Inauguration d’une plaque aux déportés de Souppes-sur-Loing (sud de la Seine-et-Marne) Dimanche 14 mai 2023
Ce dimanche 14 mai une plaque à la mémoire des neuf Sulpiciens déportés a été inaugurée devant le monument aux morts, sur la place de la gare. Plus d’une centaine de participants étaient présents dont Jean-Jacques Hyest, ancien élu 77 et ancien membre du Conseil constitutionnel, deux conseillers départementaux et plusieurs maires du Sud seine-et-marnais. Cette cérémonie est le résultat d’un long travail de mémoire initié en 2021 par la municipalité de la ville dont son premier magistrat.
L’AFMD-77, sollicitée pour la recherche de la liste des déportés et leur itinéraire était représentée par quatre personnes dont Maryvonne Braunschweig, vice-présidente départementale, ainsi que le porte-drapeau.
Le maître d’œuvre de la cérémonie, Martin Tricard, élu sulpicien, et par ailleurs, professeur d’histoire au lycée Bezout de Nemours, avait mobilisé neuf de ses élèves de Terminale pour lire les notices biographiques des neuf déportés honorés ce jour. L’AFMD a déposé une gerbe et Maryvonne a prononcé une des allocutions, qui a été vivement applaudie ; cette intervention retraçait brièvement l’histoire du système concentrationnaire et de la Shoah en situant dans ce contexte l’histoire des neuf déportés sulpiciens. Elle faisait aussi le point sur la signification de la journée de la déportation de fin avril et celle du 16 juillet afin d’éviter des confusions préjudiciables à un réel travail de mémoire.
stèle des déportés de Souppes-sur-Loing
Inauguration de la stèle des déportés de Souppes-sur-Loing, intervention de Maryvonne Braunschweig
C’est au nom des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation que je m’exprime ici. J’ai été sollicitée en février dernier par M. Martin Tricard, élu de Souppes-sur-Loing, qui m’a demandé de lui fournir un maximum d’informations sur les déportés de sa commune, ce que j’ai fait bien volontiers avec l’aide de Karen Taieb du Centre de Documentation du Mémorial de la Shoah et d’Arnaud Boulligny, historien-chercheur de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, en fonction au sein même des Archives des Conflits contemporains déposées à Caen. J’ai bien entendu transmis ces informations dès réception.
Et je voudrais maintenant dire quelques mots sur le système concentrationnaire nazi.
C’est en 1933, avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, que sont apparus les premiers camps de concentration en Allemagne, organisés en système dès 1934. Destinés d’abord aux Allemands, adversaires politiques et détenus de droit commun, ces camps virent, avec la guerre, leur nombre augmenter rapidement.
À partir de 1942, les camps prirent une extension considérable avec la détention d’opposants, ou supposés l’être, originaires de toute l’Europe occupée et la déportation en masse de tous les juifs, considérés par les nazis comme « des ennemis éternels du peuple allemand qui devaient tous être exterminés ». Les premiers juifs à être déportés de France que l’on qualifie de déportés de persécution le sont à partir de mars 1942. Les opposants ou détenus de répression sont déportés de France à partir de juillet 1942. Ils ont été arrêtés pour des motifs variés, politiques, résistants ou pris au hasard de rafles. Leur nombre augmente considérablement en 1944 avec les besoins en main d’œuvre des Allemands, quatre des déportés sulpiciens l’ont été en 1944. C’est pourquoi les camps, malgré leur nombre, leur étendue et l’importance de la mortalité, étaient en permanence surpeuplés. L’univers concentrationnaire était une vaste entreprise à la fois bureaucratique et militaire, étroitement centralisée et hiérarchisée, au sein de laquelle jouaient les ressorts des intrigues et de l’arbitraire.
En ce qui concerne les déportations des Sulpiciens, l’itinéraire de Camille Cailloux, 57 ans, Sulpicien de naissance et de résidence, est mal connu, il est mort en avril 1945 à 54 ans.
Roger Philippe, né à Souppes, notaire à Paris, arrêté fin 1942 et déporté en avril 1943 à Mauthausen, camp le plus dur du système concentrationnaire (hors camps d’extermination), est mort dans le camp annexe, ou Kommando, d’Ebensee, en mars 1945, à 42 ans.
En 1944, trois jeunes natifs de Souppes arrivent dans les camps nazis.
Georges Andriolo est certes parti comme travailleur volontaire en 1941 mais, suite à son refus d’entrer dans une unité SS sur le front de l’est, il est détenu en octobre 1944 dans le camp du Stutthof en Prusse orientale, il avait alors 20 ans et demi. Il eut la chance de rentrer.
Jean Ducaruge vivait tout près d’ici à Fontainebleau où il travaillait comme dessinateur-voyer auprès de M. Serviat, l’architecte de la ville, membre d’un réseau de résistance, déporté à Buchenwald en janvier 1944, puis transféré de camp en camp : Dora, puis Bergen-Belsen où il meurt en mars 1944. Il avait 22 ans, il était marié et était enfant unique. Ses parents tenaient un commerce de matériel de pêche, rue Grande à Fontainebleau. Une plaque d’hommage a été apposée sous l’ancien porche d’entrée de la mairie de Fontainebleau mais aujourd’hui on accède par une autre entrée et personne ne la voit.
