Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Raphaël Esrail, résistant, déporté

président de l’Union des déportés d’Auschwitz
lundi 4 octobre 2010

Raphaël Esrail, né en Turquie, élève ingénieur à l’Ecole Centrale de Lyon, il participe à la Résistance. Déporté à Auschwitz, il est affecté à l’Union Werke, il participe aux marches de la mort. Il est libéré à Tutzing, au bord du lac Starnberg, le 1er mai 1945 par les Américains.
Il témoigne auprès des jeunes et est très engagé dans la transmission auprès des professeurs à travers le Cercle d’étude et en organisant des voyages de formation des professeurs à Auschwitz.
Il est président de l’Union des déportés d’Auschwitz.
Décédé le 22 janvier 2022.

Raphaël Esrail

Né en 1925 à Magnésie en Turquie, Raphaël Esrail il arrive à Lyon avec sa famille qui s’occupe d’un petit commerce à la Croix Rousse. Avant la guerre, alors qu’il est au lycée, il participe aux activités des Éclaireurs israélites de France sur les conseils de sa famille. Là, il se trouve en contact avec des réfugiés venus d’Allemagne et d’Autriche qui lui parlent du nazisme, de ses exactions par exemple de la Nuit de Cristal. La guerre, puis la défaite de la France, le conduisent à prendre très vite position. Avec les éclaireurs il participe au passage d’enfants vers la Suisse.

Photo DD

Jeune résistant
Pendant la guerre, à 18 ans, élève ingénieur à l’École Centrale de Lyon, il est recruté en septembre 1943 plus particulièrement pour la fabrication de faux papiers, cartes d’identité, certificats de nationalité, tickets de rationnement...Il lui arrive également de diriger des jeunes vers les maquis de la région.
On achetait une carte dans les bureaux de tabac, une photo, un timbre. Il fallait des cartes de travail, des Ausweis, (laissez-passer), des cartes d’alimentation. Il faisait aussi du lavage de vrais papiers et changeait les identités. Le correcteur, c’était de l’eau de javel à température adéquate pour que le papier ne jaunisse pas.
Il est arrêté le 8 janvier 1944, dans une officine de faux papiers, place des Célestins, chez Roger Appel. Il est tombé dans une souricière tendue par l’équipe de Francis André [1], dit « gueule tordue » travaillant en collaboration avec la Gestapo.
Il est emmené en tant que résistant sous le nom de Raoul Paul Cabanel, à l’École de Santé Militaire, au siège de la Gestapo : il connaît le supplice de la baignoire, avec des miliciens et la Gestapo, puis la prison de Montluc. Il était avec le colonel Ganeval et le responsable du réseau Marco Polo, Jacques Bergier.
A 7 heures du matin, les prisonniers sont réveillés pour l’appel des gens à fusiller. Colin, 18 ans, un condamné à mort parce qu’il avait fait dérailler un train, charcutier de son métier, spécialiste de quenelles de brochet, leur a dit qu’il saurait mourir en Français.
Comme les Allemands ne cherchaient que des papiers, ses parents ont pu se cacher.
Il subit des interrogatoires sous le nom de Paul Cabanel. Repéré comme juif, il est transféré à Drancy, d’autres compagnons sont envoyés à Compiègne. A Drancy, il rencontre deux jeunes scouts, René et Henri Badour, et leur sœur, Liliane, catholiques, raflés le 10 janvier 1944, à Biarritz, à la place de leurs grands-parents d’origine juive.

Déporté à Auschwitz (1944)
Il est déporté à Auschwitz le 3 février 1944 par le convoi 67 [2]

Après un voyage de 3 jours dans la promiscuité où les gens crient, pleurent, où il n’y a plus de barrières sociales, il se retrouve au Camp d’Auschwitz, le 6 février 44.
A l’arrivée, un SS choisit. D’un côté les hommes, de l’autre les femmes. 200 hommes vont au camp d’Auschwitz et 69 femmes vont rejoindre le camp des femmes à Birkenau. Les autres, il l’apprendra après, seront immédiatement gazés.
Dans la caserne d’Auschwitz, il est affecté au block 11, la prison. Rasé, tatoué, n° 173 295, en tenue rayée, il est affecté à un Kommando.
Il a beaucoup de difficultés car il ne parle pas allemand. Il arrive à rentrer dans l’usine d’armement, l’Union-Werke (Krupp-Werke puis Union-Werke), à l’aide de Stroumza, un déporté d’origine grecque. « Spécialiste », il travaille de nuit, de 6 heures du soir à 6 heures du matin, avec repos le dimanche, c’est à dire 1 ou 2 heures de tranquillité, échappant ainsi à l’appel dans le froid. Il va même réussir à faire venir à l’Union la jeune fille rencontrée à Drancy, qui était dans un Kommando des pierres.
Il y avait des sélections périodiques. En septembre 1944, les détenus sont consignés. Tout le monde est tout nu au milieu des SS. Devant les Blocks, les SS et les médecins trient ceux qui doivent vivre et ceux qui doivent mourir. On relevait le n° de ceux qui avaient été sélectionnés et on les envoyait à Birkenau.

