Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Nicole Dorra, 1932-2024

samedi 2 mars 2024

"Nicole Dorra était d’un engagement sans faille, avec la volonté de donner à voir, à écouter et à comprendre les drames humains et politiques du vingtième siècle."

Nicole Dorra nous avait reçus pour enregistrer son témoignage. Elle nous avait fait part de son attachement à ce poème de Charlotte Delbo.

« Vous qui passez... comment comment vous pardonner d’être vivants… comment comment vous ferez-vous pardonner par ceux-là qui sont morts pour que vous, vous passiez... Je vous en supplie, faites quelque chose, apprenez un pas, une danse, quelque chose qui vous justifie, qui vous donne le droit d’être habillé de votre peau, de votre poil, apprenez à marcher, et à rire, parce que ce serait trop bête à la fin, que tant soient morts et que vous viviez sans rien faire de votre vie. »

Charlotte Delbo, Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants

Nicole Dorra, mars 2013, Photo NM

Nicole Dorra est née le 9 juin 1932 à Paris. Son père, Elie Dorra, né en Syrie en 1901, devient protégé français après la guerre 1914-1918, la Syrie devenant État mandataire. Sa mère, Henie (Annie) Feingold, d’une famille juive viennoise, est née en Bucovine en 1905. Les parents de Nicole Dorra se sont mariés à Vienne et sont venus à Paris en 1928. Son père était commerçant. Sa mère devient modiste.
Son grand-père paternel, drapier, voyageait en Argentine, en Russie, il avait séjourné en Iran et au Liban.
À la déclaration de guerre, son père veut s’engager pour défendre la France, mais comme il a un passeport syrien, il n’a pas le droit.
En 1940, l’exode les mène à Royan, puis à La Baule où elle assiste à l’arrivée des Allemands. Retour à Paris.
En avril 1941, Nicole quitte Paris avec sa mère qui a réussi à avoir des faux papiers sous le nom de Fringault, née à Tulle, en Corrèze. Son père a organisé leur passage de la ligne de démarcation à Montceau-les-mines. Elle rejoint son père à Lyon. Puis elles partent à Nice où le père a trouvé une maison.

Le père de Nicole Dorra syrien, entame des démarches pour qu’ils rejoignent la famille partie en Amérique du Sud. Dans ce contexte, la famille est baptisée à Monaco par le Père jésuite Arici qui est arrêté en 1944.
"Pendant plusieurs mois, j’ai vu mon père partir pour Marseille dans l’attente de ce papier magique, « le Visa »... Varian Fry, pour moi est resté « l’homme des visas ».
Varian Fry, "l’homme des visas"
Elle échappe au port de l’étoile jaune du 7 juin 1942, la loi n’est pas appliquée dans la "zone libre". Dans le sud-est, sous occupation italienne, les Juifs ne sont pas pourchassés.
Le grand père paternel a été intégré dans un groupe iranien, les Djogoutes, descendants de Juifs perses déclarés aryens. Un certificat de non-juif de la Commission aux questions juives est délivré à un membre de la famille en juin 1943.

Le 8 septembre 1943, suite à l’armistice signé avec les Alliés, les Italiens partent, les Allemands envahissent les départements du sud-est de la France.
La situation devient dangereuse. Ils vivaient dans l’angoisse quotidienne. A chaque rumeur de rafle, ils cachaient la grand-mère parlant yiddish dans une armoire.
Ils vont s’installer en Isère dans un petit hameau, La Sarra, près de Voiron.
Son père a rejoint le maquis, puis devient FFL à l’été 1944 pour continuer la lutte en Allemagne contre les Nazis. Elles reviennent à Nice libérée.
Le 8 mai 1945, c’est la joie dans la cour du lycée, les cloches sonnent.
En 1946, la famille rentre à Paris. Après les spoliations, ils doivent trouver un nouveau logement. Nicole Dorra va au lycée Victor Duruy avec son accent niçois, ayant perdu son accent parisien [1].
Elle prend des cours de piano, s’intéresse aux sciences, devient médecin anesthésiste réanimateur.

Elle s’engage dans plusieurs associations sur la Résistance et la déportation, dont les Amis de la Fondation pour la mémoire de la Déportation, la Fondation de la Résistance, l’Association des Amis de Jean Zay, Mémoire et espoir de la résistance, le Cercle d’étude...
Nicole Dorra crée l’association Ciné-histoire le 26 juillet 2003. Elle a le soutien de nombreuses personnalités comme Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Dominique Vidal, Alfred Grosser, Hélène Mouchard-Zay.

Les séances de Ciné-histoire ont lieu au cinéma, La Pagode, l’Arlequin ou à l’auditorium de l’Hôtel de ville. Nicole Dorra fait intervenir des témoins, des historiens, des réalisateurs, des auteurs, lors des débats.
Les rendez-vous Ciné-Histoire au cinéma
Très active auprès des élèves au sein de Ciné-histoire, elle anime des séances pour les préparer au CNRD, Concours National de la Résistance et la déportation.
Elle crée aussi en 2009 un Ciné-club où elle projette des films sur les grands problèmes contemporains.
Ciné-Histoire, à l’Auditorium de l’Hôtel de ville
Pendant le Covid, elle met des vidéos en ligne :
ciné-histoire et vidéos

Des exemples de nombreuses séances sur Clioweb de Daniel Letouzey.
http://clioweb.free.fr/dossiers/cinehistoire/plaquette2017.pdf

Un crime français : Jean Zay (1904-1944), documentaire de Dominique Missika et Catherine Bernstein, réalisé par Catherine Bernstein.
http://clioweb.canalblog.com/archives/2012/02/20/23568292.html

Jean Zay, ministre du cinéma, Téléfilm de Francis Gendron, Alain Tyr, 2015, 1h 1min
Le Massilia
Le piège du Massilia en juin 1940, premières résistances, premiers procès politiques

Ses parents et amis se sont rassemblés pour rendre hommage à Nicole Dorra, pour son dynamisme et son engagement auprès des jeunes pour transmettre les valeurs humanistes de la Résistance.

Les Batignoles, 14 mars 2024
Photo NM

Nicole Dorra est décédée le 27 février 2024.
Son inhumation aura lieu le jeudi 14 mars 2024, à 15h, au cimetière des Batignolles, 8 rue St Just 75017

NM

Le Cercle d’étude

http://www.cinehistoire.fr/

[1"J’ai ressenti pendant toute la guerre l’exclusion vis à vis des autres enfants, et j’en ai souffert."