Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Mémoires tsiganes, l’autre génocide

d’Henriette Asséo, Idit Bloch et Juliette Jourdan
jeudi 29 novembre 2012

Des témoins tsiganes et des images d’archives retrouvées en Europe.

Mémoires Tsiganes, l’autre génocide, un film écrit par Henriette Asséo, Idit Bloch et Juliette Jourdan, réalisé par Juliette Jourdan et Idit Bloch, Kuiv Productions, 2011, 75 min.

film "Mémoires tsiganes", Fata Dedic, Antoine Lagrené, Milka Goman, Willi Horwath, Ceija Stojka, André Pierdon

Dans ce documentaire sur la persécution des Sinti et Roma sous le nazisme dans divers pays d’Europe occupés par les nazis, des témoins sont interviewés à partir d’une trame historique illustrée par des images d’archives.
Avec les frustrations liées à la défaite de novembre 1918, la recherche d’un bouc émissaire concerne d’abord les Tsiganes. On oublie leur enracinement et on en fait des citoyens à part, dangereux. Obsédés par la « décadence du peuple allemand », les nazis les déclarent « bâtards raciaux indésirables » à 90 %, à cause des nombreux mariages mixtes avec des personnes de « basse valeur », selon la classification de Robert Ritter. Ils sont victimes de stérilisations forcées. Les maires les « jettent » dans des camps (Zigeunerlagern), qu’ils soient sédentaires ou itinérants.
Le fait qu’ils soient catholiques ou protestants ne les aide pas, les églises interviennent très peu pour les secourir. En 1938 et 1939, des hommes et des adolescents sont envoyés à Sachsenhausen, Buchenwald, Dachau, Mauthausen et des femmes à Ravensbrück, pour le travail forcé.
Arthur Nebe, chef de la Kripo et commandant de l’Einsatzgruppe B, est chargé de leur extermination.
Le sort des Tsiganes se confond avec celui des Juifs. La petite « Juive » du film Nuit et Brouillard est en réalité une enfant tsigane, Settela Steinbach [1], déportée de Westerbork à Auschwitz le 19 mai 1944, avec sa famille.
Elle est dans le film commandé par Gemmeker, le commandant du camp, tourné par Rudolf Breslauer, un interné.
http://www.auschwitz.nl/en-exposition/deportation/westerbork-1942-1944/breslauer
Ceija Stojka, Willi Horwath, Hugo-Adolf Höllenreiner, Milka Goman, Antoine Lagrené, André Pierdon, Fata Dedic, Jan Istvan, Bairam Ibragimova, des enfants à l’époque, racontent comment leur vie a basculé.

Ce film combat l’idée d’« un peuple nomade sans patrie ». Ces témoins étaient sédentaires, ils avaient une maison pour l’hiver, ils allaient à l’école et certains, l’été, prenaient la route pour faire les kermesses, les foires, les marchés.

Ceija Stojka [2], autrichienne née en 1933, exprime par une peinture très colorée et violente, sa douleur de la déportation. Elle dit ainsi surmonter sa colère. Son père et son grand-père étaient marchands [3] de chevaux, des Lovara. Ils parlaient le řomanes. Mais vint le temps de la suspicion. La famille déménagea à Vienne en 1939.
La Gestapo a pris d’abord son père pour l’emmener dans le camp de Dachau. Celui-ci a envoyé une carte codée : « Ici, on tue tout le monde. ». Il est mort à Mauthausen. Un jour, au petit matin, la Gestapo est venue les chercher, sa mère, ses frères et sœurs. Ils sont envoyés d’abord en prison, à Elisabethpromenade, puis ils ont été déportés à Auschwitz-Birkenau, en avril 1943, en wagons à bestiaux, dans « le camp des familles » où on leur a donné une couverture rouge pleine de poux. Elle devient Z-6399. « Nous étions des numéros ». Le petit frère Ossi [4] n’a pas survécu longtemps. Ils ont eu très faim. Elle se souvient qu’un jour, sa mère a trouvé une ceinture en cuir qu’elle a ramollie avec ses dents pour la lui donner à manger. Elle a été transférée à Ravensbrück, puis à Bergen-Belsen.
Histoire de la famille Stojka :
https://web.archive.org/web/20150402213806/http ://rombase.uni-graz.at//cgi-bin/art.cgi?src=data/pers/stojkas.en.xml

Passé présent, cinq anciennes détenues de Ravensbrück sont interviewées : Ceija Stojka (Autriche), Lidia Rolfi (Italie), Aat Breur (Pays-Bas), Stella Kugelman Griez (Russe), Antonina Nikiforova (Russe). Le film est écrit et réalisé par Anet van Barneveld et Annemarie Strijbosch, 1996.

