Roland Haas, 22 ans en 1944, survivant
Roland Haas est né à Paris le 26 avril 1922 dans une famille d’origine alsacienne. Robert Haas, son père, avait épousé Suzanne Gugenheim, à Paris le 6 mai 1909. Ils avaient eu deux enfants avant la 1ère guerre mondiale, Philippe, né en 1910 et Annette, née en 1912. Robert Haas , après ses études, avait intégré l’entreprise familiale « Haas Neveux », spécialisée dans l’horlogerie. Suzanne Gugenheim, originaire de Toul, avait participé à la 1ère guerre mondiale en tant qu’infirmière. La famille, d’origine juive, n’est ni pratiquante ni croyante. Elle n’allait qu’exceptionnellement à la synagogue. Après la guerre, le jeune Philippe meurt en 1921. Roland naît un an plus tard. Il est très choyé et passe une enfance heureuse. Cependant, pendant la crise économique mondiale, la société d’horlogerie fait faillite, et le père de Roland, ruiné, se suicide. Roland Haas, alors âgé de 16 ans, devient le chef de famille. Il poursuit cependant ses études et intègre l’École de Chimie de Lyon en 1940.
Dès le début de la Guerre, Roland conseille à sa famille de ne pas aller s’enregistrer dans les mairies comme juifs, conscient déjà du danger. Cela évitera ainsi à tous ses proches le port de l’étoile jaune. Étant à Lyon pour ses études, il rentre dans la clandestinité et rejoint le réseau de résistance Plutus créé par Pierre Kahn-Farelle. Ce réseau est chargé de la création et de la diffusion de faux papiers. II fournit en faux papiers l’essentiel des mouvements, réseaux et organisations luttant contre l’occupant. Dès 1942, Roland Haas devient agent de liaison du réseau, crée des « boîtes aux lettres » et arpente la France avec une serviette à double fond transportant probablement cartes d’identité, cartes d’alimentation , cartes grises…. Il risque sa vie tous les jours et le 18 mai 1944, il est arrêté, avec plusieurs membres de son réseau à Paris, au 25 cité des Fleurs, où l’organisation avait installé une partie de ses services, suite aux arrestations qui avaient eu lieu à Lyon. Roland Haas est interné à la prison de Fresnes et régulièrement interrogé et torturé par la Gestapo rue des Saussaies. Le 28 juin, lorsqu’il s’agit de réunir les effectifs pour un des derniers convois de déportation, les internés juifs de Fresnes sont conduits au camp de Drancy. Roland Haas en fait partie. Il est embarqué deux jours plus tard pour Auschwitz-Birkenau.
Le 30 juin, il est conduit à la gare de Bobigny avec 1153 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy. Le voyage qui dure quatre jours, par une chaleur torride, est particulièrement épuisant pour ces familles entassées dans des wagons à bestiaux plombés. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la « rampe d’Auschwitz » où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 398 hommes sur 654 sont déclarés « aptes » pour le travail . Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés désignés pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car les camps deviennent, en 1944, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre. L’autre moitié du convoi, les malades et les enfants, dits « inaptes » au travail, sont gazés dès l’arrivée. Malgré la dégradation de son état, suite aux interrogatoires, puis au voyage, Roland Haas entre au camp d’Auschwitz III situé à une dizaine de kilomètres d’Auschwitz près du village de Monowitz. Y était installée l’usine surnommée « Buna », d’IG Farben-Industrie destinée à fabriquer du caoutchouc synthétique.
Il devient le déporté A-19679. Il est tout d’abord envoyé à l’infirmerie où il reprend des forces grâce aux soins d’un médecin détenu, le Professeur Waitz. Il est ensuite affecté au Block 5, Kommando 147, un Kommando de chimie. Travaillant en intérieur, il survit , malgré les trois opérations subies au KB ( Krankenbau, mot à mot, bâtiment des malades).
Le 18 janvier 1945, il fait partie des 250 à 300 déportés du convoi 76 évacués du camp de Monovitz. Il effectue la première marche de la mort, une marche de 60 kilomètres sur des routes enneigées, en plein hiver, jusqu’à la ville de Gleiwitz, un Kommando du camp d’Auschwitz. Le 20 ou le 21 janvier, 2451 déportés sont entassés dans des wagons à charbon que les hommes rentrés dénommaient « wagons découverts », car sans toit, donc ouverts à tous les vents, à la neige et au froid, sans recevoir de nourriture. Après six jours de transport, le 26 janvier 1945, il arrive vivant avec 100 hommes du convoi 76 au camp de Buchenwald.
Carte établie à l’arrivée de Roland Haas au camp de Buchenwald le 26 janvier 1945.
Y figurent son numéro matricule au camp de Buchenwald et au camp d’Auschwitz sa profession, la date d’arrivée au camp.
Il reste au« Petit Camp » jusqu’en février, puis est affecté au Grand camp, Block 26, travaillant sur des chantiers de construction. Du 8 au 10 avril, bien que très faible, il réussit à échapper à l’évacuation du camp par les SS et est libéré par l’armée américaine le 11 avril 1945. Le 26 avril 1945, jour de son anniversaire, il quitte le camp. Il arrive en France le 29 avril. Sur le quai de la gare de l’Est, il est attendu par son beau-frère, le Professeur Hamburger, qui a du mal à le reconnaître. Il pèse 30 kilos !
Roland Haas, entouré de sa famille et de ses amis, reprend pied dans la vie. Il poursuit ses études à l’École de chimie de Lyon, puis à Paris. Il écrit la première partie de son récit de déportation et retrouve des camarades de résistance rentrés de déportation. Il témoigne devant les organismes français et internationaux chargés de la recherche des criminels de guerre et devient membre des différentes associations de déportés, UDA, Association Buchenwald-Dora.
Ingénieur, il intègre, en 1946, l’entreprise familiale, dénommée Compagnie minière et métallurgique, dont il devient le Directeur. En 1947, il fait la connaissance d’une jeune fille d’origine russe, Zoya Izmailoff qu’il épouse le 6 octobre 1948 à la mairie du 16ème arrondissement. Ils ont deux enfants, Patrick, né en 1951 et Isabelle, née en 1954. Sa vie professionnelle l’occupe pleinement, mais après son départ en retraite, en 1988, il se consacrera au « devoir de mémoire » . A l’initiative de ses enfants et petits-enfants, son récit de déportation est publié en 2001, il témoigne auprès des jeunes dans les lycées, il participe à la mise en place d’un monument aux Soviétiques dans la Résistance française au cimetière du Père Lachaise. Il a été décoré de la Croix de guerre, de la médaille de la Résistance et de la Légion d’honneur.
Roland Haas est décédé à son domicile le 25 novembre 2016. Il reste pour beaucoup de ses proches un modèle de courage et de générosité.
Il a lui-même ainsi défini sa période de la déportation :
« La vie concentrationnaire m’avait donné de l’existence une certaine conception. Elle m’amenait à envisager les évènements avec sérénité et à ne jamais considérer une difficulté comme insurmontable. »
Photographie de la carte de déporté de Roland Haas établie en 1950.
Fonds privé.
Citation de Roland Haas à l’ordre de l’armée en 1946
SHG- GRP282581- Journal de Déportation, Roland Haas, 2007-
Témoignages d’Isabelle et Patrick Haas.
Chantal Dossin