Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Convoi 77, témoignage d’Hélène Ramet

Drancy, Birkenau, Weißkirchen
dimanche 9 septembre 2018

Ce récit d’Hélène Ramet nous a été transmis par Yvette Lévy, "J3", déportée par le convoi 77.

Convoi 77

  • Départ de Drancy le 31 juillet 1944, Convoi n° 77, le matin

Le convoi se compose de 1300 personnes, dont 350 enfants de 0 à 18 ans, ramassés quelques jours avant dans les orphelinats. Au départ nous recevons de la nourriture ; nous pouvons emmener nos affaires. Nous sommes 60 (hommes, femmes, enfants) avec nos bagages par wagon à bestiaux. Certains ont des bagages importants, étant restés plusieurs mois à Drancy. Souvenir de cette femme qui était à côté de moi dans le wagon et qui avait entre autre, un sac marin rempli de boites de lait. Elle a été gazée en arrivant !
Le voyage dure 4 jours, 3 nuits : pas de place pour s’allonger, la tinette située au milieu du wagon est très rapidement pleine et déborde ! Elle est vidée une fois par jour.

  • Arrivée le 3 août 1944 le soir, vers minuit à Birkenau

Le train s’arrête, on ouvre les portes aux cris de « Heraus, laissez vos affaires », répétés jusqu’à ce que le dernier voyageur soit descendu. Nous sommes hébétés, où sommes nous ?
Pour moi, très vite c’est le gouffre. Il fait noir, au loin des fils de fer barbelés des lumières, des projecteurs braqués sur nous, on ne discerne rien, des cris, des bousculades. « Je ne connais personne. Où suis-je ? » Tout à coup je me retrouve dans une colonne épaisse, des femmes uniquement, entourée par les S.S. allemands et des hommes costauds, en habits rayés, hurlant, nous faisant avancer vers le « comité d’accueil » : Mengele et ses aides SS. Tout va très vite : à gauche, à droite, et on avance « dans le gouffre » pendant un certain temps, peut être 1/4 h, peut être une 1/2 heure.

On se retrouve dans une baraque ; une espèce de grand couloir. Des cris lancés par des hommes costauds en rayé avec des gourdins et des femmes costauds en rayé.
« Déshabillez-vous, Schnell, schnell, laissez-tout. » Certaines peuvent garder leurs chaussures. Il est important d’avoir de bonnes chaussures, on va travailler ! on va marcher ! nous a-t-on prévenus à Drancy.
La baraque est bien éclairée, mais pour moi c’est le gouffre de plus en plus profond et plus noir : nues. Les hommes rayés nous rasent : la tête, le pubis, quelle humiliation ! la peur, la solitude, c’est un cauchemar, ce ne peut pas être la réalité, et ce n’est que le commencement.

Les hommes rayés nous poussent vers une pièce, au plafond des douches que nous recevons froides, sans savon, sans serviettes, puis poussées dans la pièce voisine toutes fenêtres ouvertes, les courants d’air nous sèchent ! il est vrai que nous sommes en août à 2 h du matin environ dans un pays à climat continental.

Puis, distribution de vêtements : vêtements civils en loques : une chemise une culotte une robe. Sans s’occuper de la taille ! résultat facile à imaginer. Quelques culottes ont été coupées dans des Taliths !
Nous sommes 283 femmes vivantes (à la Libération il reste 141 femmes) qu’on emmène dans la nuit, les barbelés, les projecteurs, les miradors. Aucune notion de l’espace : c’est le gouffre.

Arrivée dans une baraque, les lits à 3 étages, les paillasses, pas de couvertures, où suis je ? qu’ai je fait ? Une angoisse indescriptible m’envahit, je tremble de peur, de froid, de terreur, je ne dors pas. À 3h du matin réveil. Appel : c’est le premier : en rang par cinq.

Au cours de cette première journée, contact avec les déportées de notre convoi, et surtout avec celles arrivées depuis quelques temps et les explications : la sélection, les crématoires au bout de l’allée de notre camp (2 je crois), l’odeur émanant de la cheminée qui fume jour et nuit, les appels, les coups, la nourriture ou plutôt le manque de nourriture, les corvées travail etc. « et après tout vous n’êtes pas tatouées donc aucune chance de survie » ; voilà la phrase rassurante !
Nos premières journées se passent dehors, donc coup de soleil sur nos crânes rasés, et surtout le bord des oreilles. Enfin le 3e jour, nous sommes tatouées, peut-être allons nous survivre ?
Nous sommes restées 3 mois à Birkenau.

