Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

La Filière (The Ratline ), Philippe Sands

Fiche de lecture par Martine Giboureau
lundi 1er février 2021

Un livre qui fourmille d’hypothèses démontées les unes après les autres et qui s’apparente souvent à un roman policier.

Fiche de lecture La Filière, Philippe Sands, Albin Michel, octobre 2020

Ce gros livre de près de 500 pages (dont 86 pages de remerciements, notes, sources, index et table des matières) est foisonnant. Il s’agit à la fois d’une enquête sur et autour d’Otto Wächter, au fil de laquelle on partage les sentiments, impressions de l’enquêteur, d’un livre d’histoire concernant l’Europe de 1933 à 1949 croisant de multiples biographies de personnages de premier plan comme d’intervenants plus modestes, voire d’un guide touristique et gastronomique car l’auteur détaille les nombreux voyages qu’il a faits pour tenter de trouver témoins, traces matérielles ou documents afin d’enrichir sa compréhension des faits … Philippe Sands rencontre des spécialistes de nombreux domaines, dont un certain David Cornwell, plus connu sous le nom de John Le Carré ! La quatrième de couverture évoque cette richesse : « intrigues politico-religieuses, espionnage, traque et vie cachée d’un criminel, décès énigmatique, dévotion filiale et passion amoureuse, secrets d’alcôve et trahisons : […] l’enquête méticuleuse de Philippe Sands dresse un tableau saisissant de l’échiquier politique à la fin de la Seconde Guerre mondiale et à l’aube de la guerre froide. » Philippe Sands, avant cet ouvrage, a déjà publié divers travaux concernant Otto von Wächter : article dans le Financial Times en 2013, film (What Our Fathers did. A nazi Legacy) en 2015 …

Une grande partie des informations présentées résulte de la confrontation de l’auteur avec Horst Wächter [1], le fils d’Otto qui n’a de cesse de défendre la mémoire de son père mais qui coopère très honnêtement avec Ph. Sands, lui fournissant entre autres tous les documents familiaux. Horst qui a peu connu son père reste ainsi fidèle à la mémoire de sa mère, Charlotte jusqu’à la fin de sa vie indulgente pour son mari.

Dans ce compte-rendu subjectivement très sélectif, je vais me consacrer dans un premier temps à reconstituer la vie de Otto von Wächter, nazi de haut rang, personnage central de cette enquête. Je tenterai ensuite de cerner ce que furent pour l’auteur l’épuration, ses failles. Je détaillerai enfin trois biographies égrenées au fil des pages de personnes au poids historique important. Philippe Sands dresse tout au long de son livre un portrait très complet et fort nuancé de Charlotte, la femme d’Otto, mais son rôle n’étant pas historiquement fort, je ne reprends pas ces éléments dans ce compte-rendu. Toutefois pour des élèves en quête d’une approche originale du nazisme, je ne saurais trop conseiller la reconstitution de ce portrait, Charlotte étant un exemple très représentatif et donc fort intéressant d’une femme nazie de la haute société.

Chronologies parallèles

Chronologies parallèles de la vie d’Otto von Wächter et de l’histoire de l’Europe

