait être un atout. » Son entraînement terminé, le BCRA l’accepta comme instructeur de sabotage auprès des FFI et la parachuta sur la Bretagne dans la nuit du 29 février au 1er mars 1944. Elle a raconté la réaction de l’agent chargé de récupérer les personnes et le matériel parachutés : « ‘’Mais on les prend maintenant au berceau !’’ En effet je ne mesure pas plus de 1,49 mètre. Il fut aussi très surpris d’avoir affaire à une femme. [Il] ne savait même pas que le BCRA envoyait des femmes. »
Elle prit contact avec le chef de la résistance à Questembert (Morbihan), rendit une brève visite à ses parents à Rennes, stupéfaits de la revoir après quatre ans. Ils ne cherchèrent pas à la retenir, souhaitant seulement lui rendre service.
Ayant récupéré sa bicyclette, elle passa les mois d’avril et mai 1944 à apprendre à de jeunes résistants bretons comment fabriquer des explosifs et saboter des voies ferrées.
En juin 1944, elle rejoignit le maquis de Saint-Marcel qui infligea de lourdes pertes aux Allemands avant de devoir se disperser.
Au mois d’août, elle portait un uniforme kaki avec « un beau galon tout neuf » mais quand elle demanda une arme aux parachutistes alliés arrivés à Quimper, un capitaine lui répliqua : « Ce n’est pas l’affaire d’une femme. » Jeanne commente : « Il me frustra ainsi de la satisfaction de prendre part aux derniers combats, mais il ne put cependant me renvoyer à des occupations dites ‘’féminines’’ et je restai à côté des hommes qui se battaient, ne pouvant le faire moi-même. »
En 1989, Jeanne fut interviewée pour Femmes dans la guerre et témoigna de son implication dans la violence.
Jeanne Bohec (p 124, 125, 142, 146, 422)
Robert Gildea, Comment sont-ils devenus résistants ? Une nouvelle histoire de la Résistance (1940-1945), Les Arènes, 2017
Martine Giboureau
Des femmes dans la Résistance (suite)
Un camp spécial SS (SS-Sonderlager) du fort de Queuleu entre 1943 et 1944, près de Metz. « Entre le 12 octobre octobre 1943 et le 17 août 1944, un camp spécial SS géré par la Gestapo est installé dans la Caserne II/Casemate A du fort de Queuleu à Metz. Environ 1500 prisonniers (femmes et hommes) y sont interrogés et torturés avant d’être envoyés dans des camps de concentration (Natzweiler, Dachau…), de sûreté (Schirmeck) ou des prisons. » :
https://www.fort-queuleu.com/livre-memorial-queuleu/
2017, 2021
[1] Les 7 vies de Madeleine Riffaud film de Jorge Amat.