Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu, Sam Braun

CR du livre biographique de Sam Braun, entretien avec Stéphane Guinoiseau, Paris, Albin Michel, 2007
mardi 14 juillet 2009

Fiche de lecture de Martine Giboureau
Ce livre dont le titre ne révèle que très incomplètement la teneur est certes un témoignage de ce que furent l’enfance et la déportation de Sam Braun mais aussi – surtout ? - une réflexion sur les leçons de cette “ expérience ” et l’intérêt du témoignage.

Sam BRAUN est décédé le 1er juillet 2011.
Une cérémonie a eu lieu mardi 5 juillet 2011 à 15h au crématorium du cimetière du Père Lachaise.
RDV au Père-Lachaise avec Sam Braun, déporté à 16 ans, par Gabriel Kenedi :
http://www.rue89.com/2011/07/06/rdv-au-pere-lachaise-avec-sam-braun-deporte-a-16-ans-212471

Sam Braun
Sam Braun à l’Hôtel de ville de Paris,
lit le Testament d’Auschwitz, le 24 janvier 2010, photoNM

Sam est né à Paris le 25 août 1927 mais a vécu son enfance et le début de son adolescence à Clermont-Ferrand. Ses parents, immigrés, se sont mariés en France, furent naturalisés en 1924 (sa mère venait de Kichinev, actuelle capitale de la Moldavie et son père de Pologne). Son père était commerçant plus ou moins efficace et prospère d’ailleurs ! Sa famille n’est pas pratiquante mais Sam a été éclaireur israélite.
Sam dit à maintes reprises qu’il a vécu dans une bulle et ce, dès avant sa déportation. Il semble ne pas avoir souffert des mesures antisémites, n’avoir guère été concerné par la politique même s’il participe à la manifestation du 11 novembre 1943.

Le 12 novembre 1943 Sam, ses parents et sa petite sœur sont arrêtés chez eux à 6 heures 30 par des miliciens. Sa grand-mère grabataire est laissée seule dans l’appartement. Sa sœur et son frère aîné, absents de l’appartement, ont pu échapper à l’arrestation.
Sam et les siens sont emprisonnés une quinzaine de jours, avec des résistants, dont certains ont été torturés. Ils sont ensuite transférés à Drancy, par train, dans un compartiment de voyageurs. Ils sont gardés par deux gendarmes obstinément sourds aux questions du père de Sam. Celui-ci dit alors avoir ressenti “ le vide monstrueux de la déshumanisation ” en observant ces gendarmes refusant toute parole à une famille juive.
Drancy où les hommes et les femmes ne sont pas au même étage laisse peu de souvenirs à Sam.
Le 7 décembre 1943 la famille Braun est emmenée par bus à la gare de Bobigny [1] puis enfermée dans un wagon à bestiaux (convoi n°64). Sam dit ne pas se souvenir de tous les détails du transfert et insiste sur l’impossibilité de décrire les odeurs ou les regards terrifiés. Il parle de nombreux morts entassés au fur et à mesure le long des parois du wagon (et libérant ainsi un peu de place pour les survivants).

Ils arrivent à Birkenau sur “ le premier quai relativement éloigné des chambres à gaz ” (nous sommes en 1943, la “ rampe ” n’est pas encore construite). La sélection le fait entrer seul à Auschwitz III-Buna-Monowitz.

