Carlo Levi
Carlo Levi, né à Turin en 1902, mort à Rome en 1975, a fait des études de médecine, il a son diplôme de médecin, mais il ne pratique pas, il est peintre, écrivain, journaliste et homme politique italien. Antifasciste, il fait partie des fondateurs du mouvement Justice et Liberté (Giustizia e Libertà) avec Leone Ginzburg, éditeur antifasciste.
Carlo Levi est arrêté en 1935 par les autorités italiennes et condamné au « confinamento », son lieu d’exil est Gagliano. Il peint, soigne les gens pauvres, se promène, observe ces paysans abandonnés par l’État.
Il en repart en 1936, et va faire de la Résistance.
Leone Ginzburg
Un autre confiné antifasciste, Leone Ginzburg, né à Odessa, mort à Rome le 5 février 1944. Famille émigrée à Turin. Co-fondateur des éditions Einaudi. Résistant, arrêté, torturé, il meurt dans la prison Regina Coeli à Rome.
Le Christ s’est arrêté à Eboli
- Une région pauvre, oubliée, en Lucanie (Basilicate)
Un peintre antifasciste originaire de Turin, encadré par des policiers, est déplacé de Grassano, à Aliano (Gagliano) en Lucanie.
Parcours en bus, traversée des terres désolées de la Lucanie (Basilicate aujourd’hui), des pierrailles blanches, des terres ravinées. La route et le train s’arrêtent, il faut continuer en voiture d’un autre âge.
- Paysage de Matera,un ravin, photos UH
Arrivée dans un village, au milieu de ravines, peuplé de seigneurs et de cafoni, des paysans pauvres, qui se livrent une lutte sans merci. Le secrétaire de mairie, le podestat don Luigi Magalone, un brigadier, le collecteur d’impôts, monsieur le Baron d’Avelino en moto, les femmes en noir, l’archiprêtre, des médecins incapables, des poules, des cochons dans la rue. Une dizaine d’assignés. Les confinés sont des communistes.
- Une terre aride.
Des paysans dans la pénombre partent au travail, la bêche à l’épaule. Ils ne chantent pas. Le collecteur des impôts se fait payer en cochons, huile, fromage. Les bourgeois viennent toucher leurs fermages.
Le confiné, un homme seul, trouve difficilement à se loger, à se procurer une femme "convenable" pour lui faire la cuisine. "Gardez-nous des femmes !" par crainte des sorcières fabricantes de philtres dangereux, jeteuses de sorts. Il a un périmètre à ne pas dépasser, doit signer un registre de présence. Le podestat a trouvé un livre dangereux : Les Essais de Montaigne ! qu’il prend pour un auteur de la Révolution française.
Il peint, entouré des gamins du village, se promène avec un chien, Barone, soigne les pauvres, gratuitement.
La malaria, le paludisme, l’érysipèle, les fièvres, le trachome, évissent "Ils étaient tous pâles, maigres, avec de grands yeux noirs et tristes... avec des ventres enflés et tendus comme des tambours sur de petites jambes tordues et grêles."
De nombreuses maladies affectent les habitants de cette région et parfois de façon fatale comme l’évoque la sœur de l’auteur en ce qui concerne les habitants de Matera où des enfants la poursuivent en lui demandant de la quinine.
- "Dans ces trous une seule pièce pour habitation"
Les Sassi à Matera.
"Des petites montagnes arides et déplumées, de terre grisâtre parsemée de pierres."... Des palais.
"J’étais sur une sorte de plateau désert, entouré de petites montagnes arides et déplumées, de terre grisâtre parsemée de pierres. Dans ce désert surgissaient, ça et là, huit ou dix grands palais de marbre, comme ceux qu’on construit maintenant à Rome, l’architecture de Piacentini : portiques, architraves somptueux, colonnes luisantes au soleil, solennelles inscriptions latines. Certains d’entre eux n’étaient pas terminés et semblaient abandonnés, absurdes et monstrueux dans cette nature désespérée. Entre les palais et fermant de ce côté l’horizon, s’étendait un quartier sordide de maisons d’employés, construites à la hâte et déjà en proie à la déchéance et à la saleté." p. 93
Les Sassi, habitations troglodytes
Les hommes vivent dans des grottes creusés dans le calcaire des falaises, avec des animaux, des chiens, des brebis, des chèvres, des cochons, des mouches, des dizaines d’enfants malades, plein de poux. Il n’y a pas de canalisations, des égouts à ciel ouvert. La population est en proie aux superstitions. La région est pauvre, de temps en temps les paysans deviennent des brigands. Les paysans sont résignés. "Nous ne sommes pas considérés comme des hommes."
- " ils y dorment tous ensemble, hommes, femmes, enfants et bêtes."
Le portrait de Roosevelt est au mur, vénéré chez certains. Des habitants les plus malins sont partis aux Amériques, les bons à rien restent au village. Avec la guerre d’Ethiopie pour l’espace vital, ils partent en Afrique. Fiers d’être Italiens.
"L’Afrique est en Italie".
Le curé, dénoncé, doit partir. Interdiction d’exercer la médecine, de soigner les paysans misérables. Un vent de révolte sourde chez ces paysans après la mort d’un des leurs.
1936, arrive la nouvelle de l’amnistie sauf pour les communistes, pour fêter la prise d’Addis-Abeba. Les paysans veulent le retenir.
Il promet de revenir, il fait un livre.
"Il me semblait, sous ce soleil aveuglant, être tombée au milieu d’une ville frappée par la peste." dit encore la soeur.
La honte nationale. Quinze mille habitants sont évacués en 1952.
Aujourd’hui les Sassi ont été réhabilités, Matera fait partie du patrimoine mondial de l’UNESCO.
NM
Médiagraphie
LEVI Carlo, Cristo si è fermato a Eboli, préf. Jean-Paul Sartre et Italo Calvino, Einaudi Editore, 1945
LEVI Carlo, Le Christ s’est arrêté à Éboli (trad. Jeanne Modigliani), Paris, Gallimard, coll. « Du monde entier », 30 juillet 1948, Gallimard 1977
Ginzburg, Leone, Lettere dal confino 1940-1943, Einaudi, 2004
Le Christ s’est arrêté à Eboli, film franco-italien de Francesco Rosi, 1979, avec Gian Maria Volontè, Lea Massari, Alain Cuny et Irène Papas
Leone Ginzburg, un intellectuel contre le fascisme, documentaire de Florence Mauro, 2016
Une journée particulière (Una giornata particolare), Ettore Scola, 1977
Le 6 mai 1938, Hitler rencontre Mussolini à Rome. Gabriele, homosexuel attend sa déportation. Les confino homosexuels sont envoyés à Carbonia, dans le sud de la Sardaigne.
Les Sassi de Matera, du scandale national au monument ethnologique
Ferdinand Mirizzi
NM
