Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Lettre pastorale de Mgr Théas et commentaire

L’Évêque de Montauban prend position contre les rafles de juifs
mardi 5 juin 2012

Face aux rafles de Juifs, seuls, cinq prélats de l’Église catholique dont Monseigneur Théas, ont réagi publiquement en faisant lire une lettre pastorale le dimanche dans toutes les églises de leurs diocèses.

Mgr Théas, évêque de Montauban, face aux rafles massives de Juifs, un prélat prend position publiquement.

Lettre de Monseigneur l’Évêque de Montauban,
sur le respect de la personne humaine

Le 26 août 1942
Mes biens chers Frères,

Des scènes douloureuses et parfois horribles se déroulent en France, sans que la France en soit responsable.
À Paris, par dizaines de milliers, des Juifs ont été traités avec la plus barbare sauvagerie. Et voici que dans nos régions on assiste à un spectacle navrant ; des familles sont disloquées ; des hommes et des femmes sont traités comme un vil troupeau, et envoyés vers une destination inconnue, avec la perspective des plus graves dangers.
Je fais entendre la protestation indignée de la conscience chrétienne et je proclame que tous les hommes, aryens ou non aryens1, sont frères parce que créés par le même Dieu ; que les hommes, quelle que soit leur race ou leur religion, ont droit au respect des individus et des États.
Or les mesures antisémitiques actuelles sont un mépris de la dignité humaine, une violation des droits les plus sacrés de la personne et de la famille.
Que Dieu console et fortifie ceux qui sont iniquement persécutés ! Qu’Il accorde au monde la paix véritable et durable, fondée sur la justice et la charité ! »
Pierre-Marie Théas
Évêque de Montauban

À lire sans commentaire à toutes les messes, dans toutes les églises et chapelles du diocèse, le dimanche 30 août 1942

Historique

Les 16 et 17 juillet 1942, a lieu à Paris, en zone occupée, la rafle dite du «  Vél’d’Hiv’  » : environ 13 000 Juifs arrêtés (hommes et surtout femmes et enfants). À partir du 26 août 1942, commencent les rafles et déportations de Juifs à partir de la zone sud. Laval, chef du gouvernement français, a promis aux Allemands de leur « livrer » 10 000 Juifs étrangers de cette zone, alors non occupée par les Allemands. Ces Juifs sont pris majoritairement dans les camps du sud (Gurs, Rivesaltes…) où la loi du 4 octobre 1940 du gouvernement de Vichy avait permis de les interner pour la seule raison qu’ils étaient juifs et étrangers. Seuls, cinq prélats de l’Église catholique ont réagi publiquement en faisant lire une lettre pastorale le dimanche dans toutes les églises de leurs diocèses, comme l’évêque de Montauban ((Tarn-et-Garonne) qui fit lire la lettre ci-dessus (rédigée le jour-même où commencent ces déportations) lors des messes du dimanche 30 août. (Il avait été précédé dans ce type d’action par Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, dès le 23 août).

Commentaire de la Lettre de Mgr Théas, évêque de Montauban

La lettre pastorale de Mgr Pierre-Marie Théas, évêque de Montauban(1), lue en chaire dans toutes les églises du Tarn et Garonne, le dimanche 30 août 1942, est l’expression d’une "protestation indignée". Elle est contemporaine des rafles de Juifs étrangers, y compris de femmes et d’enfants à l’été 1942, ainsi le 26 août 1942, en zone dite libre. Elle fait aussi suite à l’obligation du port de l’étoile jaune et à la transformation des camps d’internement en camps de transit précédant la déportation, comme le camp de Septfonds situé dans le même département (2) : la lettre parle de "dizaines de milliers de Juifs traités avec la plus barbare sauvagerie", "envoyés vers une destination inconnue, avec la perspective des plus graves dangers". Une fraction très minoritaire du haut clergé s’engage alors dans une forme de résistance que l’on pourrait qualifier de spirituelle, parce qu’elle s’opère au nom d’une "conscience chrétienne" et même du "sens humanitaire le moins cultivé" ( 3). La lettre s’adresse en effet aux seuls fidèles, mais son audience et ses conséquences vont bien au delà des seuls catholiques pratiquants.

