Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Madeleine Passot, déportée, convoi des 31000

fiche pédagogique par Martine Giboureau
mardi 19 février 2019

Fiche pédagogique : reconstituer le parcours de vie d’une déportée suite à la rencontre avec son fils, Yves Jégouzo : Madeleine Passot, convoi du 24 janvier 1943 dit des "31000", déportée à Auschwitz.

Madeleine Passot

Pour que les cours sur les résistances, les déportations, les génocides des juifs et des tsiganes aient un fort impact à long terme sur les élèves de collège ou de lycée, il est souhaitable qu’ils fassent un travail personnel d’approfondissement. L’élaboration de la biographie d’une déportée est l’une des recherches qu’il est possible de leur proposer.

Le point de départ pour reconstituer l’histoire de Madeleine Passot peut être la rencontre avec son fils, Yves Jégouzo. (voir À l’écoute des enfants de déportés pour réfléchir à la venue d’une enfant de déporté.e dans une classe)
Les élèves et les enseignants cherchant à approfondir la biographie d’un.e déporté.e ont toutefois comme premier réflexe de consulter un moteur de recherche. On trouve en tapant « Madeleine Passot » divers sites dont certains sont en anglais. Il faut impérativement confronter ces sources pour tenter de cerner les faits historiques les plus incontestables et bien utiliser le conditionnel pour ce qui n’est pas certain.

I. Eléments biographiques de Madeleine Passot épouse Jégouzo (dite entre autres Gervaise, Betty, Lucienne Langlois)

« Mémoire Vive » http://www.memoirevive.org/madeleine-dite-betty-jegouzo-alias-lucienne-langlois-31668/ ou http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article76382 ayant eu des informations et photographies fournies par le fils de Madeleine, Yves Jégouzo que des membres du Cercle d’étude ont rencontré le 6 février 2019, sont des sources fiables. Il est inutile de reprendre ici ces informations.

Toutefois Yves Jégouzo a pu nous préciser ou compléter certains points :
- Le père de Madeleine ainsi que ses oncles Emile et Charles travaillaient avant guerre dans la métallurgie, la carrosserie. Ils étaient installés à Boulogne-Billancourt. Le père de Madeleine avait fait le ‘’Tour de France’’ (formation de ‘’compagnon’’) comme apprenti boulanger, puis a travaillé dans des usines d’automobiles.
- Madeleine a suivi l’école Pigier et est devenue secrétaire de direction. Elle a été entre autres employée dans une société d’objets de mode, cosmétiques, ‘’La Houpe’’.
- Madeleine a adhéré au PCF en 1934
- Yves a détaillé une ‘’aventure’’ vécue en 1939 par Madeleine en compagnie de la mère de Jacques Duclos. Celle-ci vivait dans le sud-ouest et décida d’aller avec Madeleine voir des cascades dans les Pyrénées. Elles ont été arrêtées et la mère de J. Duclos a prétendu que Madeleine était sa fille. Or les gendarmes savaient qu’elle n’avait pas de fille. Elles ont toutefois été libérées mais il y eut une perquisition chez la mère de Jacques Duclos.
- Madeleine a multiplié les voyages dans la France occupée, ce qui était particulièrement difficile. Elle a, à plusieurs reprises passé la ligne de démarcation à Moulins. Elle avait de « vrais faux papiers » issus de la préfecture de Moulins (installée en zone occupée) au nom de Lucienne Langlois, née au Montet, près de Moulins, en zone « libre ». Madeleine a été arrêtée puis déportée sous ce nom. (d’où l’erreur dans la biographie fournie par Charlotte Delbo – voir ci-dessous). C’est aussi ce nom, Lucienne Langlois, que Lucien Dorland avait donné concernant la personne à prévenir en cas de décès : Lucien était le compagnon de Madeleine.
- Madeleine a été arrêtée à Paris, 5 cité Falguière par la Brigade spéciale [1] : une plaque évoque cette arrestation
http://www.parisrues.com/rues15/paris-15-cite-falguiere.html
- Madeleine est passée par la Préfecture de police, la Conciergerie, le quartier allemand de la Santé. Madeleine a écrit dans un des courriers clandestins destinés à ses parents avoir vu sur la porte de sa cellule à la Santé les lettres NN [2] - sans savoir d’ailleurs ce qu’elles signifiaient ; elle pensait que cela indiquait une prisonnière particulièrement dangereuse. Elle a été interrogée mais n’a jamais dit avoir été torturée.
- Madeleine et ses co-détenues ont cherché en vain une issue pour s’évader via les égouts : l’esprit de résistance n’a jamais abandonné Madeleine !
- Madeleine a été autorisée à dire adieu à Lucien Dorland avant qu’il ne soit fusillé.
- Yves a retrouvé chez ses grands-parents maternels une boite à biscuits métallique contenant tous les courriers envoyés par Madeleine à partir de son arrestation (courriers déposés dorénavant à la BNF Bibliothèque nationale de France). Les courriers clandestins passaient par les ballots de linge et les courriers autorisés (et donc vérifiés par les autorités) étaient envoyés à la pseudo-concierge de Madeleine, en réalité sa tante Marie-Louise. Les parents de Madeleine se chargeaient de répartir les messages des autres prisonnières, entre autres Danielle Casanova, faisant partie de la ‘’grande famille ‘’ c’est-à-dire du PCF. Les courriers étaient bien sûr codés (d’où une des difficultés aujourd’hui pour tout appréhender même si Madeleine a donné à son fils un certain nombre de clés de compréhension dans les années 1990). Ainsi par exemple, quand Madeleine voulait parler de son oncle Charles (qui a été arrêté à Granville), elle écrivait ‘’notre ami de Normandie’’. De même quand elle a pu envoyer une lettre durant la quarantaine à Birkenau, elle a écrit, pensant être prochainement transférée dans un autre camp : « La petite Monique va changer d’école ».
- Alors que Madeleine était à Romainville, elle a appris le départ des ‘’45000’’
(http://www.memoirevive.org/histoire-du-convoi-du-6-juillet-1942-dit-convoi-des-45000/) et a écrit : « ils ont vidé Compiègne ».

