Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Varian Fry, "l’homme des visas"

Histoire d’un Juste à Marseille, août 1940-septembre 1941
vendredi 7 septembre 2012

« Pourtant, la plupart d’entre nous ne pensaient qu’à une chose : aller à Marseille. La majeure partie de la population nous était favorable, et l’on y trouvait des amis prêts à faire bien des sacrifices pour nous. C’est avec leur aide qu’il faudrait disparaître, se perdre dans le dédale de rues et de ruelles de cette grande ville. Et puis, à Marseille, il y avait la mer, le port, c’est-à-dire le seul moyen de parvenir à l’étranger ou du moins dans l’une des colonies françaises. »
FEUCHTWANGER Lion, Le Diable en France, Paris, Belfond, 2010, p. 261.

Par Nicole Dorra [1]

"Pendant plusieurs mois, j’ai vu mon père partir pour Marseille dans l’attente de ce papier magique, « le Visa »... Varian Fry, pour moi est resté « l’homme des visas »...

Varian Fry, Agone

"En 1940, Marseille est le premier port de France et le seul port de la zone dite libre, tous les consulats y sont représentés. Marseille, ville multiple et éclatée où se pressent tous ceux que l’Allemagne pourchasse, dos à la mer. S’y côtoient des réfugiés de la guerre d’Espagne, des exilés germanophones arrivés par vagues successives, depuis 1933 pour les opposants au régime nazi, puis les artistes et les intellectuels après l’exposition de Munich en 1936 sur « l’art dégénéré », puis les Juifs autrichiens après la « Nuit de Cristal » en 1938. Pour tous ceux-là, Marseille est la terre du dernier espoir, le bout de la route au delà de laquelle finit l’Europe et commence l’Amérique, que la plupart veulent rejoindre. Mais il y a aussi les militaires, notamment polonais et les anglais qui veulent continuer le combat, et enfin les réfugiés de la zone occupée.

Août 1940-Septembre 1941
C’est donc dans cette ville qu’arrive, en août 1940, Varian Fry, journaliste sans expérience, chargé par le Comité Américain de Secours (CAS), de ramener en Amérique, en un mois, 200 des personnalités les plus exposées à la répression nazie, du fait de l’article 19 de la convention d’armistice qui stipule que « le gouvernement français est tenu de livrer sur demande tous les ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich et qui se trouvent en France [2].
Il y est resté un an, a sauvé 2 000 personnes connues, mais aussi inconnues. Il a été, au bout d’un an, abandonné par son gouvernement et forcé de rentrer aux États-Unis. À son départ, ses adjoints Daniel Bénédite (qui après la défaite, démissionne de la préfecture et rejoint Marseille à l’appel de son amie cf. Mary Jayne Gold ), Jean Gemähling et Sylvain Itkine sont passés à la Résistance.

Justus Rosenberg dit Gussie, [3], né à Danzig en 1921 a fait partie du Emergency Rescue Committee (ERC) (Comité de sauvetage d’urgence) à Marseille ou CAS (Centre américain de secours). Dix neuf ans, blond, les yeux bleus, faisant plus jeune que son âge, il était coursier de Fry. Il a aussi été résistant dans le réseau de renseignements Gallia. Interné à Vénissieux, il s’échappe et participe à la Libération.
https://www.nytimes.com/2016/05/01/nyregion/professor-justus-rosenberg-has-a-past.html?_r=1

Varian Fry a fait une œuvre créatrice puisque, grâce à lui, nous pouvons aujourd’hui lire l’œuvre d’Hannah Arendt, André Breton, et bien d’autres. Sans lui, le visage de l’art américain d’après guerre aurait été différent : les surréalistes sauvés par Varian Fry ont influencé les artistes américains.

Cet homme ordinaire, qui a vécu une aventure extraordinaire, dit lui-même :
« J’ai vécu une aventure dont je n’avais jamais rêvé. J’ai suscité et découvert en moi des ressources énormes d’imagination et de courage que jamais auparavant je n’aurais cru posséder. Je me suis battu contre des enjeux énormes ce dont, malgré la défaite finale, je crois que je pourrai toujours être fier. »
C’est une personne seule qui a marché à contre-courant de l’opinion publique et de la politique inhumaine d’un gouvernement.
Et pourtant, Varian Fry est mort, seul, dans son chalet, à Ridgefield, Connecticut, en 1967, dans l’anonymat." Nicole Dorra
Varian Fry est devenu Juste en 1994