Ceija Stojka, Wir leben im Verborgenen - Errinerungen einer Rom-Zigeunerin ( Nous vivions cachés. Souvenirs d’une rom-tsigane), Picus Verlag, 1988, 154 p.
documentaire de Karin Berger sur Ceija Stojka, 85 min.
Ceija Stojka & Unter den Brettern hellgrünes Gras, Der Österreichische Film / Edition Der Standard (Darsteller), Karin Berger (Regisseur)
Ceija Stojka, Träume ich, dass ich lebe ? : Befreit aus Bergen-Belsen, Taschenbuch, 2009
Ceija Stojka, Wir leben im Verborgenen : Aufzeichnungen einer Romni zwischen den Welten, Picus Verlag, 2013

- Ceija Stojka, artiste rom, Exposition à la galerie de la Salle des Machines à la Friche du 11/03/2017 au 16/04/2017, La Friche de la belle de mai, Marseille. " Je rêve que je vis"
http://www.lafriche.org/fr/agenda/ceija-stojka-artiste-rom-620

Antoine Lagrené est d’une famille de musiciens français depuis plusieurs générations. Alors qu’ils étaient en Allemagne, le père a senti le danger et ils sont rentrés en France du côté de Valenciennes où ils avaient de la famille. Ils avaient une maison à Pont-de-la-Deule et voyageaient avec trois ou quatre familles pour le travail. Cela ne posait pas de problème pour trouver où s’arrêter, mais il fallait montrer le « gros » carnet anthropométrique [5] tout le temps, avec les photos prises selonBertillonet les empreintes digitales. Même le bébé de 15 mois avait ses empreintes. Les Tsiganes, déjà assignés à résidence, avec les accords de collaboration, sont internés. Sa famille a été « ramassée » dans le Douaisis dans la rafle du 23 novembre 1943, envoyée à Malines. Il a 13 ans. Puis les Tsiganes ont été déportés par le convoi Z. « On nous emmène dans un camp », disaient les Juifs. À Auschwitz-Birkenau, il n’y a pas eu de sélection à l’arrivée. Sa mère a accouché dans le camp des familles à Birkenau, mais le bébé n’a vécu qu’un mois. Ils étaient dans une « écurie marécageuse sans fenêtre ». Mengele faisait des expériences : il a reçu des injections dans la poitrine pendant plusieurs jours, mais il ne sait pas de quoi. Après la révolte des Tsiganes du 16 mai 1944, il a été envoyé dans le Petit Camp à Buchenwald, où un maître d’école lui a appris à lire. On n’avait pas le temps d’avoir peur, on mourait par le travail. Sa mère a été envoyée à Ravensbrück.

Hugo Höllenreiner [6], de Munich, allait à l’école où il était traité de « Zigeuner ». Leur père, marchand de chevaux, demandait à ses enfants de se tenir tranquille. À la maison, ils parlaient le řomanes. Un jour, leurs chevaux ont été confisqués. Leur père a été incorporé pour la campagne de France. Il a passé son brevet de pilote et les deux garçons jouaient avec ses insignes quand il venait en permission. Il leur apportait du chocolat.
Le 16 mars 1943, ils ont été déportés à Birkenau dans le camp des familles. Considéré avec son frère comme du « matériel de guerre », il a été victime des expériences de Mengele. Un jour des Tsiganes en uniformes de soldats sont arrivés à Auschwitz. Ils pensaient qu’ils allaient tous mourir, être gazés. L’affolement régnait au camp des familles. Leur mère les a rassurés.
Un détenu polonais, Tadeusz Joachimowski secrétaire du camp les a prévenus de l’extermination prochaine. Hugo a vu son père avec une pioche sur l’épaule. Ils étaient une cinquantaine d’hommes avec des morceaux de ferrailles, des morceaux de verre, des pierres, des couteaux. C’était la révolte des Tsiganes du 16 mai 1943. Les SS ont reculé. Ceux qui étaient capables de travailler ont été transférés. Il a été transféré à Ravensbrück, Mauthausen, puis à Bergen-Belsen où il enjambait des cadavres [7]. Il fut libéré par les Anglais. Il avait 11 ans.

André Pierdon, d’une famille manouche de forains d’Ille-et-Vilaine, qui avait un manège, a fait de la Résistance. Il a transporté des armes, puis il est entré dans un maquis du Poitou. Il a participé à la libération de Niort.

Bernard Ageneau, le gardien de camp de Montreuil-Bellay, confirme que le camp de Montreuil-Bellay était immense, il faisait 2 kilomètres de long et les Tsiganes manquaient de tout. Il parle de l’entourage grillagé électrifié par lequel des Tsiganes essayaient de fuir.

