Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Louis Rigal. Un Aveyronnais dans l’enfer de Buchenwald-Dora

par Yvonne Rigal
dimanche 15 septembre 2019

Bon de souscription pour le livre : "Louis Rigal. Un Aveyronnais dans l’enfer de Buchenwald-Dora".

Louis Rigal, résistant, déporté politique, né le 19/02/1909 à Levallois-Perret (75), résistant à Clamart, arrêté le 22 février 1943, interné à Compiègne, déporté de Compiègne le 16 avril 1943 à Mauthausen, matricule : 26262.
Puis il est envoyé au KZ-Außenlager Wiener Neudorf, camp annexe de Mauthausen, en novembre 1943. Il est transféré à Buchenwald puis Dora le 23.11.1943, matricule : 31811.
1945 : Départ de Dora le 5 avril. 40 km de marche forcée “marche de la mort” de Osterade à Goslar. Arrivée à Ravensbrück le 14 avril. Libération par les Russes et les Américains à Parchim [1] le 3 mai 1945. Lieu de rapatriement : Arras le 22.05.1945. Paris enfin le 23 mai 1945 à l’hôtel Lutetia.

Louis Rigal : Un Aveyronnais dans l’enfer de Buchenwald-Dora, Yvonne RIGAL, préfaces de Michel Dreyfus, historien, directeur de recherche au CNRS et Dominique Durand, historien, vice-président de l’Association Française Buchenwald-Dora et Kommandos, 2019.

Extrait : Dans les camps nazis

Eux, les déportés dans les camps nazis, eux ne savaient pas, ne pouvaient pas connaître l’issue. “Vous êtes là pour mourir et disparaître” était la promesse qui leur était faite chaque matin lors de ces interminables appels, pratiqués devant chaque Block par les SS obsédés de l’ordre.
Les morts étaient comptés. Les vivants étaient comptés. Lorsque le compte n’était pas le bon, à nouveau les morts et les vivants étaient comptés. Cela durait et certains tombaient, morts.
Des orchestres, promis au même sort, des tsiganes quelquefois, venaient le soir devant tous, pour agrémenter les pendaisons au moment de l’appel général.
Les fours crématoires brûlaient les corps. L’odeur était écœurante. Louis racontait… était-ce à Mauthausen, à Dachau, à Buchenwald, à Dora ? oui, racontait, qu’affamé, il céda un jour à se nourrir des choses que les cadavres régurgitaient. Il avait été chargé d’ouvrir une porte d’où ces cadavres s’écoulaient. Enfin, c’est ce qu’enfant j’ai entendu qu’il racontait à ma mère.
La mémoire de mes trente ans se souleva un jour, délivrant des images qui m’enchaînaient dans la douleur, à mon insu, très profondément.
Les unes s’ajoutaient aux autres, en chapelets de neurones : voir des wagons de chemin de fer destinés aux marchandises - et ils n’ont pas changé - encore aujourd’hui reste une épreuve et je détourne le regard lorsque depuis un train de voyageurs j’aperçois sur des rails en réserve, ces wagons de bois rouge foncé, grenat avec leur petite lucarne en partie haute ; celle-là même, unique, que les déportés entassés comme du bétail, étouffant lentement, tentaient d’atteindre, s’écrasant les uns les autres, pour happer un peu d’air. Les plus faibles piétinés griffant les jambes des corps pesants de leurs camarades, avant d’en devenir fou et de mourir étouffés.

Le corps ultime du père resté enclos dans la mort

Le message des matins au cours de ces appels interminables nus dans la neige était clair : “Vous êtes là pour mourir et disparaître.”
Je n’aimerais pas infliger à qui que ce soit la lecture des textes ou des photos contenus dans les ouvrages que m’a légués Louis, mon père, ou plus exactement que j’ai trouvés dans sa bibliothèque, soigneusement dissimulés, à la mort de ma mère, en 2002, dix ans après celle de son mari.
Dire que cela n’est pas supportable n’a pas de sens, mais cela détruit. Cela détruit tout en soi. L’âme de ceux qui ont vécu et survécu à ces temps de ruine est brûlée à jamais. Celle des enfants qui ont dû entendre et soutenir le récit du pire, l’est pour toujours.
Faut-il témoigner ? Témoigner de quoi ? Vers qui ? L’horreur et le crime ont-ils touché au but ? Avons-nous trop froid de vivre ? Sommes-nous trop devenus ?
Le courage nous manque-t-il pour dépasser la nécessité d’aligner nos êtres en modèles ?
À notre époque d’éclatement vers d’autres mondes que notre monde, sommes-nous tentés de refluer vers les traces originelles laissées dans l’argile de notre première écriture.
Oui cela me calme de laisser dériver ce qui ne pense pas mais se délivre des larmes ; elles s’écoulent malgré moi d’un délire intérieur où plus rien ne se nomme.
La souffrance naissante de notre humanité décimée.

Yvonne Rigal

Bon de souscription : Un Aveyronnais dans l’enfer de Buchenwald-Dora, Yvonne RIGAL, 463 p. 26 euros
https://fondationmemoiredeportation.com/2019/09/10/bon-de-souscription-un-aveyronnais-dans-lenfer-de-buchenwald-dora/
Dictionnaire biographique des déportés à Dora (La Coupole)


https://www.mauthausen-memorial.org/
https://www.mauthausen-guides.at/aussenlager/kz-aussenlager-guntramsdorf-wiener-neudorf
https://www.buchenwald.de/69/
https://dora-ellrich.fr/r/
LALIEU Olivier, La Résistance française à Buchenwald, éditions Tallandier, 2005, rééd. 2012 avec une préface de Jorge Semprun.
SELLIER André, Histoire du camp de Dora, Éditions La Découverte, 1998

Jean Louis RIGAL, alias Jean Jean
Né(e) le/en 19-02-1909 à Levallois-Perret (92 - Hauts-de-Seine (ex Seine et Seine-et-Oise), France)
Famille résistance déportés et internés de la résistance (DIR), résistance intérieure française (RIF)
Nom du mouvement de résistance intérieure française Front National
Statut déporté résistant
https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

[1Elbe. Zone de démarcation entre Soviétiques et Américains