- Au retour des camps, Madeleine a 31 ans et reprend son activité militante comme assistante de Jean Jérôme (que certains qualifient d’ ‘’éminence grise du PCF’’) à la demande de J. Duclos. Le père d’Yves, que Madeleine a rencontré en 1947, hébergeait dans sa planque la femme et la fille de Jean Jérôme durant la guerre.

- Sur la cloche du Mont Valérien, http://www.mont-valerien.fr/parcours-de-visite/le-monument-en-hommage-aux-fusilles/, lors de l’inauguration, Madeleine a montré à M. Badinter les noms des 46 fusillés (exécutés par les Allemands en tant qu’otages le 21 septembre en réaction à l’attentat au Rex le 17 septembre 1942) dont celui de Lucien Dorland.

La biographie de Madeleine présentée par Mémoire Vive cite la page 167 du livre de Charlotte Delbo « Le convoi du 24 janvier » [3] consacrée à Lucienne Langlois (« Betty »).

Née le 23 mai 1914 au Montet, dans l’Allier, elle a été élevée à Paris où son père était artisan. Après le brevet élémentaire, elle a fait deux ans d’école normale mais a changé de voie pour devenir secrétaire d’administration. Elle entre dans la résistance dès le début de l’occupation et, en 1941, elle est agent de liaison du comité national des FTP. Elle est arrêtée par les brigades spéciales le 2 mars 1942, à Paris, dans un logement qu’elle avait loué sous une fausse identité, cité Falguière. Elle avait été prise dans les filatures du groupe Politzer. Après une semaine dans les bureaux des Renseignements généraux, elle passe au dépôt où elle reste jusqu’au 23 mars 1942, à la Santé où elle est au secret jusqu’au 24 août 1942, puis à Romainville. Auschwitz n° 31668 Elle est entrée au Revier comme infirmière le 24 février 1943. Elle a eu le typhus en avril-mai 1943, a repris son travail d’infirmière et, par faveur du médecin-chef SS, a été attachée à Manette lorsque celle-ci a été amputée d’une jambe. Elle a rejoint les camarades du convoi qui étaient en quarantaine le 3 août 1943 et elle est partie avec elles pour Ravensbrück le 2 août 1944. Malade, elle n’a pas été envoyée à Mauthausen et c’est à Ravensbrück qu’elle a été libérée par la Croix-Rouge et emmenée en Suède le 23 avril 1945.
Quelques années après son retour, elle s’est mariée, a eu un fils. Betty s’est remise au travail et mène une vie plutôt active, mais elle est vite fatiguée, prise soudain d’une fatigue qui semble inexplicable et qui l’écrase même lorsqu’elle n’a pa eu une journée particulièrement chargée.
Elle a été homologuée sergent dans la R.I.F.

Lucienne Langlois était le nom dans la clandestinité de Madeleine. Mais même les Allemands n’avaient pas percé la véritable identité de la personne qu’ils avaient entre leurs mains !

Yves Jégouzo explique les erreurs qui apparaissent dans ce texte par la volonté de sa mère de ne pas livrer trop de précisions : quand Charlotte Delbo a retrouvé ses camarades pour rédiger son ouvrage, on était dans les années 1960 (le livre est paru en 1966) c’est-à-dire en pleine guerre froide. Madeleine, qui avait mené des activités clandestines pour le PCF, n’a pas communiqué à Charlotte des informations risquant de nuire au Parti. Dans les archives de Charlotte Delbo il n’y a qu’une fiche sur une page, écrite en rouge, collectant les données biographiques sur Madeleine.

