La famille BENYACAR, Moïse, 24 ans, déporté avec sa femme Lisette, 22 ans et leur bébé Sylvain âgé de 3 mois
Moïse Benyacar, appelé Maurice dans sa famille, est né à Aydin, en Turquie, le 19 janvier 1920. En 1926, son père décède. Sa mère, Vida Benyacar, née Bensignor, vient en France rejoindre la famille de son frère Maurice Bensignor et de sa belle-sœur Rachel Houly qui vivent à Versailles. Elle a alors 6 enfants (voir photo ci-dessous), tous nés en Turquie. Maurice Benyacar, âgé de 6 ans, est le plus jeune.
Maurice Benyacar suit des études de comptabilité. Avant-guerre, il se marie avec Lisette Zaslavsky, née à Paris le 25 mai 1922. Après la rafle du 20 août 1941 à Paris, le couple décide de partir en zone sud. Cachés dans le vestiaire des cheminots de la gare de Lyon, ils réussissent à rejoindre le sud de la France. Ils s’installent au Pontet, près d’Avignon, dans le Vaucluse, s’y pensant protégés.
À midi et demi, le 6 juin 1944, jour du débarquement allié, Maurice Benyacar et sa femme Lisette sont entrain de déjeuner à leur domicile. Leur bébé de 3 mois, Sylvain et leur neveu, âgé de 5 ans, sont à côté d’eux. Quatre hommes en civil, visiblement des miliciens, entrent d’autorité chez eux. Ils prétextent venir vérifier leurs papiers. Ils les emmènent à la prison Sainte-Anne, les incarcèrent dans les cellules de la section allemande de la prison, bébé compris ! Pendant l’interrogatoire, Maurice Benyacar réussit à lire le motif de son arrestation, « Favorise le maquis » Il avait effectivement intégré un réseau qui aidait des jeunes appelés au STO (service du travail obligatoire) à rejoindre le maquis du Vercors. Deux jours plus tard, ils sont tous emmenés à Drancy où ils entrent le 13 juin avec 69 personnes arrêtées dans la région de Marseille. Ils y retrouvent une partie de leur famille habitant Versailles dont ils ignoraient l’arrestation. Ils réussissent à se voir assez souvent, ce qui les réconforte. La fiche du carnet de fouille de Moïse Benyacar dit qu’il remet au chef de la police du camp la somme de 316 francs, puisque chaque interné devait remettre argent et objets de valeur à son arrivée au camp.
Le 30 juin, ils sont conduits à la gare de Bobigny avec 1153 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy.
Le voyage qui dure quatre jours, en plein été, dans un wagon à bestiaux plombé dût être particulièrement épuisant pour Lisette Benyacar qui ne parvient plus à allaiter son bébé. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la « rampe d’Auschwitz » où a lieu la sélection. Maurice et Lisette Benyacar sont séparés, momentanément pensent-ils, tant on leur avait dit à Drancy qu’ils seraient ensemble au camp. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés « aptes » pour le travail. Ce sont généralement les plus jeunes. Par contre, Les femmes jeunes et leurs enfants ainsi que les personnes âgées sont gazés dès leur arrivée au camp. Ainsi Lisette Benyacar et son bébé ont été inévitablement assassinés le 4 juillet 1944.
Maurice Benyacar entre au camp d’Auschwitz III situé à une dizaine de kilomètres d’Auschwitz près du village de Monowitz. Y était installée l’usine surnommée « Buna », d’I.G. Farbenindustrie destinée à fabriquer du caoutchouc synthétique. Il devient le déporté A-16568. Il dit « qu’il appartient à la main d’œuvre en tout genre ». Dans les mois qui suivent il va voir mourir la plus grande partie de sa famille. Tout d’abord, son oncle, Maurice Bensignor, meurt d’une pneumonie à la veille de la libération du camp.
Puis le 18 janvier 1945, il fait partie des 250 à 300 déportés du convoi 76 évacués du camp de Monovitz. Parmi eux, son frère, Sadia, son petit cousin, Jacques, et Paul Block, avec qui il a fait équipe dans tous les travaux au camp. Il effectue la première marche de la mort, une marche de 60 kilomètres sur des routes enneigées, en plein hiver, jusqu’à la ville de Gleiwitz, un Kommando du camp d’Auschwitz. Le 20 ou le 21 janvier, 2451 déportés sont entassés dans des wagons à charbon que les hommes rentrés dénommaient « wagons découverts », car sans toit, donc ouverts à tous les vents, à la neige et au froid, sans recevoir de nourriture. Après six jours de transport, il arrive vivant avec 100 hommes du convoi 76 le 26 janvier 1945 au camp de Buchenwald. C’est là qu’il voit mourir son jeune cousin, Jacques Arditti, à la descente du train.
Il reçoit un nouveau numéro matricule, 122491. Il se dit comptable et son frère Sadia se dit tailleur. Ils sont affectés au Petit Camp de Buchenwald, surpeuplé, du fait de l’arrivée de déportés évacués des camps nazis avant leur libération. Lui est hospitalisé, une de ses jambes s’étant infectée ; Atteint de dysenterie, son frère meurt en quelques heures sans avoir prononcé une parole, le 15 mars. Maurice Benyacar est désemparé, tant son frère et lui avaient tout partagé depuis le début.
Le 6 avril, il est raflé dans le Petit camp, et vit un véritable enfer dans l’un de ces convois de la mort parti de Buchenwald et qui aboutit à Dachau après 23 jours d’errance, sans nourriture, une sauvagerie inouïe régnant dans son wagon, à tel point qu’il n’y restait, selon lui, que deux rescapés à l’arrivée. Maurice Benyacar n’a plus que la peau et les os, il pèse 26 kilos. Il est atteint du typhus et est alité pendant 1 mois et demi. Il ne sera rapatrié que le 14 juin 1945.
Il ne retrouve ni maison ni foyer à son retour. Il s’installera finalement à Béziers où on lui confie la gérance puis la direction d’un magasin Dralux. Maurice Benyacar s’est remarié en 1948, a eu un fils en 1951 dont il a aujourd’hui une petite-fille et un arrière-petit-fils, Noah. Il a témoigné inlassablement dans les écoles, les collèges et les lycées de la région de Béziers, pour transmettre la mémoire de la déportation. Il est décédé à Béziers le 14 février 2014, à l’âge de 94 ans.
Vida Benyacar et ses six enfants. Moïse est le 2ème à partir de la gauche.
Fonds privé
DAVCC AC 21P 706735- Mémorial de la Shoah- Témoignage de Moïse Benyacar 2008-2011- témoignage d’Evelyne Benyacar, 2021.
Chantal Dossin
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