datesOtto von WächterContexte historique
8 juillet 1901 Naissance à Vienne d’Otto, fils d’un monarchiste, officier de l’armée austro-hongroise.
Octobre 1919 Entrée à la faculté de droit à Vienne ; Otto s’affirme nationaliste et prend position à propos des Sudètes germanophones. Les Sudètes sont revendiquées après 1918 par les nationalistes allemands.
Mars 19211923 11 septembre 1932 Otto participe à une marche anti-juive à Vienne d’où 14 jours de prison ; peine d’un an avec sursis. adhésion au parti national-socialiste autrichien. mariage d’Otto avec Charlotte Bleckmann, née en 1908 ; six enfants naissent de cette union (Charlotte subit de plus trois avortements).
mars 1933 Otto se rend à Potsdam et rencontra Hitler. Ouverture du nouveau Reichstag (incendie du précédent bâtiment en février) ; loi donnant les pleins pouvoirs à Hitler.
été 1933 arrestation d’Otto pour activités politiques interdites. Le chancelier Dollfuss a interdit en mai plusieurs partis dont le parti national-socialiste.
25 juillet 1934 tentative de putsch par les nazis autrichiens dirigé entre autres par Otto ; échec ; Otto est inculpé pour haute trahison et s’enfuit en Hongrie puis en Allemagne. Dollfuss est assassiné.
1934-1938 Otto vit en Allemagne, y fait son service militaire, est avocat allemand, grimpe les échelons dans la SS. Volontaire pour un entrainement militaire, il sert à Dachau. Otto est engagé à la SD, l’agence de renseignement de la SS en 1936.Au début 1937, il déclare quitter l’église catholique, ce qui exprime son dévouement à la SD, à la SS et au Führer. En janvier 1938 Otto est promu SS-Standartenführer. Septembre 1935 : lois de Nuremberg ; 12 février 1938 : Les nazis allemands imposent à l’Autriche la libération des nazis emprisonnés et la libre propagation des idées nazies.
mars 1938 retour d’Otto en Autriche ; Otto est nommé commissaire d’Etat en charge des ressources humaines ; la résidence de fonction est récupérée grâce à l’expropriation de la famille Mendl. 11 mars : nouveau chancelier autrichien (Seyss-Inquart ; le parrain d’Horst) ; 12 mars : Anschluss ; 10 avril référendum = 99,74% des Autrichiens disent oui à l’union des deux pays.
Deuxième moitié de 1938 Otto, chargé de cette ‘’restructuration’’ du service public, a licencié au moins 16237 fonctionnaires. 31 mai 1938 : ordonnance destinée à restructurer le service public autrichien. Novembre 1938 : nuit de cristal à Vienne.fin 1938 : plus de 26 000 petites et moyennes entreprises ont été aryanisées en Autriche.
1939 17 octobre : Otto est nommé administrateur en chef du district de Cracovie ; il est ensuite promu gouverneur de ce district. Il dressa la liste de 120 ‘’otages’’ ; il signa l’ordre de ‘’marquage des Juifs’’ à partir du 1er décembre ; il organisa et assista à l’exécution publique de 50 otages polonais le 18 décembre 1939 à Bochnia [2] ; il organisa le déplacement de dizaine de milliers de juifs de la ville vers la campagne environnante. 1er septembre 1939 : invasion de la Pologne
1941 le 3 mars 1941, Otto signa le décret créant le ghetto de Cracovie. Juin 1941 : Opération Barbarossa ; le district de Galicie est incorporé dans le Gouvernement général allemand.Décembre 1941 : décision de construire le camp de Belzec.