Judenrampe à l’extérieur de Birkenau

Ce sont alors la tonte, la douche, le tatouage... Sam Braun devient le n° 167472 “ né le 10 décembre 1943 ” à Auschwitz. Il est désinfecté, reçoit la tenue de bagnard et est intégré au Kommando 55, chargé de terrassement pour la construction de l’usine d’IG Farben destinée à fabriquer du caoutchouc synthétique.
Il restera toujours dans ce Kommando, donc en extérieur, soumis aux aléas climatiques (autant la grosse chaleur que le froid intense). En quelques lignes il signale les “ repas ”, les appels, les coups, l’orchestre. Il détaille un peu plus la double structure pyramidale du système concentrationnaire (organisation du travail et organisation du camp). Sam développe plus longuement les différentes techniques de bombardements des Alliés (russes, anglais et américains) et la sorte d’enthousiasme ressentie, liée au “ sentiment d’exister encore pour les Alliés ”. Sam parle de façon très “ clinique ” des musulmans, des sélections, des pendaisons. A ce propos il confronte ses souvenirs avec ceux de Primo Levi, racontés dans Si c’est un homme [2].
Il a vécu tout ce temps sans “ pratiquement aucune relation avec les autres déportés ”. Une seule fois il est “ protégé ” parRobert Waitz, médecin qui le fait rester plusieurs jours au KB (Krankenbau c’est-à-dire l’infirmerie à Buna-Monowitz).
Sam raconte les événements dramatiques qu’il a subis en insistant sur l’impression d’avoir été à la fois spectateur et acteur, d’avoir vécu dans l’imaginaire pendant que son corps était soumis au pire ; p. 56-57 sont évoqués un “ dédoublement schizophrénique ”, un “ clivage défensif du moi ”.
Sam a subi la Marche de la mort : les déportés quittent sans rien le camp ; le 17 janvier 1945. Sam a erré avec sa colonne, de camp en camp (une dizaine dont Flossenbürg et Leitmeritz), dormant parfois en marchant, entassé à d’autres moments dans des wagons découverts, les morts jalonnant le chemin. La violence est permanente pour tous : un “ Lagerältester ” a été massacré dans un camp par des déportés qui l’avaient reconnu. Des SS très jeunes et très ivres se sont amusés à faire descendre les déportés d’un wagon découvert pour leur faire faire des “ pompes ” et exécuter ceux qui ne les faisaient pas dans les règles !
Deux fois toutefois, Sam échappe à la violence, à l’inhumain. Un soldat de la Wehrmacht, alors qu’il était tombé à terre en tirant un chariot empli du barda des SS, a empêché un SS de l’exécuter d’une balle. Autre geste humain sur lequel Sam revient à plusieurs reprises : les pains jetés par des Tchèques depuis des passerelles passant au-dessus des voies où roulaient leurs wagons découverts, et ce, malgré les tirs des SS contre ces civils.
Epuisé totalement (au point d’avoir failli être écrasé par les autres déportés dans le wagon lors de l’épisode des pains), Sam se décide à être sélectionné quand des SS demandent aux malades de descendre du wagon .... Or ces “ SS ” se sont révélés être des résistants tchèques déguisés et ainsi Sam est “ physiquement ” libéré ; il pèse 35 kg pour 1,77m. Il est pris alors en charge par les services hospitaliers praguois.
Lors d’une sortie “ en ville ” avec son infirmière, il voit un gardien tchèque fouetter violemment des prisonniers allemands : ce fut pour lui inacceptable et il fuit ce “ spectacle ” ; pour toujours, la violence lui était devenue viscéralement insupportable.

Début juillet 1945 il rentre au Bourget par avion sanitaire et après l’accueil chaleureux des Tchèques, il vit douloureusement le fait qu’il n’y ait personne à leur arrivée - sauf un bus de la RATP qui le conduit à un cinéma ... pour un interrogatoire d’un agent du contre-espionnage ! Il découvre alors que la présence des déportés juifs rescapés dérange. Il ne rencontre qu’indifférence, silence, gêne, voire suspicion. Resté trois jours au Lutetia, il retrouve son frère et sa soeur aînés... et s’enferme alors dans sa coquille, faisant tout pour occulter sa déportation : il entre dans un silence de 40 ans !
Sam a 18 ans ; il doit retrouver sa forme physique et est de nouveau hospitalisé. Il passe ses deux bacs et fait des études de médecine. Mais surtout, il doit dépasser sa culpabilité d’être survivant alors que ses parents et sa petite soeur ont disparu, accepter ses origines juives (il
cachait son numéro et a failli faire enlever son tatouage), vivre avec l’indifférence des autres.
Ce sont des défis tellement lourds à surmonter, sans l’aide du moindre psychologue, que Sam est passé par la dépression et l’alcoolisme.

BRAUN Sam, Personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu, entretien avec Stéphane Guinoiseau, Paris, Albin Michel, 2007, 265 p.

La suite et l’intérêt pédagogique du livre dans la fiche en pdf.

Fiche lecture Sam Braun

https://web.archive.org/web/20090211181136/http://sambraun.com/

Testament des déportés

Sur le blog de Sam Braun : Testament philosophique des anciens déportés d’Auschwitz.
..."Nous qui étions entourés de pauvres malheureux, qui comme nous étaient faméliques à force d’avoir faim, morts-vivants que nous croisions dans les allées du camp, êtres aux mêmes visages, aux mêmes regards, aux yeux sans expression enfoncés bien loin dans leurs orbites, qui rêvaient de mondes lointains, de pays aux rivages impossibles - nous avons appris la valeur de l’amour."...