Roland Renault, chimiste, réfractaire au STO, résistant, a été déporté en avril 1944, à 21 ans, à Mauthausen, transféré dans deux camps annexes, Melk puis Ebensee. Il eut la chance de rentrer.
Enfin Victor Havard, directeur de la sucrerie de Souppes, marié et père de famille, arrêté pour fait de résistance est déporté, à 50 ans, à Neuengamme, en mai 1944 et décède dans un Kommando en octobre suivant.
Dans le système de pensée nazi, tous ceux qui s’opposent au triomphe de l’Allemagne sont l’expression active du mal. Les juifs, eux, le sont par essence. Même si individuellement, ils n’agissent pas contre le national-socialisme, ils sont, de par leur naissance, des nuisibles et doivent donc tous disparaître. Et à Souppes trois des personnes dont les noms sont inscrits sur la stèle, ont été arrêtées et envoyées à la mort simplement parce qu’elles étaient nées juives, une jeune fille de 16 ans et un couple de 57 et 58 ans.
Les juifs, eux, étaient voués à l’extermination qui a d’abord commencé dans l’est de l’Europe par des exécutions massives, la famine et les maladies dans les ghettos où les nazis les avaient enfermés, et, pour toute l’Europe, par la déportation vers des centres de mise à mort où ont été conçues à cet effet par des ingénieurs, des techniciens, des chambres à gaz, usines construites pour tuer des êtres humains.
Quant aux autres détenus, ils étaient employés jusqu’à épuisement à des travaux de terrassement, de construction et, de plus en plus, à partir de 1943, dans les usines d’armement pour pallier le manque de main d’œuvre allemande partie au front. Ces besoins incessants de travailleurs pour participer, contraints, à l’effort de guerre allemand, explique la sélection d’une partie des juifs (approximativement entre 16 et 45 ans, et encore pas tous) à l’arrivée à Auschwitz, à la fois centre de mise à mort et camp de concentration ; les « trop vieux » et les « trop jeunes » étant envoyés immédiatement à la mort, ceux jugés aptes au travail ayant leur mort légèrement différée, après épuisement par le travail, la faim, la maladie et les mauvais traitements. Le couple de Sulpiciens, Israël et Tauba Porozowski, 57-58 ans, arrêtés suite au non port de l’étoile jaune par Tauba (en fait un prétexte), a été directement envoyé à la mort ; pour la jeune Ginette Loewinski, on ne sait pas. Elle a été arrêtée avec sa mère en tentant de franchir la ligne de démarcation pour rejoindre leur père et mari déjà à Lyon. Lui seul a survécu dans cette famille.
Dans tous les camps, la mortalité était énorme et les cadavres brûlés dans des crématoires qui fonctionnaient nuit et jour.
On estime entre 4 et 6 millions le nombre de personnes passées dans les camps nazis. Pour la France, environ 90 000 personnes furent déportées victimes de répression dont 50% revinrent et 76 000 juifs, victimes de persécution, dont 3 à 4% sont revenus.
À la libération des camps (la plupart durant le mois d’avril 1945), les survivants, juifs et non juifs, hommes et femmes de toutes nationalités, confessions et convictions, ont souvent fait le serment de ne pas oublier et de rester unis.
En 1954 une loi, votée à l’unanimité, décide d’une journée nationale dédiée à tous les déportés que ce soit pour motifs raciaux, politiques, pour des actes de résistance ou pour tout autre raison. C’est le dernier dimanche d’avril qui devient « Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation », la plupart des camps ayant été libérés au cours de ce mois en 1945
Cette journée ne doit pas être confondue avec la journée du 16 juillet ou le dimanche qui suit le 16, décidée par une autre loi, votée en 1993, puis modifiée en 2000, qui rend un hommage spécifique aux victimes des crimes racistes et antisémites, ainsi qu’aux Justes de France qui ont tenté de protéger les juifs persécutés, et qui reconnaît officiellement la responsabilité du régime de Vichy.
Il est nécessaire de connaître et de respecter la spécificité de ces journées sous peine de confusion qui n’aide pas à la construction d’une mémoire nationale.
À Souppes, la municipalité a décidé d’inaugurer, 15 jours après la journée de la déportation (pour des raisons pratiques), une stèle aux neuf Sulpiciens nés dans la commune ou y habitant, neuf noms de victimes de la déportation, du nazisme et de son complice, le gouvernement de Vichy, Sulpiciens qui dans l’esprit de la loi de 1954 et la volonté des déportés, de leurs familles, et des associations de mémoire de la déportation, doivent rester unis sans pour autant occulter les différences dans les parcours de chacun.
Merci à la municipalité de Souppes-sur-Loing.