Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Michèle Agniel, témoignage au lycée Edgar Quinet

samedi 18 janvier 2014

Convoyer les pilotes abattus par la Manche et les Pyrénées pour continuer le combat en Angleterre.

Michèle Agniel, lycée Edgar Quinet, journée de témoignages, année 1997-1998

"Les femmes dans la Résistance et la Déportation", avec Anise Postel-Vinay, résistante, déportée au camp de Ravensbrück, Michèle Agniel, résistante et déportée à Ravensbrück,Torgau, re-Ravensbrück, Königsberg-sur-Oder.

Mes parents étaient des patriotes d’origine étrangère. Ma mère avait fait des études en Angleterre et mon père, d’origine hollandaise, parlait anglais. Ils étaient de droite, anti-bolcheviques et ils avaient peur du nazisme.

Je suis née en 1926, j’ai 10 ans en 1936. J’ai été élevée dans le respect de l’autre, je n’ai jamais su ce qu’était l’intolérance. Élevée de façon religieuse, je confessais que je désirais la mort de Hitler. Mon père avait fait a guerre de 1914-18, comme agent de liaison et avait été démobilisé. On allait en vacances à Fort Mahon, près de Berck, où nous étions pendant la drôle de guerre. Mon père rentre à Paris.
En mai 1940, la ligne Maginot ne nous ayant pas protégés, mon père nous envoie à La Birochère, près de Pornic, où il nous rejoint le 11 juin. Le 17 juin, des amis entendent le discours de Pétain. Mon père qui avait fait Verdun, se sent trahi. « Jamais ». Nous rentrons à Paris.

Résistance en famille
À 14 ans, au lycée de Vincennes (Hélène Boucher), je mets des V et des croix de Lorraine, je m’assoie sur le trottoir pour gêner les Allemands. Le lycée était sévère, occupé en partie par des Allemands. Les élèves s’amusaient à faire tomber leurs cartables pour les déranger.
Une professeure d’Amiens, rencontrée à Fort Mahon, disait qu’il fallait faire quelque chose. Sa mère était intendante dans un lycée de jeunes filles à Versailles. Une énorme enveloppe pleine de tracts signés de Versailles, nous parvient avec la consigne : « Reproduisez- les et distribuez-les ». Tout le monde s’y met, en famille, même mon frère de 9 ans. Nous recopions des tracts que nous postions partout dans Paris. Le problème, c’était d’aller chercher les enveloppes dans un lycée de jeunes filles. J’avais 14 ans. J’allais à Versailles, les tracts étaient dans mon cartable.
Puis nous avons fait un petit journal, Résistance.

Les STO
En 1942, j’ai fait une primo-infection, je suis restée presque un an au lit. J’ai été envoyée à la campagne, près de Limoges, pendant 6 mois. Pendant ce temps, des prisonniers de guerre, desSTO, passaient à la maison. Les STO étaient un problème. Mon père travaillait à la Bourse qui était fermée. Il était donc sans travail. Nous n’avions plus d’argent. Un de ses amis l’a fait rentrer à la Mairie du 12 ème. Il s’arrangeait avec les services de l’État civil. Il faisait disparaître des dossiers des morts et gardait les cartes d’alimentation pour ravitailler les gars.

Convoyeuse
De retour à la maison après mon séjour à la campagne, mon père m’annonce une surprise. Il y avait un aviateur américain qui avait été amené par Jean Carbonnet à la maison. Par la suite j’allais chercher entre 7 et 10 pilotes, des Américains d’un mètre quatre vingt, qu’il fallait habiller en civil et auxquels il fallait trouver des chaussures : ils avaient des boots. Je suis devenue convoyeuse. Un garçon convoyeur, évadé du STO, faisait les cartes d’identité.
Les helpers étaient les hébergeurs. Il fallait parfois garder les aviateurs pendant 6 mois. De l’argent arrivait par le ciel. Dans un village où personne ne parlait anglais, il fallait donner des consignes aux pilotes : ils étaient sourds et muets. Mais il y avait toujours quelque chose pour se faire repérer. Les boots sur le quai, les aviateurs qui voulaient parler français. Un jour un Américain qui avait la gale devait prendre un bain deux fois par jour, et il chantait à tue tête dans sa baignoire...pour un sourd muet. Une fois je me propose d’aller chercher dans un village de Bretagne des Américains. Il y avait une quinzaine d’ Américains qui m’attendaient ! Le village [1], en fait, était plein d’Américains. J’ai pris le train avec sept Américains qui sont restés chez mes parents.

