Peter Weiss naît dans un environnement aisé près de Berlin, en 1916, d’un père tchèque et d’une mère suisse. Dans les années trente, sa famille émigre en Suède [1] où Peter se fixe après avoir suivi des cours d’art à Prague. Ses premières œuvres sont picturales, la littérature l’attire également. Il écrit, sans trop de succès à cette époque-là, des textes en suédois et en allemand. Mais sa pièce Marat – Sade lui vaut en 1964 un premier grand succès en Allemagne et dans beaucoup d’autres pays. Ce texte met en scène le conflit entre un individualisme extrême (Sade) et l’esprit révolutionnaire, un conflit que l’auteur ressent en lui-même.
Magistrat : Témoin, connaissez-vous le nom de Lili Tofler ?
Témoin : Oui. Lili Tofler était une jeune fille extrêmement jolie.
Elle fut arrêtée parce qu’elle avait écrit une lettre à un détenu.
Lors de la tentative de passer la lettre à ce détenu celle-ci a été trouvée.
Lili Tofler fut interrogée, elle devait dire le nom de ce détenu.
Boger dirigeait les interrogatoires.
Il avait donné l’ordre de la transférer dans le bloc du Bunker.
Là elle devait un grand nombre de fois se tenir nue contre le mur -
Et on faisait semblant de la fusiller.
On donnait les ordres pour de faux.
À la fin elle implorait sur ses genoux qu’on la fusille.
Magistrat : A-t-elle été fusillée ?
Témoin : Oui.
(Extrait du Chant de la mort de Lili Tofler)
Cette citation (traduction par l’auteur de cet article) est tirée de la pièce que Peter Weiss intitule Die Ermittlung (L’Instruction, oratorio en onze chants). Cette œuvre, une pièce documentaire, est créée en 1965 par 15 théâtres allemands et anglais le même jour. L’auteur s’inspire des dépositions du procès contre des criminels nazis à Auschwitz qui a eu lieu à Francfort-sur-le Main de 1963 à 1965 [2]. Les témoins restent anonymes, mais les accusés sont nommés de leurs vrais noms. Le montage des textes souligne les contradictions dans les dépositions des accusés. Les témoignages informent le public allemand des crimes nazis à Auschwitz.
D’autres pièces de Weiss, qui se situe de plus en plus politiquement à gauche, ont pour sujet le colonialisme portugais, la guerre du Vietnam, le poète Hölderlin ou le révolutionnaire Trotsky. Toutes ces pièces ont du succès, mais suscitent souvent des protestations et scandales. La pièce sur Trotsky lui ferme la porte de la RDA. Weiss développe une vision du socialisme non dogmatique et qui laisse une grande place à l’art.
Son grand roman Esthétique de la Résistance (Die Ästhetik des Widerstands) en trois tomes développe cette vision politique. Sa rédaction occupe l’auteur pendant les dix dernières années de sa vie. Les grands thèmes du roman sont l’art et la société nouvelle, l’émigration, la lutte antifasciste en Espagne, en Allemagne (« orchestre rouge ») et la répression féroce des autorités nazies.
Quelques oeuvres de Peter Weiss
Marat-Sade (traduit de l’allemand par Jean Baudrillard), théâtre, Le Seuil, 1965
L’Instruction (traduit de l’allemand par Jean Baudrillard), théâtre (oratorio en onze chants), Le Seuil, 1966.
Discours sur la genèse et le déroulement de la très longue guerre de libération du Vietnam illustrant la nécessité de la lutte armée des opprimés contre leurs oppresseurs ainsi que la volonté des États-Unis d’Amérique d’anéantir les fondements de la Révolution (traduit de l’allemand par Jean Baudrillard), théâtre, Seuil, 1968.
Trotsky en exil (traduit de l’allemand par Philippe Ivernel), théâtre, Le Seuil, 1970.
Hölderlin (traduit de l’allemand par Philippe Ivernel), théâtre, Le Seuil, 1971.
L’Esthétique de la résistance (traduit de l’allemand par Éliane Kaufholz-Messmer), roman (3 tomes), Klincksieck, 1989-1993.
Ulrich Hermann
[1] La famille maintient une fiction : ils ont quitté l’Allemagne pour des raisons économiques et non politiques.
[2] Les procès d’Auschwitz à Francfort-sur-le-Main