"Alors que les rangs des anciens déportés sont de plus en plus clairsemés,
Alors que de-ci, de-là se font entendre les voix des négationnistes et autres truqueurs de l’histoire, maquilleurs de la réalité,
Alors que nous sommes de plus en plus confrontés à la violence élémentaire, à la violence pour la violence et sans aucune autre finalité, se pose la question de savoir si nous, anciens déportés, nous n’avons pas failli à notre devoir, ce devoir dont nous étions investis après les épreuves que nous avions subies.
Un jour, peut-être, nos enfants nous demanderont des comptes et, par delà même nos tombeaux, nous poseront la question essentielle : « Vous avez vécu cela, vous avez souffert l’enfer, chaque minute, dans cet indicible univers concentrationnaire, vous avez côtoyé la mort au point même de la tutoyer, vous avez vu des centaines, voire des milliers de gens, souffrir et mourir, non pour ce qu’ils avaient fait, mais pour ce qu’ils étaient, mourir parce qu’ils avaient commis le simple péché de vivre, le simple péché d’exister. Vous aviez dit « plus jamais cela », alors qu’avez-vous fait pour ouvrir les yeux toujours désespérément clos des hommes ? Qu’avez-vous fait pour améliorer l’humanité et pour que l’amour entre les êtres soit un petit peu plus grand ? Qu’avez-vous fait pour le respect que chacun doit porter à l’autre quelque soit sa religion, sa culture ou le lieu de son origine ? Qu’avez-vous fait pour que nous puissions vivre, vivre enfin libres ? » Voilà, Mesdames et Messieurs, la question teintée de reproches qu’ils nous poseront, même lorsque nous ne serons plus là si nous n’avons pas œuvré de toutes nos forces pour apprendre aux hommes le « vivre ensemble », ce simple « vivre ensemble » dont la notion même est étrangère à certains ?
Ayant souffert de racisme ou d’antisémitisme, c’est l’acceptation de la différence de l’autre qu’il nous fallait transmettre.
Ayant vu la violence se déchaîner contre nous, nous aurions du être les apôtres du pacifisme, non pas d’un pacifisme aveugle, mais d’un pacifisme clairvoyant qui regarde en face pour mieux les décimer, tous les dangers qui apparaissent à l’horizon de l’histoire,
Ayant été des sous-hommes, des üntermunschen, dans le regard de nos bourreaux il nous fallait apprendre aux hommes le respect que l’on doit à chacun, serait-il notre pire ennemi,
Ayant souffert d’enfermement c’est sans cesse, de la liberté que nous aurions du parler pour qu’elle devienne incontournable,
Ayant été méprisés et haïs par nos tortionnaires il fallait chasser cette haine, insidieuse et perverse qui peut se glisser en nous comme le fiel le plus amer. Ne pas être habité par la haine c’est rester tout simplement des hommes, c’est ne pas abandonner notre place dans la communauté humaine, c’est n’avoir aucun sentiment de vengeance, même envers nos bourreaux, mais c’est aussi réclamer une sentence sans faiblesse pour ceux qui ont commis le mal.
La vie concentrationnaire nous a appris aussi ce qu’aurait du être la solidarité que chaque individu devrait avoir à l’égard de l’autre. Franz Fanon, professeur en Afrique noire, disait à ses élèves africains : « Quand on dit du mal des Juifs, dressez l’oreille, mes enfants, on parle de vous ».
Cette solidarité humaine, indispensable à l’Art de vivre ensemble, ayant tant souffert de son absence, nous devons la transmettre aux autres, avec cette notion fondatrice « qu’on est toujours responsable de ce qu’on n’a pas empêché ».
Nous avons aussi appris dans tous les camps d‘extermination, ce que vous me permettrez de nommer une vertu. Nous avons appris l’espérance et l’amour de la vie, l’espérance qui nous a permis de survivre au cauchemar, l’espérance d’être vivant, encore, une heure de plus, l’espérance de voir le lendemain le soleil se lever, l’espérance de vivre le jour où les armées alliées, apportant avec elles notre libération, arriveront à vaincre la barbarie nazie.
Les nazis voulaient diriger le monde, ils croyaient nous supprimer en nous prenant la vie, ils pensaient éliminer définitivement tous ceux qui ne répondaient pas à leurs critères et bien, malgré les millions de crimes dont ils sont responsables, avec nous, ils ont échoué.
Ils avaient pour notre vie le plus profond mépris et la certitude qu’ils pourraient toujours en disposer selon leur désir, et bien, ils ont perdu comme perdent irrémédiablement, toujours, tous les bourreaux.
Avec notre espérance et notre amour de la vie, notre enthousiasme, notre émotion devant les rires ou les pleurs des enfants, notre refus de la souffrance de l’autre, notre engagement contre les injustices faites aux êtres humains, notre combat contre toutes les formes de violence et d’intolérance, nous, les anciens déportés des bagnes nazis, par notre présence même, nous devons utiliser pour le bien de l’humanité, tout ce que nous avons appris sur les hommes, et surtout montrer que la vie est le plus beau des cadeaux, qu’elle est, sera et restera toujours plus forte que la mort. " Sam Braun

"Nous ne serons jamais des vivants comme les autres, nous sommes des survivants."
https://web.archive.org/web/20080719130450/http://www.sambraun.com/article-19284956.html

Témoignage sur TV5
http://www.tv5.org/TV5Site/auschwitz/braun.php?url=http://213.41.65.178/akamareal/tv5/auschwitz/braun5.rpm

La pièce de théâtre, "Personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu" :
http://www.cercleshoah.org/spip.php?article146
Un extrait de la pièce :
http://www.dailymotion.com/video/xhc3cw_personne-ne-m-aurait-cru-alors-je-me-suis-tu-de-sam-braun_creation

Sam Braun, blog de Daniel Letouzey :
http://clioweb.canalblog.com/archives/2011/07/06/21552346.html

NM, mise à jour -janvier 2014

[2LEVI Primo, Si c’est un homme, Paris, Julliard, 1987 (1ère édition 1958), 213 p.


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