1942 23 janvier : Otto est nommé gouverneur de la Galicie : il s’installe à Lemberg [3] le 28 janvier. En l’espace de quelques semaines Otto interdit certaines professions aux juifs, mit en œuvre la ‘’Solution finale’’ (au printemps 1943, la ‘’Grosse Aktion’’ était terminée ; 434 329 juifs avaient été ‘’évacués’’, le district était Judenfrei). Dans le district de Galicie, sous le commandement d’Otto, plus de 525 000 personnes avaient perdu la vie entre 1942 et juillet 1944. Seuls 15 000 juifs avaient survécu, moins de 3% de la population juive d’avant 1939. 20 Janvier 1942 : fin de la conférence de Wannsee 17 octobre 1942 : le New-York Times dénonce dix principaux nazis dont Otto von Wächter « tristement célèbre pour l’extermination de l’intelligentsia polonaise ».
1943 Otto crée la Division SS Galicie [4], composée d’Ukrainiens recrutés sur son territoire. 2 février 1943 : fin de la bataille de Stalingrad ; 10 juillet : débarquement américain en Sicile
1944 16 mai : « le SS-Brigadeführer Dr Otto Wächter (SS-Nr. 235 368) » est nommé au grade de SS-Gruppenführer. En août 1944, Otto écrit dans une lettre qu’il avait beaucoup à faire à Lemberg, notamment envoyer les hommes dans les camps de travail et organiser les grandes opérations juives (Judenaktionen). 27 juillet : Otto quitte Lemberg ; il arrive à Berlin le 30 juillet ; il est envoyé en Italie pour diriger l’administration militaire de la partie nord du pays. Il s’installe sur le lac de Garde à quelques kilomètres de Salo. 24 mars 1944 : 335 Italiens sont exécutés dans les Fosses ardéatines. 4 juin : les Américains entrent dans Rome. 20 juillet : échec de la tentative d’assassinat d’Hitler
1945 Février : Otto retourne à Berlin ; il est vice-directeur du groupe D à la RSHA qui contrôlait la SS allemande. Il crée le Comité national ukrainien (CNU) et l’Armée nationale ukrainienne (ANU). La Division SS Galicie devint la 1re Division ukrainienne de l’ANU et Otto voulait qu’elle soit une unité de combat antibolchévique. Le 10 mai 1945 Otto part seul et se cache. Il se sait recherché par les Américains, les Soviétiques, les Polonais, les associations juives … 12 avril : l’Armée rouge entre dans Vienne ; 8 mai : fin de la guerre en Autriche ; Des procédures criminelles sont engagées par des cours locales entre autres à l’encontre d’Otto ; une commission des Nations Unies publia une liste de 300 cas ‘’particulièrement graves’’ : Otto était identifié comme l’un des criminels de guerre. 20 novembre 1945 : début du procès de Nuremberg ; des témoignages racontent les meurtres perpétrés dans les territoires gouvernés par Otto.
1945-1948 Otto survit dans les Alpes autrichiennes pendant plus de trois ans, grâce à l’aide constante de sa femme qu’il retrouve régulièrement et la présence à ses côtés de Burkhard Rathmann, dit Buko, un jeune SS débrouillard. En fuite, il prit plusieurs identités : Oswald Werner, puis en Italie, Alfredo Reinhardt. Après 1945, l’Italie est du côté des Alliés et veut faire oublier son passé fasciste allié à Hitler. Le fascisme est interdit par la nouvelle constitution.
1949 Otto, repéré, quitte l’Autriche, traverse les Alpes à pied, atteint Merano le 17 février puis arrive à Bolzano où il reste quelques temps. Il va ensuite à Rome fin avril 1949 [5]. Il s’installe dans un monastère, Vigna Pia. Il reste en contact avec sa femme qui continue à l’aider matériellement. Il obtient quelques emplois comme figurant au cinéma. Grand sportif, il se baigne à plusieurs reprises dans le Tibre. Le 2 juillet il est invité par Karl Hass, se baigne dans le lac Albano, tombe malade. Il meurt à l’hôpital le 13 juillet 1949.