L’ évêque a déjà (4) aidé à la production de faux papiers, caché des familles juives traquées (5) et et soutenu des filières de sauvetage liées aux Éclaireurs israélites de France et à la maison d’enfants de Moissac. Le texte d’une lettre d’accompagnement en date du 28 août ( la lettre pastorale est datée du 26), adressée au préfet du Tarn et Garonne, François Martin, est explicite : l’évêque "use de son droit pour condamner ce que condamne la conscience chrétienne". Mais il sait que l’homme, le chrétien ?, peut être différencié de la fonction officielle, que la personne privée "partage ses sentiments , réprouve ce qu’il réprouve", et donc qu’il n’interdira pas la lecture publique de la lettre pastorale. Par contre il renonce à son projet initial de faire lire la lettre à la messe de la légion (des combattants), en présence du préfet, nommé par le gouvernement Pétain-Darlan, fin 1941, lequel s’exprimera à mots couverts.

Mgr Théas use aussi de son autorité déléguée, il est l’évêque suffragant de l’archevêque de Toulouse, Mgr Saliège, dont la lettre a été lue le dimanche précédent et fait jouer tous ses réseaux : il est lié aux Résistants chrétiens et juifs, a de bonnes relations avec les Francs-maçons et le parti radical : c’est la responsable du secrétariat de l’évêché, engagée dans le mouvement Témoignage-Chrétien, Marie-Rose Gineste (6) qui se charge d’aller, à bicyclette, porter la lettre pastorale à tous les curés de toutes les paroisses du département. Il usera aussi de toute son autorité sacerdotale pour interdire aux prêtres de son diocèse d’entrer dans la légion des combattants , et/ou de s’enrôler dans le Service d’ordre légionnaire (SOL), future Milice. C’est donc pour la défense d’un système de valeurs : le respect (et non "le mépris") de la personne humaine, le refus des "excès" de la politique de collaboration, de la persécution des Juifs, puis la condamnation des départs forcés par le STO qu’il s’exprime publiquement. Le préfet Martin, dans son rapport mensuel d’octobre 1942 adressé au Gouvernement Pétain-Laval écrit que " la lettre pastorale...lue le 30 août 1942 a recueilli l’approbation presque totale de la population", et ses initiatives lui vaudront d’être arrêté et interné à Compiègne. Quant au préfet, il présentera sa démission fin 1943, sera relevé de ses fonctions le 13 février 1944, et à la Libération sanctionné comme préfet ( révoqué de l’ordre préfectoral) et comme député ayant voté les pleins pouvoirs constituants au maréchal Pétain.

Cinq prélats de l’Église catholique prennent position face aux rafles de juifs

L’ Église catholique et la persécution des Juifs

1-Sylvaine GUINE-LORINET :"Pierre- Marie Théas, un évêque dans la France de Vichy" in F. DROUIN et P. JOUTARD " Mgr Théas, évêque de Montauban, les Juifs, les Justes", Actes du colloque de Montauban-10-11octobre 2002- Privat-2003.
2-Sylvain ZORZIN - Le camp de Septfonds, 60 ans de mémoires et d’histoire (tiré de son mémoire à l’IEP de Bordeaux) publié en 2000.
3-Lettre de Mgr Théas au préfet François Martin, datée du 28 août 1942, publiée par son fils Yves François-Martin.
4- Texte de Max Lagarrigue, historien, directeur de la revue Arkheia-Histoire et mémoire du vingtième siècle en Sud-Ouest - intitulé "Un prélat hors du commun : Pierre Marie-Théas, évêque de Montauban (1940-1945)".
5- C’est pour ces raisons qu’il a été reconnu "Juste parmi les nations".
6- Sylvie Bernay "L’Église de France face à la persécution des Juifs", pages 344-346.