  • Birkenau

Le rythme de la journée : café- appel - corvées - appel - soupe + Zulag : une rondelle de saucisson, ou 5g de margarine ou une c.à s. de fromage blanc , etc. un pain pour 5.
En rang par 5 : très rapidement les filles se groupent, mère, fille, sœur, amies se connaissant avant, les J 3 les orphelines, les autres par affinités et le hasard. Nous c’est : Ruth, Élise, Sally, Hélène et la 5ème ? Le groupe de 5 c’est l’entraide, la solidarité, l’amitié, le partage dans le groupe et aussi la défense contre les autres : les Stubendienst, Blokowa, Kapo, l’adversité.
il faut partager la miche rectangulaire de pain en 5 et ne léser personne. La soupe apportée dans des bouteillons jusqu’au Block, est servie dans des cuvettes ou des casseroles très usagées. Chaque ustensile contient la ration de 2 ou 3 déportées ainsi chacune lape sa part à tour de rôle, la toilette se fait quand le Waschraum est ouvert : en général une heure en fin de journée. Bousculade autour des robinets (pas de douche) , une fille tient les vêtements pendant que les autres se lavent, sans savon ni serviette.
Le lit à 3 niveaux est prévu pour 4 personnes, mais dans l’autre sens nous sommes douze 12 têtes-bêches, bien serrées. Pour se tourner , il faut que les 6 corps se tournent en même temps. Cette situation accélère le facteur de contagion : comment résister à la scarlatine, au typhus , etc de votre voisine qui a 40° de fièvre et qui ne rentrera à l’infirmerie qu’avec 41° .
Les « W.C » se trouvent dans un bloc. Il y en a 2 dans le camp pour environ 30.000 femmes ; ils ne sont ouverts que le jour. La nuit on a accès à la tinette placée au bout de notre Block. À l’intérieur du Block WC, de longues rangées de caisses en bois, trouées, servent de sièges. Tout se fait en commun. Pas de papier, on déchire un carré de 4cm de sa chemise pour le remplacer.

Périodiquement nous passons à l’épouillage. Nous sommes sensées avoir des poux de corps qui véhiculent le typhus. Cet épouillage consiste à prendre une douche, et à être rasée à nouveau : pubis et aisselles, et à être badigeonnée avec un désinfectant. Les vêtements passent dans une étuve qui en principe détruit les poux, mais en général, nous les retrouvons avec un nombre bien supérieur de bêtes !
Le moral sera relativement bon pour plusieurs raisons. Nous sommes arrivées à Birkenau après le débarquement des alliés en Normandie (6 juin), on entend les canons, les Russes sont à 40 km, les nouvelles nous parviennent par les Kommandos extérieurs, les fausses nouvelles aussi !
Les J 3 , qui avaient déjà vécu le choc de la séparation et les orphelinats, acceptaient la situation plus facilement, donc un moral moins atteint, entraînant les autres dans le sillage.
Le physique pas trop délabré au début, puisque notre travail consiste en corvées, station debout, et appels ; mais petit à petit la faim nous torture, impossible de garder un bout de pain pour le lendemain, la faim creuse, et aussi le risque qu’il soit volé pendant la nuit ; quand nous recevons exceptionnellement des pommes de terre en robe des champs se pose le dilemme qu’est ce qu’on mange d’abord, les épluchures, ou les pommes de terre ou les deux ensembles ?
Suppression des menstruations, par un procédé chimique Sans doute, mais quel soulagement ; comment aurions nous fait ? mais quel risque pour notre avenir.
Une déportée de notre groupe Madame Jeanne nous a pris en charge, comme une mère, pour aplanir, pour apaiser. C’était une femme extraordinaire. Elle ne reviendra pas.
Le sentiment de révolte contre les Kapos fût calmé après l’expérience de Suzanne H. qui gifla une Arbeitskapo n’acceptant pas d’être battue par une déportée juive, et elle le paya très cher : elle fût piétinée par le SS, à coups de botte , il roula sur elle avec son vélo. B11e est revenue , mais traumatisée pour toujours.

  • Sélection

Nous subissons 2 sélections devant Mengele pendant notre séjour à Birkenau. Tenaillées par la peur, car maintenant nous savons : une rougeur, un bouton, la pâleur, la maigreur et c’est fini.
Dernière sélection le 27.10.44 devant Mengele , rassemblement des « triées » et sortie du camp vers un grand bâtiment. Après une douche , toujours sans savon et sans serviette, distribution de vêtements , chemise, culotte, robe, manteau. En sortant, dans le couloir, nous passons devant une porte qui porte l’indication : Zyklon et une tête de mort. Nous l’avons échappé cette fois.
Toute la journée Appel, debout dans le froid, le brouillard, sans nourriture , ni boisson. Le soir, embarquement dans les wagons à bestiaux, avec un pain et un morceau de saucisson. Le voyage durera 3 jours.

