Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

L’assassinat de Georges Mandel

Maryvonne Braunschweig
mardi 5 mai 2015

Georges Mandel est assassiné par un milicien sensé le conduire à Vichy, pour y être interné dans un camp de la Milice française.

L’assassinat de Georges Mandel

Sur « l’assassinat de Georges Mandel » on trouvera l’article complet dans la publication du Cercle d’étude de mars 2015, le Petit Cahier / 2e Série N° 22, « Jean Zay, une figure symbole de la République » (p. 75 à 89).

Le 7 juillet 1944, sur la N7, à 2 km au sud de l’obélisque de Fontainebleau, en forêt, Georges Mandel est assassiné par un milicien sensé le conduire à Vichy, pour y être interné dans un camp de la Milice française.
Que s’est-il passé en réalité, pourquoi cette exécution, qui en est le commanditaire, et qui était Georges Mandel ? Ce sont là quelques questions qui méritent d’être posées et pour lesquels on n’a pas, et on n’aura sans doute jamais, toutes les réponses, mais qui peuvent en partie être éclaircies.

Georges Mandel, ancien bras droit de Clémenceau est un des hommes politiques les plus en vue de l’entre-deux-guerres. Homme de droite, mais sans parti, il est avant tout profondément patriote, se méfie de l’Allemagne, méfiance accrue avec l’arrivée au pouvoir de Hitler dont il dénonce à la Chambre, dès 1933, la politique militariste. Il n’a de cesse durant toutes les années 1930 de prôner une politique de fermeté vis-à-vis de l’Allemagne, ce qui lui vaut d’être dénoncé comme « belliciste » par les Allemands comme par les pacifistes français et l’extrême-droite.
De 1934 au 16 juin 1940 (sauf durant la période de gouvernement du Front populaire de juin 1936 à avril 1938), Georges Mandel est membre des différents gouvernements [1] qui se succèdent dans la France de la IIIe République. Opposé à toute demande d’armistice en juin 1940, il veut que la France poursuive la lutte avec son allié britannique depuis les territoires français d’Afrique du Nord. Pour ne pas être accusé d’avoir fui, il refuse de se rendre en Angleterre, où Churchill souhaitait pourtant sa présence comme représentant du gouvernement français, et préfère s’embarquer (comme Jean Zay et 25 autres parlementaires) sur le Massilia en route vers le Maroc.

Arrêté dès son arrivée au Maroc, sous le prétexte de « bellicisme » et de trahison (pendant la traversée l’armistice a été signé et vouloir poursuivre le combat est devenu « criminel »), il ne devait plus retrouver la liberté jusqu’à son assassinat. Georges Mandel est rapatrié en métropole en août 1940, interné en zone dite « libre » sous surveillance française, successivement au château de Chazeron (Puy-de-Dôme), à Pellevoisin (Indre), à Vals-les-Bains (Ardèche), enfin, pendant un an, sans procès, sans jugement, au fort du Portalet (Pyrénées-Atlantiques) où les conditions de détention sont très dures.

Le fort du Portalet depuis la route de la vallée d’Aspe.
Photo JB Mullier, 16 octobre 2016

Dès l’occupation de la zone sud par les Allemands le 8 novembre 1942, la Sipo-SD le met sous surveillance et l’emmène en Allemagne peu après : siège de la Gestapo de Berlin, cellule de la prison du camp d’Oranienburg, puis transfert dans une petite maison forestière près du camp de Buchenwald où il retrouve Léon Blum également déporté dans ce lieu.

Le 4 juillet 1944, alors que Philippe Henriot, secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande vient d’être assassiné le 28 juin, Georges Mandel, est ramené en France avec l’accord de Hitler, pour être livré au gouvernement de Vichy. L’objectif de Hitler : le livrer au gouvernement de Vichy pour qu’il soit condamné à mort par ce gouvernement de collaboration. Mais alors pourquoi ne pas l’exécuter en Allemagne, puisqu’il est l’otage des nazis, considéré depuis 1933 comme l’homme à abattre ? Il semble que Hitler, von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères, et Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne en France, aient voulu impliquer dans leur camp, et de façon irréversible, le gouvernement de Vichy qu’ils sentaient faiblir dans son soutien à leur politique, en particulier après le débarquement en Normandie. Sans demander son avis au gouvernement français, averti de cette « livraison », le 3 juillet, veille de son rapatriement, les Allemands le ramènent à Paris, le remettent à Knochen adjoint d’Oberg (alors absent), le chef de la Sipo-SD (la Gestapo) en France.

