Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Hommage à Henry Bulawko (1918-2011)

par Raphaël Esrail, Président de l’UDA
jeudi 1er décembre 2011

Henry Bulawko, un humaniste, un être généreux au service des autres, recherchant leur bien, fût-ce au détriment de sa propre personne. Tout au long de son existence, il a ainsi affirmé un courage intellectuel et moral sans faille.
Article extrait du bulletin de l’UDA, Après Auschwitz, n°321, décembre 2011
Hommage à Henry Bulawko mardi 27 novembre 2012, 19 h au MS

Hommage à Henry Bulawko (1918-2011)

Discours prononcé par Raphaël Esrail lors de la cérémonie d’hommage rendu à Henry Bulawko à la fondation Rothschild, le vendredi 2 décembre 2011 :

Il y a une vingtaine d’années, au cours d’un déjeuner avec Henry, alors que notre conversation avait fini par s’orienter, comme à notre habitude, vers la déportation et la mémoire, il me rapporta comment, au Camp de Jaworzno, un sous-camp d’Auschwitz-Birkenau, on lui proposa, par deux fois, de devenir Vorarbeiter (contre-maître) parce qu’il parlait correctement l’allemand et qu’il était respecté par ses camarades.
Henry occupa la fonction mais refusa tout net de frapper les autres prisonniers. C’est lui qui, finalement, reçut les coups de bâton. Autant dire qu’il n’occupa pas longtemps cette fonction. Cette histoire situe bien l’homme qu’était Henry : un humaniste, un être généreux au service des autres, recherchant leur bien, fût-ce au détriment de sa propre personne. Tout au long de son existence, il a ainsi affirmé un courage intellectuel et moral sans faille.

Au moment de sa déportation, en 1943, Henry avait près de 25 ans. Jeune adulte, il était actif dans la résistance, combattant de la liberté. Il a toujours été notre aîné, non seulement par l’âge mais par la maturité de ses engagements. Henry était notre Président d’honneur depuis qu’une pénible et terrible maladie l’avait écarté de la vie publique. Aujourd’hui, nous, anciens déportés, hommes et femmes, rendons hommage à cet aîné, qui, bien souvent, nous a ouvert la voie, nous a beaucoup appris et que nous aimions. Il a été un initiateur et un constructeur de nos institutions de mémoire. En effet, son engagement après le retour de la déportation a été rapide et très fort. Parmi tant d’actions, permettez-moi d’en citer quelques-unes : il a été le fondateur de l’Amicale des Déportés Juifs de France qu’il a animée pendant plusieurs décennies et au sein de laquelle, les survivants échangeaient en yiddish, langue également de leurs publications. Il a été l’initiateur du monument de Drancy, des manifestations de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande avec notre ami Salman Brajer ainsi que de la manifestation de la Rafle du Vél’ d’Hiv’. Il y a 20 ans, à partir de 1991, il est devenu le président de notre Amicale d’Auschwitz devenue, depuis, Union des Déportés d’Auschwitz. Il était aussi Vice-Président des Résistants Juifs d’Europe.

Ce n’est pas seulement la déportation qui a révélé l’homme qu’il était, car déjà avant la guerre, il était actif, militant. En revanche, la déportation a considérablement affermi sa détermination d’homme engagé. Henry était un leader naturel de la communauté juive. Homme simple, comme le sont les grands hommes, animé d’un vrai charisme, c’était un laïque viscéralement attaché aux valeurs de la République, et en même temps, une incarnation de la culture juive. En lui s’opérait une merveilleuse synthèse, entre une culture ayant ses racines à l’autre bout de l’Europe et la culture française. Cette tension culturelle a fait l’homme.
D’un côté, c’était un homme engagé dans les combats humanistes. Tout d’abord, avant guerre, au sein de la communauté juive, il participe au mouvement sioniste (« Hashomer Hatzaïr », « la jeune garde ») alors que se posait le problème d’un territoire pour les Juifs et notamment pour ces Juifs d’Europe centrale qui souffraient tant ; actif également dans l’aide apportée aux migrants juifs qui espéraient trouver en France un refuge, puis dans la Résistance juive, il fut une figure du « Comité Amelot ». Après la guerre – après la déportation et la Shoah – on le retrouve fondateur d’une institution aussi importante que le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) avec notre camarade Charles Palant.