La marche de la mort ( 1945)
A l’approche des Russes, le 18 janvier 1945, le camp est en effervescence. Les détenus sont rangés en colonnes par 5. Un copain, Milou, a volé des bottes pour lui mais elles lui abîmeront les pieds, il en porte encore les cicatrices.
60 000 personnes du complexe d’Auschwitz ont été lancées sur les routes, par moins 18° ou moins 20°. La nuit est claire. Cela lui fait penser à la retraite de Russie. Les Allemands reculaient et eux, ils marchaient. Il faisait froid. Des déportés avaient des godasses à semelles de bois, avec une tige pour tenir la toile. Les tiges se séparaient très vite du bois. Les gens allaient pieds nus dans la glace, déchiraient des couvertures qu’ils se mettaient autour des pieds, mais il fallait avancer. Les pieds, les jambes gelaient, ils tombaient. 5 000, 6000 personnes ont été abattues d’une balle parce qu’elles n’avançaient plus.
N’ayant pas pu après le travail prendre leurs affaires, ils sont partis avec un pain, ils marchent pendant trois jours et trois nuits. Ils sont fatigués. Raphaël Esrail était avec 5 ou 6 Français qui portaient leurs provisions dans une couverture à tour de rôle. L’un d’eux se l’est fait voler.
À Gleiwitz, on les fait monter dans des wagons à charbon ouverts ou des wagons à bestiaux. Il neige, il fait froid sur les plates formes. Des gens ont les pieds gelés. Ils essaient de se réchauffer les uns les autres. Ils ont faim, ils ont soif, et quand on a soif, on devient fou, ils ont mangé de la neige. Il y a des morts.
Le camp de Gross-Rosen est atteint. Des carrières de pierres. Ils sont un millier, on les entasse pour la nuit. Le lendemain, on les fait mettre nus. Ils sont persuadés qu’on va les gazer. On leur échange leur tenue rayée contre des vêtements civils, avec une croix de Saint André, un pain. Les Allemands voulaient récupérer les vêtements des déportés d’Auschwitz pour voir s’il ne restait pas des bijoux cachés dans ces vêtements car Auschwitz était un camp « riche », avec des bijoux, de l’argent, au « Canada ».
Les SS marchaient avec des sacs, des valises contenant des objets volés et les faisaient porter par des détenus qui les laissaient choir dans le noir.
Ils remontent dans des wagons fermés cette fois. Ils ont soif, certains délirent. Au bout de 7 jours, sans manger et sans boire, ils arrivent à Zwickau. Ils trouvent des prisonniers français, mais ceux-ci ne peuvent leur donner à boire. Raphaël est dans un wagon avec Ernest et un étudiant. Ils ne voulaient pas mourir comme des rats. Envisageant de se faire aider par les prisonniers français, il tente de s’évader avec Ernest, le troisième n’a pas sauté. Ils mangent de la neige. Arrêtés par un type de l’organisation Todt, ils sont emmenés chez le garde-barrière. La police allemande arrive. Ernest dit qu’il est français, il reçoit une balle dans la tête. Raphaël dit qu’il est né en Turquie, il est épargné.
Un SS venu du convoi lui retire sa ceinture. Raphaël croit qu’il va mourir : un évadé, on le pend. Le SS avait rendez-vous, gare de Zwickau, où le train les attendait. Il rentre dans un bistrot, lui, reste dehors. Il faisait moins 25 ou moins 30°. Une femme le regarde par la fenêtre. Ses yeux étaient implorants. Le SS l’amène à la gare, le chef SS du convoi lui fait une manchette qui l’étourdit.

 « Pourquoi ne l’as-tu pas descendu » dit-il au SS ?
Raphaël est remonté dans son wagon.

Dachau, la place d’appel, la douche, les Blocks
Ils arrivent à Dachau. Il y a le typhus. On les enferme dans une baraque en quarantaine. Il s’attendait à être descendu, toujours pas de SS qui vient le chercher. Des gens meurent par dizaines, par centaines. Il y reste 15 jours, puis il est transféré dans le Waldlager, le camp dans la forêt, près de Ämpfing, "une saloperie de camp où il transporte du ciment pour une usine souterraine d’armes secrètes. On y meurt de faim et il y a beaucoup de dysenterie. Le 25 avril 1945, le camp est évacué. Epuisé, il se retrouve dans un wagon. L’aviation alliée bombarde le train, en faisant des morts et des blessés. Raphaël laisse sa place à quelqu’un de plus blessé que lui, et qui est tué, à cette place qu’il vient de laisser.

Marches de la mort Dachau-Waakirschen, photo UH
De nombreux monuments semblables ont été édifiés près du lac Starnberg

La Libération
Enfin, le 1er mai 1945, il est libéré à Tutzing, au bord du lac Starnberg, par les Américains. Il reste un temps dans une maison de la jeunesse hitlérienne.
Au retour en France, en uniforme de la jeunesse hitlérienne, il passe à Paris, par le Lutetia, centre de contrôle. Puis il rentre à Lyon, le 26 mai 1945. Il reprend ses études, retrouve et épouse la jeune femme qu’il avait rencontrée à Drancy.