Le tableau de 3 pages en pdf :

tableau Otto Waechter

Philippe Sands a vérifié de nombreuses hypothèses quant aux causes du décès d’Otto Wächter (une rumeur persistante parlait d’un empoisonnement volontaire). Nous suivons au fil des pages ses recherches, rencontres avec divers spécialistes. Sa conclusion est qu’Otto a sans aucun doute contracté une leptospirose (maladie de Weil) [6] par contact avec de l’eau souillée – Otto s’était baigné entre autres dans le Tibre pollué.

Dénazification

Philippe Sands, en suivant les étapes de la vie d’Otto, de sa femme, de son fils Horst, est amené à décrypter comment des nazis de haut rang ont pu échapper à la justice après la guerre, quelles ont été les limites de l’épuration, en particulier du fait de la guerre froide. Ce dernier contexte a conduit l’auteur à affiner ses connaissances sur l’espionnage et le contre-espionnage au moment de l’arrivée d’Otto à Rome.

  • Les États-Unis
    *Le CIC = le Service de contre-espionnage de l’armée américaine est officiellement crée en 1942 (mais ayant des origines remontant à la Première Guerre).
    Ce service est chargé en 1945 de la capture de nazis en Europe. Mais dans l’optique d’une menace soviétique, le CIC a recruté des nazis qui connaissaient « l’ennemi soviétique », les transformant en citoyens honorables, les protégeant de toute poursuite. Des scientifiques allemands et des agents des renseignements nazis furent ainsi mis au service des États-Unis.
    *Les États-Unis ont contribué à mettre en place une filière d’exfiltration (Ratline) : d’après John Le Carré, 10 000 nazis ont ainsi pu partir vers l’Amérique latine, souvent grâce aussi à l’aide du Vatican.
    *Beaucoup de services états-uniens et britanniques, dont le CIC, n’ignoraient rien des « réfugiés » nazis arrivés en Italie, des filières mises en place pour leur faire quitter l’Europe, du rôle de la Croix-Rouge et du Vatican …
    *En 1949, les États-Unis du fait de la guerre froide avaient modifié leur stratégie : ils travaillaient de manière étroite avec le Vatican, étaient moins pressés de répondre aux demandes d’extradition de la Pologne (dorénavant dans la sphère soviétique). Ils cherchaient à faire des anciens nazis des agents anti-soviétiques.
    En juin 1985, le Contrôleur général des États-Unis a publié un rapport accablant sur le recrutement des nazis et leur fuite en Amérique du Sud avec l’aide de la CIA. Il cite un officier évoquant cette période : « L’Ouest mène un combat désespéré contre l’Est – contre les Soviétiques – et nous recruterons quiconque pourra nous aider à vaincre les Soviétiques – quiconque, quel que soit son passé nazi. »
  • Les Soviétiques
    *Ils préféraient recruter d’anciens nazis pour les retourner et les utiliser contre l’Allemagne de l’ouest ou contre les Etats-Unis.
    *A l’été 1949, le 430ème détachement du CIC apprit l’existence d’un réseau d’espionnage soviétique opérant à Rome composé de nationaux allemands. Le CIC a établi un répertoire d’Allemands actifs à Rome (dont au moins trois personnes étaient des contacts d’Otto).
    Otto étant profondément anticommuniste, Philippe Sands n’a pas eu à enquêter en détail sur les agissements des services soviétiques, même s’il a vérifié scrupuleusement l’hypothèse d’un empoisonnement d’Otto par les Soviétiques.
  • Spoliations et restitutions d’œuvres d’art
    A Vienne, du fait de son poste de secrétaire d’état, Otto et sa famille bénéficient d’une ‘’maison de fonction’’, à savoir une villa qui appartenait à la famille Mendl qui venait d’en être expropriée. Selon une héritière de cette famille, Otto et Charlotte avaient pillé cette villa, s’emparant d’œuvres d’art et d’une collection de verres anciens en cristal. Horst avait longtemps gardé un service en porcelaine que Charlotte avait emporté quand elle avait quitté la Villa Mendl. Philippe Sands a retrouvé les héritiers et Horst a restitué ce service. Après la guerre, la Villa Mendl fut rendue à ses propriétaires et Charlotte concéda quarante ans après les faits : « Peut-être n’aurions-nous pas dû la prendre. » Mais elle se justifiait : la propriété était vide, son propriétaire, « un riche juif », ayant choisi d’émigrer.
    Les Wächter « achetèrent »une maison de campagne, la demeure de Thumersbach (vaste domaine de 16 hectares) : c’était un « don » du chef du parti local, le propriétaire, le Dr Franz Rehrl, ancien gouverneur de Salzbourg en ayant été spolié (il avait été envoyé à Ravensbrück). Après la défaite des nazis et leurs alliés, Rehrl voulut récupérer sa propriété. Charlotte nota : « Je savais que nous devrions partir, mais je fus bouleversée lorsque l’avocat désigné pour s’occuper de l’affaire vint un jour nous dire que nous devions nous loger ailleurs. » Bien plus tard, elle reconnut : « Une propriété usurpée ne prospère jamais ».
    Philippe Sands s’est intéressé au pillage des objets d’art en Pologne. Les expropriations avait été supervisées par un SS autrichien, Kajetan Mühlmann, qui avait largement aidé les gouverneurs Frank et Wächter à s’approprier l’art local. Charlotte choisit elle-même à Cracovie des objets dans la galerie de la Halle aux draps [7], pillant l’ensemble des départements du musée pour décorer sa maison. « Malgré les protestations du directeur, elle s’était approprié ‘’les tableaux les plus exquis et les plus belles pièces de mobilier antique’’ ». Philippe Sands réussit à comprendre que l’argent que Charlotte envoyait à Otto après guerre provenait de la vente d’objets provenant de Cracovie ou de Lemberg. Charlotte expliquait à un de ses petits-fils en 1984, qu’elle avait emporté tapis et vases chinois en quittant Lemberg « pour qu’ils ne se retrouvent pas entre les mains des Russes. » Elle avait donné à chacun de ses six enfants au moment de leurs mariages un cadeau provenant de sa collection.
    Chez Horst, Philippe Sands avait vu une gravure de Cracovie et une carte ancienne. Horst avait expliqué que Charlotte avait rapporté ces objets de Cracovie. Il y avait aussi un tableau qu’Horst disait avoir souhaité en vain restituer à la famille Lubomirski et qu’il avait laissé en Pologne. Horst suite aux conversations avec Philippe Sands restitua trois œuvres à des agents polonais (la gravure, la carte et un tableau du palais Potocki) ce dont se firent écho la presse polonaise et internationale.
    Des œuvres d’art, dont par exemple un Saint Georges tuant le dragon en bois sculpté, sont toujours possessions de membres de la famille Wächter.

