Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Difficultés pour les Juifs survivants de récupérer les biens spoliés par l’« aryanisation »

Cas de la famille Bickart-Brunswick à Fontainebleau
mardi 1er octobre 2013

La spoliation économique des Juifs et la difficile récupération de leurs biens vendus ou confiés à d’autres, ou pour obtenir une indemnisation.

Cas de la famille Bickart-Brunswick à Fontainebleau

Les Bickart sont originaires de Fontainebleau où ils étaient commerçants. Partis en juin 1940 à l’exode, ils n’ont pas eu le droit en tant que Juifs de franchir la ligne de démarcation pour rentrer chez eux. Ils sont restés en zone sud. Les deux fils Bickart ont été arrêtés à Marseille en janvier 1943, puis déportés à Sobibor en avril 1943. Les parents et la grand-mère ont été arrêtés à Cahors en avril 1944 et déportés à Auschwitz en mai 1944.

Seuls leur fille et leur gendre, Simone et Robert Brunswick, sont présents lors de la libération du territoire, toujours en zone sud à Cahors. En l’absence de ses beaux-parents et de ses beaux-frères (on ne sait pas encore qu’ils ne reviendront pas), c’est Robert Brunswick qui s’occupe de faire reconnaître les droits de la famille sur les biens qui ont été « aryanisés » [1] (ne parlons pas des biens meubles qui ont été pillés par les Allemands). Il s’agit de deux commerces : le magasin de vêtements pour hommes de ses beaux-parents, le petit commerce de layette-mercerie de son épouse.

Robert Brunswick entreprend les démarches pour être reconnu comme administrateur des biens de ses beaux-parents et doit se faire aider d’un conseil juridique, un avoué.

Trois lettres de l’avoué

 Lettre du 10 novembre 1944 de l’avoué :
Un oncle parisien a fait la première démarche. D. : l’administrateur provisoire nommé en 1941 a vendu en 43 un bien administré, aux époux P., un à madame B., et un autre aux époux G. Il faudra encore du temps pour faire annuler les ventes. Un autre administrateur provisoire a vendu le stock du magasin de layette à Mme L.
La première ordonnance du GPRF (le Gouvernement provisoire de la République française) concernant les biens « aryanisés » date du 14 novembre 1944, mais il faut encore attendre.

1944, attendre le décret

La personne lésée doit d’abord commencer par payer son conseil juridique, c’est-à-dire l’avoué, sans savoir s’il récupérera son bien un jour :

sans oublier de payer

 10 janvier 1945
Sur la lettre du 10 janvier l’acquéreur d’un bien « aryanisé » veut bien restituer l’immeuble, mais être remboursé de ses frais de peinture.
Robert Brunswick a écrit pour son avoué « Non » .

Dans cette lettre de l’avoué du 10 janvier on apprend que l’ordonnance n’est pas parue (alors que dans l’arrêté du tribunal on apprend qu’elle est parue au JO). Sans doute fallait-il un décret d’application.

janvier45, attendre

 20 mars 1945
après décision du président du tribunal civil de Fontainebleau en date du 15 mars 1945 en application de l’ordonnance du 14 novembre 44 (au JO du 15 novembre 1944).
En résumé, la situation est donc complexe et longue.
Il faut :

  • Attendre l’ordonnance du 15 novembre 1944 permettant le retour au droit de propriété antérieur aux lois antisémites.
  • Attendre les décrets d’application.
  • Avoir une personne de la famille encore en vie, qui puisse et sache faire les démarches, ou trouver les conseils juridiques compétents ;
  • Avoir un minimum d’argent pour toutes ces démarches, les conseils juridiques (avoué, avocat…) étant bien sûr rémunérés pour ce travail.
  • Avoir la patience de passer devant le tribunal, les biens « aryanisés » ayant été vendus, théoriquement légalement « selon les lois en cours sous le régime de Pétain ».
    Une récupération difficile

Et 5 jours après la décision du tribunal, l’avoué envoie l’information à Robert Brunswick (toujours dans le sud-ouest).

 L’ordonnance et le décret d’application

Le 9 août 1944, l’ordonnance portant rétablissement de la légalité républicaine stipule la nullité de tous les actes qui entraînent une discrimination fondée sur la qualité de Juif.
Il faut déjà attendre le 14 novembre 1944 pour qu’une ordonnance permette le retour au droit de propriété antérieur aux lois antisémites. Ensuite encore faut-il appliquer l’ordonnance. Il faut passer par un tribunal car des biens ont été aryanisés et vendus.
Mais ce n’est que deux ans plus tard que la circulaire d’Édouard Depreux, alors ministre de l’Intérieur, datée du 6 décembre 1946, ordonne la destruction de ces actes

Décret d’application :
« Vu l’ordonnance du 9 août 1944, relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental,
Vu l’ordonnance du 14 novembre 1944, ordonne :
Titre I
Chapitre 1er :
Art. 1 :
Sont annulables de droit, à la demande des intéressés, tout acte d’appréhension, confiscation ou aliénation forcée, effectués en vertu des textes dont la nullité a été constatée par les Ordonnances du Gouvernement Provisoire de la République Française, ou les dispositions prises par l’ennemi.
En conséquence, les propriétaires et titulaires des biens, droits et intérêts de toute nature ayant fait l’objet des mesures ci-dessus pourront les revendiquer contre tous détenteurs.
Art 5 : Toutes transcriptions, inscriptions, transferts établis en conséquence directe ou indirecte des actes visés aux articles 1 et 4 seront radiés.

 Un refus d’indemnisation

La famille Stein, étrangère, habitait Montreuil avant et pendant la guerre. Lors de la rafle de Juifs de juillet 1942, Mendel Stein a été arrêté (déporté à Auschwitz, il ne reviendra pas) mais sa femme et sa fille (jeune majeure) s’étaient mises à l’abri. Son magasin a été « aryanisé ». Elles vont réussir, aidées par des amis, à se cacher à Paris ou en région parisienne jusqu’à la Libération. Elles ont également continué à payer le loyer de l’appartement qu’elles occupaient à Montreuil. A la Libération, elles cherchent à récupérer le commerce « aryanisé », leur logement et une indemnisation pour le pillage de leurs biens.
 Toute indemnisation leur est refusé conformément à une loi du 26 octobre 1946, car n’étant pas « sinistrées de nationalité française à la date des dommages », ni parentes d’un étranger engagé dans l’armée française en 1939-1940 ou dans une armée alliée, les ordonnances de la Libération concernant les personnes spoliées ne peuvent s’appliquer à elles.

motivation du refus

M. B. octobre-novembre 2013

[1« aryanisation » : expropriation, pillage, réquisition, spoliation (confiscation), des biens des personnes juives. Un administrateur non-juif est d’abord nommé, c’est le commissaire-gérant qui est chargé de continuer à s’occuper de l’affaire ; puis sur décision des autorités, le bien peut être vendu aux enchères et devient donc le bien d’un nouveau propriétaire, ce qui explique aussi les difficultés de récupération pour l’ancien propriétaire ou ses ayants-droit.


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