Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

La difficile reconstitution des parcours des Marches de la mort

dimanche 14 septembre 2014

" Aucune notion du temps. Le train roule ou s’arrête encore. On ne sait où on est ... Un jour, lequel ? Le sais-je ?" Suzanne Birnbaum

II. Difficile reconstitution des parcours [1]

A – temps et lieux imprécis

Pour ces « marches », qu’elles soient à pied ou en train, les pauses sont aléatoires et les mémoires, même mises par écrit dès le retour, ne peuvent, le plus souvent, retrouver ni une chronologie (et encore moins des horaires) ni une géographie précises.

Sam Braun précise : « L’automate que j’étais devenu avait perdu ce jour-là [celui de l’évacuation] tous ses repères, temporels notamment » [janvier]

les déporté-es disent « le premier arrêt, le deuxième arrêt » etc., sans bien sûr savoir l’heure, le lieu, mais revoient telle grange ou tel champ ! Nadine Heftler se rappelle de nuits « chez l’habitant », une dans une porcherie, l’autre sur la place d’un village, une autre encore sur le plancher d’une salle des fêtes. Mais ni l’ordre exact ni les noms des lieux ne sont fixés dans sa mémoire. Elle revoit par contre parfaitement la ferme polonaise où elle est entrée sans son amie Estelle : la cuisine et son fourneau, le « café » offert par le fermier, les tranches de miche de pain coupées par son hôte ... et son retour dans les rangs. [janvier]
Liliane Lévy – Osbert signale qu’arrivée à une gare « Toutes sortes de noms sont avancées ... Va savoir ... Breslau, peut-être. » [janvier]
Robert Antelme indique : « On ne cherche plus à savoir où l’on va. Nous ne situons pas les paysages que nous traversons dans la géographie de l’Allemagne. »
Après les jours de marche, il se retrouve dans un wagon mais « C’est à Dachau, en apprenant la date de notre arrivée, que nous avons su combien de jours nous avions passés dans le wagon car nous connaissions la date du départ » (ils étaient restés 13 jours dans le wagon ; ils sont arrivés à Dachau le 27 avril 1945).
Suzanne Birnbaum précise : dans le wagon, « je reste là, prostrée, la tête vide, pendant des heures entières qui passent on ne sait comment et deviennent des jours. Aucune notion du temps. Le train roule ou s’arrête encore. On ne sait où on est ... Un jour, lequel ? Le sais-je ? On nous donne un bout de pain et une rondelle de saucisson ». [janvier]
Toutefois des déportés ont pu a posteriori, en faisant des recherches et croisant les souvenirs, reconstituer leur parcours et dresser des cartes. Dans ce petit cahier quelques parcours individuels sont ainsi analysés et cartographiés.

B - Gleiwitz  [2]
Gleiwitz est cité par de très nombreux déportés lors de l’évacuation d’Auschwitz – Birkenau et des camps annexes, en janvier 1945. Ce fut un lieu où la sauvagerie s’est déchaînée.

Evacuation du complexe d’Auschwitz

Evacuation du complexe d’Auschwitz. Photo Dominique Dufourmantelle

Henry Bulawko indique qu’« un soir, à Gleiwitz, on nous distribua un demi litre de soupe. Heureux ceux qui possédaient un récipient » ; pour les autres, bagarre pour un gobelet et beaucoup n’en eurent pas. [janvier]
Gilbert Michlin parle de l’arrivée à Gleiwitz « en partie vidé pour nous faire place » ; pas de surveillance, pas de distribution de block ; ils dorment en fin de compte dehors, après une bagarre avec ceux déjà en place pour s’installer quelque part : « le camp est transformé en un véritable enfer où tout le monde tape comme il peut, sur qui il peut, pour tenter de trouver, ou de conserver, un peu de chaleur et de repos. »
Il précise qu’à l’arrivée à Gleiwitz il constate un dispositif qui semble être une sélection ; Gilbert est « placé d’un côté, dans une baraque fermée. ». La majorité des détenus est dirigée vers une autre baraque, ouverte : Gilbert est persuadé qu’il est destiné à être tué ; il passe par la fenêtre et retourne se mettre en fin de file ; il est alors désigné pour la baraque ouverte. [janvier]
Simone Veil indique qu’arrivée à Gleiwitz, « à 70 kms plus à l’ouest », « il n’y avait plus rien, aucune organisation, aucune nourriture, aucune lumière ». Elle a le sentiment qu’ils allaient tous être exterminés tellement les Allemands semblaient affolés. [janvier]
La violence entre déportés y est extrême comme le précise Simone Veil : certains hommes [ des déportés] exerçaient sur les femmes un chantage épouvantable : « Comprenez-nous, on n’a pas vu de femmes depuis des années ». [janvier]

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[1des historiens ont pu a posteriori établir une cartographie des divers parcours. Mais les témoins soulignent leur incapacité à se situer géographiquement et chronologiquement : pour la plupart ils ne connaissent pas les pays, régions traversés et n’ont bien sûr ni montre ni calendrier à leur disposition.

[2Aujourd’hui, les historiens distinguent à Gleiwitz la présence d’une gare et celle de deux camps (Gleiwitz 1 et Gleiwitz 2) pendant cette période. Mais aucun des déportés cités dans cet article ne signale cette différence.


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