Frank, Hass, Hudal

Trois personnages historiquement importants qui ont été dans l’entourage d’Otto Wächter

  • Hans Frank [8], gouverneur général de la Pologne occupée
  • Né en 1900 ; membre du NSDAP en 1923 ; participe à la tentative de putsch à Munich.
    *En octobre 1939, il est nommé gouverneur général des provinces polonaises occupées, poste pour lequel il dépend directement d’Hitler. Le gouvernement général fut chargé d’administrer la partie polonaise annexée par les nazis. Il fut divisé en deux branches ; l’une civile était dirigée par Hans Frank, représentant personnel d’Hitler en Pologne, l’autre relevant du commandement de la SS dépendait d’Himmler. Arthur Seyss-Inquart [9] était l’adjoint de Frank ; Otto, recommandé par Seyss-Inquart est nommé le 17 octobre administrateur en chef du district de Cracovie.
    *Juin 1941 : suite à l’avancée allemande, le district de Galicie et sa capitale Lemberg sont incorporés au territoire placé sous l’autorité de Frank.
    *Le 1er août 1942, Hans Frank vint à Lemberg célébrer le premier anniversaire de l’incorporation du district dans le gouvernement général. Il rendit visite aux Wächter. Il prononça dans le grand amphithéâtre de l’université un discours annonçant la mise en œuvre de la Solution finale dans le district de Galicie ; il félicita Otto publiquement pour son efficacité.
    *Arrêté en Bavière en mai 1945, Frank fut un des accusés au tribunal de Nuremberg. Déclaré coupable le 1er octobre 1946 d’avoir provoqué la mort de quatre millions de personnes, il fut pendu le 16 octobre ; ses restes furent incinérés et les cendres jetées dans une rivière.
  • Karl Hass
  • Né à Kiel en 1912.
    *Etudes à Berlin où il obtient un doctorat de science politique.
    *Hass rejoint la SS en 1934 ; est affecté au siège de la SD à Berlin (bureau de presse puis département de la science et de la recherche, enfin aux renseignements).
    *Hass est envoyé en Hollande en 1940 ; transféré à Rome en 1943 ; chargé de recruter des agents secrets pour lutter aux côtés des Allemands contre les partisans et les communistes.
    *A partir de l’été 1944 Hass est surveillé par les Américains et les Britanniques.
    *4 juin 1944 : Hass quitte Rome la veille de l’arrivée des Américains. Il continue son travail à Parme (= il forme des agents chargés d’infiltrer le territoire occupé par les Alliés en Italie du sud).
    *En avril 1945, il s’installe à Bolzano, se marie, vit sous un faux nom. Il est arrêté en novembre 1945, s’enfuit, est repris et ce à plusieurs reprises.
    *Hass se met au service du CIC ; il est chargé de coordonner un réseau d’agents – nom de code « Los Angeles » (opérationnel du 15 décembre 1947 à 1951). Le créateur et responsable du projet Los Angeles était Thomas Lucid (agent des renseignements américains, officier, commandant le 430ème détachement) : c’est lui qui avait recruté et qui devint le contrôleur de Karl Hass (Hass avait été emmené en Autriche le 11 novembre 1947 et confié alors à Thomas Lucid). Le fils de Thomas Lucid a épousé la fille de Karl Hass.
    Le CIC fournit à Hass un salaire, une nouvelle identité (Mario Giustini) ainsi qu’un passeport autrichien au nom de Rudolf Steiner. Hass eut aussi d’autres identités (Hans Popp, Carlo Ferrari, Carlo Mantelli). En mai 1948 Hass fournit une liste de treize personnes prêtes à travailler pour les Américains, dont certaines furent des contacts d’Otto. L’évêque Hudal fait partie de cette liste. Intermédiaire entre les Américains et le Vatican, Hass a aidé des douzaines de nazis à fuir vers l’Amérique du sud.
    *C’est chez Karl Hass qu’Otto est venu le 2 juillet 1949 et c’est ce jour-là qu’il s’était baigné dans le lac Albano. Hass a assisté à l’enterrement d’Otto en 1949 [10].
    *Un des fichiers du CIC daté de 1950 suggère que Hass était peut-être un agent double, travaillant à la fois pour les États-Unis et l’URSS. Hass est congédié en 1951, le projet Los Angeles stoppé.