  • Kratzau Kommando du camp de Gross-Rosen [1], est situé dans les Sudètes au nord de la Tchécoslovaquie, à 15 km de Reichenberg, c’est une grosse bourgade.
    Le camp est situé dans une grande battisse, ancienne usine désaffectée, 3 étages, le rez de chaussée, 1er, et 2ème, pour les déportées, le 3ème étage réservé aux SS qui nous gardent. À droite du bâtiment principal, une petite maison basse : le Washraum, et en face un grand bâtiment en 2 parties, l’une est destinée à la cuisine, l’autre aux réserves. L’ensemble est entouré de barbelés. Nous sommes environ 1000 femmes juives, 4 nationalités : polonaises, hongroises, hollandaises et françaises.

La vie est ponctuée par les appels matin et soir environ une heure, par la distribution de coups, par les fouilles, les repas et le travail. Les coups étaient reçus par les premières de la rangée de 5 déportées, aussi par solidarité avions nous instauré « un tour de rôle » pour que ce ne soit pas toujours la même du groupe de 5 qui reçoive les coups.

  • Le travail dans une usine d’armement situé à 4 km environ du camp à peu prés l heure de marche, à faire après l’appel, par tous les temps, avec des chaussures de plus en plus mauvaises, car elles n’ont jamais été remplacées. Le temps passé au travail est de 12 heures par jour, et 6 jours par semaine.
    Dès le premier jour, on a demandé des volontaires pour travailler à l’usine, devant le peu d’empressement, car nous ne voulions pas travailler pour le Reich, on nous a mis d’office aux corvées : Hofkolonne à déplacer les lourdes caisses d’armement et à pelleter le charbon sous la pluie de novembre, etc. pendant 12 h. Sans arrêt ; après ces essais nous avons accepté « le volontariat » dans l’usine.
    12 heures, assis sans rien faire, dans un train, un car, un avion, rassasie, c’est très pénible ; je ne connais pas de mot pour décrire notre état, car il ne faut pas oublier notre faim et nos poux qui nous dévorent et la présence des Aufseherin et des contre-maîtres allemands, tchèques qui nous surveillent sans relâche. Le travail c’était des fraiseuses, des tours, tours automatiques avec les mains dans l’eau 12 h. durant, etc. de la manutention, de lourdes caisses à traîner, etc.
    De plus, 2 Schicht (équipes) : l une semaine de jour, une semaine de nuit, d’où difficulté pour s’adapter au rythme, surtout à dormir le jour, où l’on peut être fréquemment appelée pour une corvée. Ainsi j’ai pu « aider » à l’enterrement de deux camarades décédées, que nous avons portées sur des brancards en dehors du camp, jusqu’au cimetière du village. Contre le mur extérieur, nous avons creusé les tombes et enseveli les deux victimes inconnues pour nous.
    Au retour de l’usine, appel, repas, pas de Waschraum, donc pas de toilette et au lit. Le lit à 3 étages mesure 60 cm de large. A chaque étage ! on couche à 2 sur ces 60 cm de large et parfois à 4 déportées.
    Le bien le plus précieux se trouve sous l’oreiller. Quel est le bien le plus précieux pour une déportée ? le pain : il est englouti sitôt dans la main, la soupe, les pommes de terre, idem, et bien ce sont les chaussures.
    Comment peut-on marcher sans chaussure et survivre. Aussi, pour éviter le vol ou l’échange et préserver ce bien inestimable, il faut les mettre sous l’oreiller, le endroit sûr, ce que nous avons fait pendant des mois.
    Comme il n’y a pas assez de couvertures, avant de sa coucher il faut partir à la chasse pour en trouver une qui couvrira deux corps. Quelquefois il manque aussi les planches du lit, qu’il faut essayer de récupérer dans les autres étages. A chaque étage se trouvait une nationalité différente, ce qui a permis une grande solidarité entre nous les françaises qui étions réunies sur le même niveau.
    C’est l’hiver, il fait très froid dans les Sudètes.
  • typhus et poux
    Très rapidement le typhus se déclare, soigné à « l’aspirine » quand il y en a, les plaies nombreuses soignées avec des pansements en papier, tous les bobos courants : mal de gorge, toux, rhumes et pour tous la dysenterie.
    A ce régime nous nous affaiblissons, Sans oublier l’invasion des poux de corps, animal dont nous ne connaissions pas l’existence, et que nous découvrons avec stupeur et honte sur les parties chaudes de notre corps : le cœur, les aisselles, etc.
    Nos « anges gardiens » ont décidé de nous débarrasser de ces bêtes par une désinfection qui se passera à Reichenberg à 15 km de Kratzau. Le voyage se fait par train en wagon à bestiaux, sans nourriture, sans tinette, pendant 12 heures. Lavées, examinées à la loupe, nous reprenons nos vêtements (tant bien que mal) qui sont passés par l’étuve, mais consternation, sous l’effet de l’étuve, la chaleur, les poux se sont multipliés par 100, et plus.
    Petit à petit nos cheveux commencent à repousser. Au cours d’un contrôle, on découvre des poux de tête sur quelques filles, et rasages des têtes, à la grande joie des SS.
    Au fil du temps, nos vêtements deviennent des loques, les chaussures sont attachées avec des chiffons, nous sommes sales, pas coiffées en particulier pour celles qui ont le cheveu raide. C’est dans cet état, voulu par les SS, que nous traversons matin et soir la ville. Nous ne suscitons aucune pitié de la part des habitants, car nous sommes la lie de la civilisation des Untermenschen.
    Au cours de l’hiver, le Waschraum est resté fermé un mois. Un mois sans se laver. Le dimanche, on réussit à se laver dans une cuvette, à tour de rôle, en prenant l’eau à un robinet sur le palier de l’étage, environ 200 femmes ! Mais malheureusement, impossible de laver nos vêtements.
    C’est l’entraide et la solidarité qui nous ont permis de tenir. L’enfer de Kratzau a duré 7 mois.
  • 9 mai 1945
    Nous sommes libérées le 9 mai 1945, un jour après la signature de l’armistice.
    Pendant les quinze derniers jours beaucoup de nouvelles alarmantes avaient circulé, on allait nous supprimer pour ne pas laisser de trace, nous échanger, etc. La peur et l’espoir nous étreignent jusqu’à la dernière minute et jusqu’à l’arrivée en France.
    Enfin, le 9 mai 1945 au matin, les soldats russes ouvrent les grilles du camp. Et voilà environ 1000 femmes livrées à elle même, plus de SS, pas de Russes, des femmes affamées, ivres de joie, et de liberté. Il ne nous reste plus qu’à parcourir la campagne pour exiger de la nourriture dans les maisons tchèques.