Remise de la Croix du mérite de la RFA à Liliane Esrail.
Marceline Loridan, Simone Veil.

Liliane Badour Esrail 1924-2020

Chacun a son histoire. « Le témoignage, c’est l’expression individuelle d’un destin collectif » dit le Doyen Dominique Borne.

Raphaël Esrail est secrétaire général de l’Amicale des déportés d’Auschwitz.

Témoignage de Raphaël Esrail, janvier 1992 au lycée Edgar Quinet
Notes, Nicole Mullier

Raphaël Esrail, 1925-2022

Extrait de 14 récits d’Auschwitz :
http://www.youtube.com/watch?v=VoHufRKKvUo

Témoignage de Raphaël Esrail sur le site TV : indisponible
http://www.lesite.tv/videotheque/

Dès son retour, Raphaël Esrail veut perpétuer le souvenir de la Shoah et sa transmission notamment dans le cadre scolaire ; il témoigne auprès des jeunes mais contribue à la formation des enseignants notamment des jeunes professeurs par l’organisation de voyages à Auschwitz et de diverses publications comme le DVD-ROM « Mémoire Demain » et le site http://memoiresdesdeportations.fr/
Mémoire demain, un DVD-ROM de l’Union des déportés d’Auschwitz, sur Auschwitz, Auschwitz-Birkenau
Il devient secrétaire général de « l’Amicale » en octobre 1990. Il est aujourd’hui président de l’Union des déportés d’Auschwitz, UDA.

Raphaël Esrail est officier de la Légion d’Honneur, commandeur de l’Ordre National du Mérite et officier des palmes académiques. Avec Liliane, il a la Croix du mérite de la RFA. Il a été fait commandeur de la Légion d’honneur, le 27 avril 2017.

et aussi :
http://clioweb.free.fr/camps/raphael.htm

DVD avec le témoignage de Raphaël Esrail :
http://www.cercleshoah.org/spip.php?rubrique15

Rafle du Vél’ d’Hiv’, Raphaël Esrail

ESRAIL Raphaël, L’espérance d’un baiser : le témoignage de l’un des derniers survivants d’Auschwitz, R. Laffont, 2017, 288 p.

Liliane et Raph, photo NM
Liliane et Raphaël décorés de la croix du mérite de la RFA par l’ambassadrice de l’Allemagne à Paris au palais de Beauharnais, 2013

Raphaël Esrail « L’espérance d’un baiser » CR
Raphaël Esrail « L’espérance d’un baiser ; le témoignage de l’un des derniers survivants d’Auschwitz » Activités avec des élèves
Forces de répression françaises et allemandes

http://clioweb.canalblog.com/archives/2017/09/24/35704569.html

Le Comité international Auschwitz est reçu à Berlin par le président de la République allemande :
Schloss Bellevue , 9. November 2017, Gespräch mit dem Präsidium des Internationalen Auschwitz Komitees (IAK) – Begrüßung von Präsident Roman Kent né à Lodz, im Salon Luise, et rencontre avec le survivant Raphaël Esrail im Großen Saal.

N.M. actualisé août 2012, 2017, 2018

[14 place des Célestins, au domicile de Roger Appel chez madame Gouverneur, au troisième étage. Lorsque j’arrive, deux hommes en tenue m’ouvrent, armés de mitraillettes, et trois autres personnes, dont Francis André dit « Gueule-tordue », membre du PPF (Parti populaire français). Je l’ai su plus tard, il s’agissait d’hommes du MNAT (Mouvement national antiterroriste), créé à Lyon en décembre 1943, par le PPF, le parti de Jacques Doriot, avec l’aide du SD (service de sécurité du RSHA lié à la Sipo). Cf. PC 26 Polices

[2Parmi les professions des déportés du convoi 67 : Angestellter, Arbeiter, Anstreicher, Beamter, Buchhalter, Elektriker, Draftfahrer, Drücker, Geschäftleiter, Laufbursche, Schneider, Schriftsetzer, Vertreter, Schuster, Pelzwarenfabrikant, Wagner, Zeichnerin, Tischler, Verkaufer, Rabbiner, Geschaftsleiter, Reisender, Klempner, Kaufmann, Maler, Publicist, Schlosser, Holzarbeiter, Bildhauer, Apotheker, Leiter, Streicher, Zuschneider, Hausierer, Kraftfahrer, Markthandler, Kunstmaler, Hilfsarbeiter, Buchdrücker, Bankmakler, Gerber, Metzger, Dreher, Schweisser, Spulerin, Schreiner, Schricker, Sterrotypistin, Schuhmacher, Schuhstepper, Hutmacher, Pelzmacherin, Althändler, Hausfrau, Mützemacher, Glaser, Mechaniker...