    *Autorisé à rester en Italie à condition qu’il cesse toute activité d’espionnage, Hass fut employé au service allemand des cimetières militaires. Il partit ensuite en Suisse avec sa femme.
    *En 1994, Hass accepte de témoigner au procès d’Erich Priebke [11] puis se ravise et tente de fuir. Arrêté, il est accusé de crimes contre l’humanité pour sa participation aux assassinats des civils italiens (présence aux Fosses ardéatines et exécution de deux personnes). En mars 1998, il est condamné à perpétuité ; la cour de cassation de Rome juge Hass responsable non seulement de la mort des deux personnes qu’il a lui-même exécutées mais des 333 autres victimes , ainsi que de 5 victimes exécutées pour qu’elles ne témoignent pas des atrocités auxquelles elles avaient assisté ; mais la cour de cassation réduit la sentence à dix ans et huit mois. Hass fut autorisé en raison de son âge à purger sa peine en résidence surveillée dans une maison située près du lac Albano.
    *Il meurt en 2004.
  • L’évêque Hudal
  • Alois Hudal est né à Graz, en Autriche en 1885 ; fils de cordonnier, il est ordonné prêtre à 23 ans ; docteur en théologie de l’université de Graz.
    *A Rome, Hudal est aumônier de l’Anima, le séminaire théologique pour prêtres allemands et autrichiens, un des plus anciens collèges du Vatican. Il est aumônier militaire pendant la Première Guerre mondiale.
    *1923 : Hudal est nommé recteur de l’Anima
    *1933 : Hudal devient évêque titulaire d’Aela [12] . Cette ordination fut faite par le futur Pie XII et l’évêque Pawlikowski qui avait marié Otto et Charlotte.
    *Durant les années 1930, l’évêque Hudal écrivit de nombreux textes aux thèses pro-nazies. Cette sympathie pour le nazisme s’expliquerait par son antisémitisme chrétien.
    *En 1934, l’évêque reçoit un diplôme honorant sa contribution aux négociations ayant abouti au concordat entre le Vatican et les nazis : Hudal avait participé au travail préparatoire assuré par le cardinal Pacelli – secrétaire d’état, futur Pie XII- et von Papen.
    *Pendant la guerre, il fit de l’Anima un lieu de refuge pour les Allemands et les Autrichiens.
    *Après la guerre, Hudal fut un des personnages principaux d’une constellation aux ramifications multiples : il aidait des nazis matériellement ; il leur fournissait de l’argent, des passeports, des visas pour gagner l’Amérique du sud. Entre autres, il a aidé Otto Wächter. Il prétendait n’avoir été motivé que par des sentiments d’amour, de réconciliation, de miséricorde. L’entraide chrétienne était un devoir. Il protégeait des Allemands (nazis ou non) au nom de la Kollektivschuld, la responsabilité collective.
    *L’évêque Hudal a travaillé pour Karl Hass : considéré par le CIC comme le « leader des catholiques allemands en Italie », il était payé par les Américains pour son travail d’informateur à partir du 29 avril 1949.
    *Otto est décédé dans les bras de l’évêque qui a reçu ensuite Charlotte, l’a accompagnée au funérarium du cimetière de Campo Verano, a célébré le service funéraire lors des obsèques d’Otto.
    *Il Giornale d’Italia le 1er septembre 1949 écrivit un article sur un nazi viennois (à savoir Otto) en cavale apparemment protégé par le Vatican ; ceci fut relayé par d’autres journaux italiens. Ainsi L’Unità affirma le 3 septembre « Le Vatican protège des criminels fascistes ». Une sorte d’emballement médiatique eut lieu, l’ « affaire Wächter » nourrit les polémiques, les faits réels et les rumeurs, les démentis et les dénonciations. Suite à ces diverses révélations, Aloïs Hudal fut révoqué de son poste de recteur de l’Anima en 1952 ; il se retira à Grottaferrata près du lac Albano.
    *Alois Hudal meurt en mai 1963. Sa tombe est imposante et porte en allemand « que la paix soit avec toi. »
    *13 ans après sa mort, fut publié à Graz par une maison d’édition associée à l’extrême-droite, « Journaux romains. Confessions de la vie d’un vieil évêque », mémoire posthume de l’évêque. Ce texte a inspiré une pièce de théâtre controversée de Rolf Hochluth, Le Vicaire [13], qui critique le silence et l’indifférence de Pie XII à l’égard des juifs pendant la guerre.