Les cartes d’identité
La Bretagne était grillée, il fallait faire passer les Américains par l’Espagne. J’ai continué à aller les chercher. Il leur fallait une carte d’identité. Plus la guerre avançait et plus il y avait de pilotes à faire passer. Jean Carbonnet n’arrivait plus à faire les cartes.
Je me suis mise à faire des cartes. On pouvait acheter des cartes vierges chez des libraires, on avait des tampons de mairies dévastées. Il fallait un certificat de travail qu’il fallait coller sur les cartes d’identité. Ma mère connaissait quelqu’un. Pour les photos, j’allais au Photomaton des Grands Magasins du Louvre, rue de Rivoli. La fille du photomaton était étonnée du nombre de beaux garçons sourds-muets. Je partais le mercredi soir en province et je revenais le jeudi avec mon cartable et des Américains ou des Anglais.

L’arrestation
Notre appartement à Saint Mandé donnait sur trois rues. Nous avions convenu de mettre un linge à la fenêtre s’il y avait un problème. Ce jour-là, le 28 avril 1943, j’ai raccompagné une camarade, je ne suis pas passée par le même chemin. Des miliciens et Feldgendarmen étaient dans la maison. Ils ont trouvé des cartes, deux aviateurs, Jean Carbonnet et l’abbé Courcel [2]. Un garçon qui devait aller au STO, avait dit à sa patronne qu’il avait une fausse carte. Celle-ci était la maîtresse d’un milicien. La Gestapo a trouvé le matériel pour faire les fausses cartes. Quand mon père est arrivé, il a vu le torchon. Mais ayant eu peur pour ses enfants, il s’est volontairement fait arrêter.
Jean Carbonnet m’a dit de faire passer des papiers à mon frère, 12 ans et demi, qui les a mis dans son pantalon en allant chercher son ours. Laissé sur le trottoir, avec un carnet dans le pantalon, il a téléphoné à des personnes pour les prévenir.

Interrogatoire
Nous sommes interrogés pendant 5 heures par des miliciens. Les deux aviateurs anglais sont sortis dans un état épouvantable. Avec mon père et ma mère, nous sommes conduits au siège de la Gestapo, rue des Saussaies, à attendre dans une cellule, puis à Fresnes où nous avons vu mon père pour la dernière fois. Je suis dans la même cellule que ma mère. Nous sommes arrêtés alors que nous attendions le débarquement que nous avons appris en communiquant par la tuyauterie. Nous sommes encore interrogées rue des Saussaies. Cardonnel a écrit des codes sur les murs de la cellule « pour amis de Dédé » sur ce qu’il fallait dire. J’ai fait l’idiote aux interrogatoires.

Déportation
Nous sommes déportés le 15 août 1944 : Jean Carbonnet, l’abbé Courcel, mon père, ma mère et moi. Avec ma mère nous voyons Weimar bombardée (les hommes s’arrêtent à Buchenwald). Nous arrivons à la gare de Fürstenberg, à Ravensbrück, le 21 août 1944. Je vois des femmes grises avec des chiens. Après 3 semaines en quarantaine, nous sommes transférées à Torgau où nous refusons de travailler aux munitions. On nous ramène à Ravensbrück. Puis c’est le départ pour Königsberg-sur-Oder.

Libération par étapes
Le premier février 1945, nous sommes libres mais les SS reviennent le 3 février pour nous chercher et nous amener à Ravensbrück. Nous avons échappé à la marche de la mort ma mère et moi, car nous étions à l’infirmerie. Les Allemands veulent nous évacuer mais l’une de nous crie "typhus". L’officier allemand met le feu à la baraque du Revier. Le camp est libéré par les Soviétiques.

Le retour
Je suis revenue le jour de mes 19 ans, avec ma mère, au Lutetia, le 11 juin 1945.
Nous avons cru, un moment, que mon père était revenu, mais c’était un Moet-Chandon.
Un des miliciens qui nous avaient arrêtés, a été condamné à mort.
Je suis devenue institutrice et je témoigne depuis un certain temps.

Bobbie Ann Mason, The Girl in the Blue Beret :, Random House, New York, 2011
http://www.newyorker.com/books/page-turner/the-real-girl-in-the-blue-beret

Une plaque a été apposée à Saint Mandé
" Après avoir accueilli ici de nombreux aviateurs alliés en 1943 et 1944, la famille Moët à été arrêtée par la milice et remise à la Gestapo le 28 avril 1944, puis déportée. Gérard Moët est mort à Buchenwald le 6 Mars 1945."

La ville de Saint Mandé en hommage à leur courage et à leur sacrifice. Le 28 avril 2013

ANDRIEU Claire, Tombés du ciel. Le sort des pilotes abattus en Europe. 1939-1945
2021,Tallandie, 512 p.

https://www.nonfiction.fr/article-10922-les-dupont-smith-et-schmidt-en-seconde-guerre-mondiale.htm

Nicole Mullier


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