Le 6 juillet, Knochen annonce sa « livraison » aux autorités françaises, le lendemain. Le 7 juillet en début d’après-midi, il est remis au chef de l’administration pénitentiaire à la prison de la Santé. Le même jour à 18 h une équipe de miliciens avec deux voitures le prend en charge pour le conduire dans un camp d’internement de la Milice à côté de Vichy. Et c’est donc à la sortie de Fontainebleau que le conducteur de la première voiture, celle où se trouve Georges Mandel, simule une panne. Pendant que le conducteur ouvre le capot, Georges Mandel descend se dégourdir les jambes c’est alors qu’il est abattu.

Sur les circonstances exactes de cet assassinat, on ne sait – et on ne saura sans doute jamais – la totalité des faits et le rôle de tous les acteurs. Mais un livre récemment paru : Liaisons dangereuses. Miliciens, truands, résistants, Paris, 1944, de Jean-Marc Berlière et François Le Goarant de Tromelin (Perrin 2013) a éclairci bien des points. Une hypothèse serait que le chauffeur, chef du service de sécurité de la Milice, exécuteur des basses œuvres, et vrai truand, qui était en même temps agent de la Sipo-SD, ait exécuté, sur ordre des Allemands, Georges Mandel quand ils ont eu le sentiment que la condamnation à mort et l’exécution attendues de façon officielle de la part des autorités françaises, ne viendrait peut-être pas. Et cela convenait aussi aux miliciens qui cherchaient à venger la mort de Philippe Henriot.

Plus encore que Jean Zay qui va entrer au Panthéon le 27 mai 2015, Georges Mandel est devenu un oublié de l’histoire. Cependant sur les lieux de son assassinat, depuis 2007, le Souvenir français de Fontainebleau-Avon organise une cérémonie commémorative au jour et à l’heure de son exécution, soit chaque 7 juillet à 19 h.

Monument à Georges Mandel inauguré le 7 juillet 1946,
sur la D 607 (ex-RN7), à 2 km au sud de l’Obélisque de Fontainebleau.

Maryvonne Braunschweig

Médiagraphie

Biographie et archives :
Georges Mandel, Louis Georges Rotschild, est né le 5 juin 1885, 10 avenue du Chemin de Fer à Chatou.
http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/chan/chan/AP-pdf/544-AP.pdf

Georges Mandel, un tout premier résistant méconnu

Baba Diallo, chauffeur de Georges Mandel, déporté à Buchenwald

Le vote du 10 juillet.
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/quatre-vingts_liste.asp

Lettres de sa fille à Pétain et à Laval :
http://www.ffi33.org/mandel01.htm
Lettre de sa compagne à un résistant :
http://www.ffi33.org/mandel02.htm

COINTET Michèle, La Milice française, Fayard, 2013.
http://www.lesinrocks.com/2013/09/19/actualite/la-france-na-pas-ete-immunisee-contre-le-fascisme-11428099/

Parodiant L’Internationale, L’Action française écrit en 1938 :
« S’ils s’obstinent, ces cannibales,
À faire de nous des héros,
Il faut que nos premières balles
Soient pour Mandel, Blum et Reynaud »

SLOCOMBE Romain, L’inspecteur Sadorski libère Paris, Robert Laffont, 2021

quote>Petit Cahier N°29 : 3e Série, Un tout premier résistant méconnu, Georges Mandel, Conférence-débat du Cercle d’étude du 5 décembre 2019 : conférence par J.-P. Rothschild et M. Wormser, intervention de C. Noé Marcoux, textes et documents annexes par M. Braunschweig, Publication du Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah, 2021, 58 p.
Bon de commande : Qui se souvient de Georges Mandel, homme politique de premier plan de l’entre-deux-guerres ?
https://www.cercleshoah.org/IMG/pdf/mandelpc.pdf
NM, mai 2015, octobre 2016, 2019, 2021

[1Il a été chef de cabinet du président Georges Clemenceau pendant la Première Guerre mondiale, ministre des PTT, ministre des Colonies de 1938 à 1940, ministre de l’Intérieur du gouvernement de Paul Reynaud en mai-juin 1940.