Parallèlement à ce combat humaniste, Henry travailla à la défense de la culture juive d’Europe centrale. Survivant des camps, il était aussi le survivant d’une culture. Henry fut Président de la Mémoire juive de Paris. Il est également l’un des fondateurs du Cercle Bernard Lazare (1954) dont il fut le Président, institution qui porte le nom d’un des défenseurs les plus ardents du capitaine Dreyfus. Il deviendra vice-Président du CRIF. Par ailleurs, il participait à plusieurs sociétés de bienfaisance juive.

Ecrivain, Henry est l’auteur de plusieurs ouvrages dont un recueil d’histoires juives, d’histoires drôles, souvent acides (Anthologie de l’humour juif et israélien, 1988), ces histoires qui illustrent ce que nous nommons « l’humour juif » ; des histoires qu’il racontait à merveille, réjouissant à pleurer celles et ceux qui avaient le bonheur d’entendre le conteur subtil et malicieux qu’il était. Lorsqu’il voyait son ami Daniel Mayer, ministre et Président de la Ligue des Droits de l’Homme, tous deux se mettaient à l’écart ; mais ce n’était pas pour parler de politique. « Henry, quelle est donc la dernière histoire juive ? » lui demandait Daniel Mayer.

Henry, enfin, était un homme reconnu au plus haut niveau de l’Etat. Il était Grand Officier de la Légion d’Honneur. On le sait, son cœur était à gauche, mais ses sympathies passaient outre les clivages politiques. A ce propos, une anecdote significative : un jour, alors que nous marchions tous les deux dans les rues de Paris, une voiture ralentit à notre niveau, et le Président de République en exercice, Jacques Chirac en descend pour venir serrer la main d’Henry.

Au cœur de la vie d’Henry, comme de bien d’entre nous ici, il y a eu la déportation. Henry a écrit son témoignage intitulé Les jeux de la mort et de l’espoir, publié une première fois en 1954 et republié sous une forme augmentée en 1980 avec une préface de Vladimir Jankélévitch.
Dès les débuts de la guerre, Henry entre dans la Résistance. Il fait des faux papiers, participe au réseau de la rue Amelot, travaille avec l’OSE. Lors de l’été 1941, prévenu par un policier, il échappe à une rafle. Mais il est arrêté en novembre 1942, au métro « Père-Lachaise », alors qu’il est en possession de fausses cartes d’identité dont il arrive à se débarrasser. On n’avait rien à lui reprocher si ce n’est d’être juif…

Il est arrêté et interné 4 mois à Drancy avant d’être transféré à Beaune-la-Rolande puis renvoyé à Drancy d’où il est déporté par le convoi 57 du 18 juillet 1943. Après une dizaine de jours à Birkenau, il est transféré au sous-camp de Jaworzno (Neu Dachs). Ce camp, l’un des plus durs du complexe concentrationnaire, était tourné vers l’exploitation des mines de charbon et la construction d’une usine électrique. Il y reste jusqu’en janvier 1945. L’évacuation le conduit au camp de Blechhammer. Là, épuisé, il décide de ne pas suivre la colonne. Avec des camarades, il s’échappe. Peu de temps après, fin janvier 45, il est libéré par les troupes soviétiques.

De retour à Paris, il retrouve une partie de sa famille. Sa sœur, son beau-frère et leur enfant ont été déportés et assassinés.
Commence dès lors, pour Henry, un véritable sacerdoce. A lire son témoignage, on comprend qu’il fut toute sa vie, fondamentalement, un survivant et un témoin de la Shoah. Se souvenir, était à ses yeux un acte éminemment politique de lutte contre l’intolérance, la bêtise, le racisme, la xénophobie et la violence. Se souvenir, signifiait également rester fidèle à celles et à ceux qui avaient été exterminés pour ne jamais les laisser sombrer dans l’oubli. Dans la préface à son témoignage, il a écrit : «  Et puis, je le souligne une fois de plus, la voix du rescapé doit suppléer celle des millions de victimes réduites au silence éternel  ».