Nicole Dorra (Ciné-Histoire) a organisé une Journée d’étude : Histoire d’un Juste à Marseille : Varian Fry, le 25 octobre 2007
Programme de la matinée
9h Présentation par Mme Dorra, Présidente de Ciné-Histoire
9h10 Inauguration de la journée par Monsieur l’Ambassadeur Stéphane Hessel
(Madame Helen Hessel-Grund, sa mère, faisait partie de l’équipe de Varian Fry.)
Les débuts de la mission Fry
9h30 Projection de Mission sauvetage, film de Richard Kaplan (25 min. - 1998)
10h Marseille entre 1940 et 1942 : ville carrefour, ville piège
« Marseille, première capitale de la Résistance » par Robert Mencherini, historien chercheur associé à l’UMR Telemme
« Les réfugiés dans les camps du Sud » par Olivier Lalieu, historien responsable de l’aménagement des lieux de mémoire du Mémorial de la Shoah
11h Varian Fry et le Comité Américain de Secours
« Filières clandestines et politique officielle » par Jean-Michel Guiraud, historien, Président de l’Association Varian Fry France
« Du Sauvetage à la Résistance » par Jean-Marie Guillon, historien, professeur à l’Université de Provence, directeur de l’UMR Telemme
Programme de l’après midi Du sauvetage aux exils
14h15 Projection de Varian Fry passeur d’artistes, film de David Kerr (55 min - 1998)
15h15 Contextes de l’action de Varian Fry
« Trajectoire et politique de Varian Fry dans le contexte américain » par Laurent Jeanpierre, historien et sociologue, maître de conférences à l’IEP de Strasbourg
« Varian Fry et les surréalistes à la Villa Air Bel » par Jean-Michel Guiraud, historien, Président de l’Association Varian Fry France

Ce qui reste de la villa Air Bel : les piliers du portail, UH

http://villaairbel1940.fr/le-film-3d/

16h15 Les effets de la mission Fry : influences croisées dans l’art et la culture
par Germain Viatte, ancien directeur du Musée de Marseille par Laurent Jeanpierre, historien et sociologue, maître de conférences à l’IEP de Strasbourg
par Anne-Marie Duranton-Crabol, historienne

- Dans sa conférence sur Les Juifs à Marseille, Renée Bensousan présente Varian Fry :
Varian Fry, fils d’un financier protestant, étudiant à Harvard, avait fondé avec un ami, une revue intellectuelle d’avant-garde et collaboré à de petites revues politiques, fréquentant les milieux libéraux anti-isolationnistes et se faisant des amis parmi les exilés antinazis. Il a été marqué par un voyage en Allemagne en 1935. Se trouvant à Berlin, dans un café en plein centre de la ville, il a pu voir deux jeunes nazis s’approcher d’un consommateur qui avait à leurs yeux l’air juif et lui clouer la main à la table par un coup de poignard...

Varian Fry s’arrête dans l’hôtel, 31 Boulevard d’Athènes, premier lieu du CAS de Varian Fry, emplacement actuel du Crdp.
Sous cette couverture légale, (le CAS) Varian Fry installe un véritable réseau d’évasion s’appuyant sur des filières légales ou clandestines, allant jusqu’à des contacts avec le « milieu » marseillais. Il s’entoure d’une équipe en laquelle il a toute confiance. Un des premiers à le rejoindre est un jeune social-démocrate allemand, Albert Hirschmann, dit Beamish [4], qui ne tarde pas à assumer toute la partie illégale de la mission : faux passeports, change avantageux de l’argent au marché noir dont une partie par des relations avec le milieu marseillais, achat de faux passeports, achat de visas chinois permettant d’avoir d’autres visas, fausses cartes d’identité. ...
On avait fait évader Lion Feuchtwanger du camp de Saint-Nicolas, près de Nîmes, Feuchtwanger, déguisé en femme, caché pendant six semaines chez Hiram Bingham, le vice-consul américain à Marseille...

L’activité de Varian Fry est constamment surveillée, d’une part, par le Département d’État américain, qui fait pression sur l’ERC à New York, d’autre part, par la police de Vichy, qui savait sûrement ce qu’il faisait, et, peut-être et surtout, par les fonctionnaires du consulat américain à Marseille qui le détestent et ne voient en lui qu’un semeur de pagaille. Mais même lorsque les Américains refusent de renouveler et de lui rendre son passeport, il s’entête. « Ce travail est – comme la mort – irréversible. Nous avons commencé ici quelque chose que nous ne pouvons pas arrêter. »....
il est possible d’estimer que sur un total de plus de 20 000 personnes reçues par le CAS, le Comité Fry aurait permis le départ de 2 549 d’entre-elles...

Marseille, années 40, Mary Jane Gold

pour en savoir plus :
Les Juifs à Marseille (1939-1942), du refuge au piège ; la rafle de Marseille en 1943 et la destruction du vieux port.