L’exemple de Madeleine Passot est emblématique : il est très difficile de reconstituer toute la vérité historique. La clandestinité dès avant guerre, les codes utilisés dans les courriers envoyés de prison puis du camp, la vie amoureuse avant et pendant la guerre avec Lucien Dorland puis après guerre avec le père d’Yves, les récits parcellaires au retour et les silences, la ‘’normalité’’ du quotidien qui conduisent à ne pas poser de questions (par exemple sur le numéro tatoué sur le bras de sa mère) obligent Yves à continuer aujourd’hui d’enquêter et de confronter les indices pour tenter de « tout » savoir sur sa mère.

II. Recherches complémentaires

Les élèves pour pouvoir cerner le parcours de Madeleine, ce qui la motivait, ce qui en a fait une résistante importante n’ayant jamais livré la moindre information aux Allemands, doivent chercher diverses précisions sur Internet et/ou dans les livres aux CDI, bibliothèques municipales (dont la trilogie de Charlotte Delbo : Aucun de nous ne reviendra. Auschwitz et après, I. Gonthier, « Femmes » n°11, 1965 ; Minuit, 1970. Une connaissance inutile. Auschwitz et après II. Minuit, 1970. Mesure de nos jours. Auschwitz et après III. Minuit, 1971).

Les élèves doivent aussi croiser les biographies des personnes citées au fil du récit de la vie de Madeleine :
. Charles Passot : http://www.memoirevive.org/charles-passot-45951/
. Lucien Dorland : http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article22867
. Jean Jérôme : le vrai nom de Jean Jérôme est Michel Feintuch
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article23842 
https://www.humanite.fr/node/5212
. Charlotte Delbo : le Cercle d’étude a publié un Petit Cahier début 2019 retranscrivant et complétant la conférence de 2017
Charlotte Delbo, résistante, écrivain de la déportation, par Ghislaine Dunant

Mais aussi entre autres par exemple :
. René Mourre
. Arthur Dallidet
. Danielle Casanova
. Marie-Claude Vaillant-Couturier

Par ailleurs pour s’imprégner des contextes ayant eu de l’importance pour Madeleine, les élèves doivent chercher des informations sur :
- Le pacifisme en 1914 : Jaurès, la SFIO, la CGT
- L’organisation du PCF dans les années 1930 : entre autres ils peuvent consulter le site
http://siteedc.edechambost.net/histoire_du_pcf.htm
- Le groupe ‘’Politzer ‘’
- les prisons et camps d’internement en France où étaient enfermés les résistants ; la politique nazie des otages.

Ils peuvent aussi questionner :
- Les archives du Mémorial de Caen
- Les archives de la police

Il est bien évident qu’un tel travail de recherche est très exigeant :

- Il demande beaucoup de temps en classe et hors de classe : il est donc préférable de mettre en œuvre un projet interdisciplinaire. A partir de l’année scolaire 2019-2020, les possibilités de travail de recherche (comme les TPE en lycée et EIP en collège) semblent devoir être réduites. Toutefois, en lycée, dans le cadre de l’enseignement moral et civique est proposé le « projet de l’année » qui ‘’permet l’apprentissage des notions et favorise l’acquisition des capacités attendues. […] La démarche de l’enquête, la recherche et le commentaire de documents pour l’étude ou comme préalable à la rencontre d’acteurs associatifs, d’élus, ou de toutes personnalités extérieures sont à favoriser’’
http://cache.media.education.gouv.fr

Ceci pourrait être un cadre favorable à des approfondissements par les élèves pour construire une biographie telle que cet article le propose.

- Une aide constante de l’enseignant doit permettre de régulièrement recadrer les recherches, rappeler les exigences méthodologiques, maintenir l’enthousiasme.

- Il est souhaitable qu’une production finale utilise des moyens modernes de conception, diffusion afin que le plus de personnes possible ait accès aux résultats de la recherche. Si cela concorde avec le sujet de l’année du CNRD, cette production peut être envoyée au jury départemental de ce concours
https://www.reseau-canope.fr/cnrd/ 

CNRD

Martine Giboureau, février 2019

[1Les Brigades spéciales de la Préfecture de police de Paris, dont les effectifs s’accroissent fortement à partir de l’été 1941, dédoublées en BS1, pour la traque des “ politiques ”, et en BS2 ( janvier 1942) pour la répression des “ terroristes ”.

[2Le décret du 7 décembre 1941, NN, Nacht und Nebel , Nuit et Brouillard, "NN de la Wehrmacht" et les "NN de la Gestapo" contre la Résistance et l’opposition politique, stipule que "tout habitant des territoires occupés de l’Ouest, présumé coupable de crimes contre le Reich ou contre les territoires d’occupation, doit être exécuté ou déporté clandestinement en Allemagne, pour y disparaître sans qu’aucune information ne soit donnée à son sujet".