Ce livre « La Filière » est donc une richesse considérable et les pistes de recherche, les possibilités d’approfondissement sont multiples : les élèves peuvent trouver beaucoup d’informations pour des travaux personnels mais il leur faudra ‘’piocher’’ les données disséminées au fil des pages, dans un livre qui fourmille d’hypothèses démontées les unes après les autres et qui s’apparente souvent à un roman policier.

Martine Giboureau, janvier 2021

(Philippe Sands, The Ratline : Love, Lies and Justice on the Trail of a Nazi Fugitive, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 2020).

Retour à Lemberg de Philippe Sands

[1Né en 1939 et ayant comme parrain Seyss-Inquart, chancelier d’Autriche en 1938, Reichskommissar pour les Pays-Bas de 1940 à 1945 Arthur Seyss-Inquart — Wikipédia (wikipedia.org)

[2Bochnia - Wikipedia ; l’une des premières exécutions de masse en Pologne occupée a eu lieu dans la ville : les Allemands ont tué 52 Polonais en représailles de l’exécution de deux policiers allemands.

[3Lemberg a connu bien des changements au fil de l’histoire : elle fut selon les autorités occupantes Lemberg, Lwow, Lvov, de nouveau Lemberg, aujourd’hui Lviv Lviv — Wikipédia (wikipedia.org)

[5Une hypothèse serait qu’il espérait rejoindre le Vatican car c’est là que se trouvait la ‘’route migratoire du Reich’’ dispositif plus connu sous le nom de Ratline (filière d’exfiltration), voie qu’utilisaient les nazis pour fuir l’Europe et se mettre à l’abri en Amérique du Sud.

[9Voir note 1

[10Le corps d’Otto a subi cinq enterrements : le premier en 1949 ; dix ans plus tard, il fut exhumé et enseveli dans le jardin de sa femme à Salzbourg puis transporté dans une autre propriété achetée par Charlotte près de Fiederbrunn. En 1974, il rejoint le cimetière de Fiederbrunn. Il est de nouveau transporté à la mort de Charlotte en 1985 pour être enterré avec elle.

[12évêché in partibus infidelium de Syrie. Il s’agit d’un titre honorifique, Alois Hudal conservant sa fonction de recteur à Rome Alois Hudal — Wikipédia (wikipedia.org)


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