Depuis des décennies, c’est également le sens de notre travail à toutes et à tous. Henry était un homme blessé, un homme en colère, toujours sur le qui-vive pour réagir contre l’injustice, toujours extrêmement vigilant vis-à-vis de toute manifestation émanant de l’idéologie nazie. Une grande partie de son œuvre intellectuelle est marquée de ce sceau.

J’ai rencontré Henry au sein de l’Amicale d’Auschwitz. En tant que Secrétaire général, je cherchais un Président qui puisse réunir toutes les tendances philosophiques, politiques et religieuses, et pourrait faciliter un futur regroupement. A l’évidence, Henry Bulawko était l’homme de la situation. Durant 16 ans, nous avons été des amis, travaillant de concert à édifier l’œuvre de mémoire qui nous tenait tant à cœur. J’avais pour maître, le patriarche de la mémoire de la déportation juive de France. Ensemble, nous avons fait l’Union des Amicales parce qu’elle était nécessaire. Au cours de notre travail commun à l’Amicale d’Auschwitz puis ensuite à l’Union des déportés, j’ai pu apprécier ses multiples capacités qui nous faisaient vivre une complémentarité harmonieuse. Sa maîtrise de la plume que j’enviais me laissait toujours plein d’admiration. Combien de fois ne l’ai-je vu rédiger un édito en quelques minutes, sur un coin de table, alors que d’autres peinent tant… Je me souviens d’Henry durant nos journées avec le Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah ; il écoutait les débats, les yeux mi clos… et en fin de journée, il nous faisait de magistrales synthèses ! Dans le domaine de la mémoire, il a aussi été un mentor pour des femmes et des hommes plus jeunes qui ont repris le flambeau que ce soit dans le domaine de la recherche historique ou celui de l’audio-visuel.

Nous remercions la Fondation Rothschild et ses personnels pour l’accompagnement prodigué à Henry ces dernières années. Merci à vous également Maryvonne Gautier, pour votre présence à ses côtés. Merci à Lydia et à Marthe. Je me tourne vers vous, Evelyne Bulawko-Herman, Roger Herman, Serge Karazec. Vous qui avez accompagné cet aîné discret, à la personnalité si marquante. De vous, Henry a reçu une profonde affection, vous l’avez choyé comme de véritables enfants. Soyez-en remerciés au nom de nous tous.

Avec toi Henry disparaît aujourd’hui un éminent représentant de l’histoire juive de la France. Disparaît aussi un de ces enfants arrivés en France dans les années 1920, qui venaient de cette aire culturelle aujourd’hui anéantie, le « yiddish land  », ces émigrés juifs souvent très humbles qui ne connaissaient pas la langue française, qui fuyaient la misère, l’antisémitisme quand ce n’était pas les pogroms.
Marqué dans ta chair par la haine antisémite, tu t’es battu au nom de valeurs universelles pour que survivent la mémoire de la Shoah et ta culture d’origine, t’engageant ainsi pour ces hommes, ces femmes et ces enfants, bafoués, humiliés, massacrés par le nazisme.
Merci à toi Henry, notre Maître
Raphaël Esrail
Président de l’UDA

Article extrait du bulletin de l’UDA, Après Auschwitz, n°321, décembre 2011

"Henry Bulawko lui-même a pu réagir contre la thèse d’une parole refoulée des déportés juifs jusqu’aux années 80. Il s’insurge lors d’un colloque tenu à Paris en
décembre 1984 : « Ce n’est pas le cas de tous. Beaucoup ont tenu à parler, ils l’ont fait jusqu’à s’enrouer ! » et de rappeler cette vérité le concernant : « La charge
que l’on ma confiée est apparemment aisée : témoigner ! Voilà quarante ans que je le fais par la parole et par la plume » (Bulawko, 1986)"
http://clioweb.free.fr/dossiers/39-45/ledoux-VeldHiv-bulawko.pdf

Mis en ligne, le 25 janvier 2012


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