Un rapport de 8 pages a été rédigé, en 1945, par deux déportées, Anna Sussmann et Margot Segal, évadées fin novembre 1944 du camp de travail forcé pour femmes juives de Weißkirchen.
La légation américaine voit un tournant dans la politique nazie et pense que les nazis utilisent la main d’oeuvre juive au lieu de les exterminer. Des camps similaires de travail existent en Allemagne à Liebau, Langenbielau, Torschau et en particulier dans la région des Sudètes.

Témoignage de deux femmes évadées du camp de Weißkirchen
cf. en allemand :
http://infoladen-zittau.de/gedenkkultur/wp-content/uploads/2011/08/Bericht-November-1944-%C3%BCber-das-Arbeitslager.pdf
un témoignage :
http://infoladen-zittau.de/gedenkkultur/wp-content/uploads/2011/08/Erinnerung-juedischer-Frauen-an-Chrastava-und-Bily-Kostel.pdf

Camp de Weißkirchen

Weißkirchen-Kratzau (1939-1945), Tchécoslovaquie

Weißkirchen (Sudètes), Bílý Kostel nad Nisou (deutsch Weißkirchen an der Neiße), Chrastava.

Weißkirchen-Kratzau
D’après l’institution EVZ ( "Erinnerung, Verantwortung und Zukunft") l’endroit a été utilisé comme camp de travailleurs forcés August 1944 - 09. Mai 1945, Zwangsarbeitslager für Juden, Arbeit der Häftlinge in der Munitionsfabrik DIVAK.

Oktober 1941 eine deutsche Junkers-Maschine

1942, un camp pour prisonniers soviétiques

Waffenfabrik Spreewerke im benachbarten Kratzau

Wolfgang Benz/Barbara Distel (Hrsg.), Der Ort des Schreckens, Geschichte der nationalsozialistischen Konzentrationslager, Band 6, München 2007

Weinmann Martin (Hg.) : Das nationalsozialistische Lagersystem (Catalogue of Camps and prisons in Germany and German-Occupied Territories 1939–1945 (CCP)), Frankfurt am Main 1990.

[1Außenlager des KZ Groß Rosen