Petit Cahier n°14, "Les Juifs à Marseille 1939-1944", avec la transcription de la conférence de Renée Dray-Bensousan et des témoignages, Les Juifs Varian Fry, "l’homme des visas" à Marseille, 1939-1942 : du refuge au piège, des articles sur Un Juste à Marseille : Varian Fry, août 1940-septembre 1941, la Journée d’étude organisée par Ciné-Histoire, le 25 octobre 2007, de nombreux documents avec des compléments sur la rafle de Marseille en 1943 et la destruction du vieux port
Uwe Wittstock

UWE WITTSTOCK, Marseille 1940. Die große Flucht der Literatur, Verlag C.H.Beck, 2023
http://uwe-wittstock.de/

GUYOT Alain, POLLIN Diana, Villa Air-Bel 1940-1942, un phalanstère d’artistes éditions La Villette//ENSA-Marseille, 2013.
http://villaairbel1940.fr/le-film-3d/

Jean-Michel Guiraud,(Association Varian-Fry France) La Vie intellectuelle et artistique à Marseille 1940-1944,

https://www.lamarseillaise.fr/societe/jean-michel-guiraud-militant-de-la-memoire-de-varian-fry-JH13369981
Bernard Noël, Marseille-New York.

MENCHERINI Robert, Résistance et Occupation (1940-1944), Syllepse, 2011.

Le camp des Milles :
http://www.campdesmilles.org/index.html
FRY Varian, (Surrender on Demand, Random House, 1945), La Liste noire, Plon, 1999, 282 p.
FRY Varian, "Livrer sur demande...". Quand les artistes, les dissidents et les Juifs fuyaient les nazis (Marseille, 1940-1941), nouvelle édition revue et augmentée de La Liste noire, Marseille, Éditions Agone, 2008, 356 p.

FRY Varian, "Livrer sur demande"...Quand les artistes, les dissidents et les Juifs fuyaient les nazis (Marseille, 1940-1941), Annexe : « Varian Fry journaliste politique (1935–1943) »  : sur un pogrom à Berlin, la politique américaine à l’égard des réfugiés, le massacre des Juifs d’Europe et l’abolition du décret Crémieux en Algérie. Cahier photos et documents. Agone, collection « Éléments », 2017

Varian Fry par Pierre Sauvage :
http://www.chambon.org/sauvage_fry_fr.htm
And Crown Thy Good, Pierre Sauvage, 2010

Un témoignage vidéo en ligne :
Le sauvetage des artistes, Souvenirs de Varian Fry (14:22 min)
Stéphane Hessel, ancien résistant, ambassadeur de France, Halle Saint Pierre - Paris, février 2008
http://www.akadem.org/sommaire/themes/histoire/1/6/module_3927.php

Varian’s War , Lionel Chetwynd, 2001, 121 min.
Varian Fry Institute
http://www.varianfry.org
Nombreux documents sur le site :
http://www.varianfry.org/crown1_en.htm
Pierre Sauvage
http://www.chambon.org/sauvage_fry_fr.htm
L’Association Varian Fry France
http://www.varianfry-france.fr/
MEYERHOF Walter, In the Shadow of Love, Stories from my Life, Fithiam
Pres, 2002
État de piège/ La filière marseillaise de Varian Fry, un documentaire de Teri Wehn Damisch

MALGAT Gérard, Gilberto Bosques, la diplomatie au service de la liberté, Paris-Marseille (1939-1942), Marseille, éditions L’atinoir, 2013

http://www.mp2013.fr/evenements/2013/10/la-culture-de-leurope-en-exil-1940-1942/

les Pyrénées
Entre 1940 et 1944, près de 35.000 personnes franchissent clandestinement les Pyrénées pour échapper aux Nazis, au péril de leur vie. Mais la frontière ne marque pas la fin des épreuves. Une fois en Espagne, ces "évadés de France" sont pour la plupart arrêtés par la Guardia Civil et jetés en prison. Le chemin de la liberté sera encore long...

Le chemin de la liberté, documentaire de Joel Montagu et Patrice Masini, coproduction Homemade Productions/France Télévisions, 2015
"Entre 1940 et 1944, près de 35.000 personnes franchissent clandestinement les Pyrénées pour échapper aux Nazis"

American Friends Service Committee Records Relating to Humanitarian Work in France,1933-1950
liste :
https://collections.ushmm.org/findingaids/RG-67.007M_01_nam_en.pdfhttps://collections.ushmm.org/findi...

NM

[1Ciné-Histoire, 8 rue Dupleix, 75015 Paris. Tél. : 01.43.06.23.37. E-mail :nicoledorra@gmail.com

[2Il y a à peu près un quart de personnes présentes sur la liste de Fry qui ont été internées au camp des Milles

[3l’ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud, lui a remis la médaille de commandeur de la Légion d’Honneur à New York en mars 2017

[4Beamish, né en 1915 à Berlin, se réfugie en France en 1933, fait des études à Londres, participe à la guerre d’Espagne avec les Républicains, étudie à Triestre où il est rattrapé par les lois de Mussolini contre les Juifs. Il combat en France, puis il est l’adjoint de Varian Fry dans le sauvetage d’intellectuels allemands et autrichiens menacés par les nazis et de
Juifs à Marseille, s’occupe de procurer illégalement des faux papiers, se réfugie aux États Unis, et débarque en 1943 en Afrique du Nord sous l’uniforme américain.