Quant aux autres témoins, ils ont connu aussi des conditions très dures. Willi Horwath, autrichien, a été conduit dans le camp de Lackenbach, Jan Istvan, tchèque, dans le camp de Letti, Milka Goman, italienne, se souvient d’avoir été jetée dans un train et surtout des poux qui grouillaient partout. En URSS, où agissaient les Einsatzgruppen et la Wehrmacht, Bairam Ibragimova a vu les fosses et la terre qui « respirait ». Fata Decic, de Croatie se souvient des corps d’enfants jetés dans l’eau qu’ils buvaient. Les fascistes coupaient des doigts et des oreilles pour prendre les bijoux des femmes. Ils les tuaient les uns après les autres. Il y avait du sang partout.

À travers ces témoignages, on voit très bien une différence de traitement entre les Tsiganes venant de l’Ouest et ceux venant de l’Est.
Des extraits de films montrent les travaux de Ritter et de son assistante Eva Justin qui, parlant le romani, a gagné la confiance des Tsiganes. La cinéaste Leni Riefenstahl en 1940-41, travaillait au film Tiefland , d’après l’opéra d’Eugen d’Albert, film où elle joue elle-même le rôle d’une Tsigane. Pour créer une atmosphère « espagnole », elle a fait participer une soixantaine de Sinti et Roma [8], dont de nombreux enfants au tournage. Les figurants tsiganes ont été ensuite déportés à Auschwitz où ils ont été assassinés, mais « elle ne le savait pas ».
Les survivants ont été libérés par les chars alliés. Ils ont eu du mal à faire reconnaître leur nationalité et ils n’ont pas été dédommagés car ils ne pouvaient faire la preuve d’une persécution raciale du fait qu’ils avaient été ramassés comme « asociaux », dit Hugo.
Ritter Robert Dr., Rassenforscher, Leiter des Reichsgesundheitsamtes
(RHKF), Rassehygienische und Kriminalbiologische Forschungsstelle des Reichsgesundheitsamtes

Justin Eva, Rassenbiologische Forschungsstelle des RHKF

Le SS-Einsatzgruppenleiter Otto Ohlendorf a déclaré au procès de Nuremberg qu’il n’y avait aucune différence de traitement entre les Juifs et les Tsiganes. Ritter a été acquitté, Eva Justin a pu continuer ses recherches, Arthur Nebe [9] et la Kripo, n’ont pas été condamnés à Nuremberg.
Témoins de violences extrêmes, ces enfants devenus adultes ne veulent pas, pour certains, avoir de sentiment de haine. Même si la peur reste, ils sont dignes face au malheur qui s’est abattu sur eux.

Bande annonce :
http://www.youtube.com/watch?v=oG1w0ihf9us
Se procurer le DVD :
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?prod=941730

"Quelque 95% des 80 000 Tsiganes vivant sur les territoires du Grand Reich ont été anéantis." Henriette Asséo

Livres en allemand pour les jeunes sur les Tsiganes :
http://artists-for-roma-net.ning.com/page/wwii-never-again?xg_source=activity

Pour en savoir plus :
Les Tsiganes dans l’Europe occupée : entre persécutions et génocide
Fichés : Bertillon, aux origines de la police scientifique,
http://criminocorpus.hypotheses.org/7432

N.M. 2013

[1 Settela, gezicht van het verleden, documentaire de Cherry DUYNS, 1994.

[2Verleden aanwezig (Passé présent, 1996), documentaire dans lequel cinq anciennes détenues de Ravensbrück sont interviewées : Ceija Stojka (Autriche), Lidia Rolfi (Italie), Aat Breur (Pays-Bas), Stella Kugelman Griez (Russe), Antonina Nikiforova (Russe). Le film est écrit et réalisé par Anet van Barneveld et Annemarie Strijbosch.

[3Marchand de bestiaux, métier qui permettait d’exercer des fonctions agricoles sans avoir à posséder de terres, ce qui était interdit aux Juifs.

[4Karl Stojka a peint « Mein Bruder Ossi » mort de faim et du typhus en 1943 à Birkenau. Cf. tableau : http://www.stiftung-denkmal.de/jugendwebsite/p_karl/seite3_c.html

[5C’est-à-dire le carnet collectif pour toute la famille.

[6TUCKERMANN Anja, « Denk nicht, wir bleiben hier » – Die Lebensgeschichte des Sinto Hugo Höllenreiner (Ne pense pas, nous restons ici. La biographie du Sinto Hugo Höllenreiner), Hanserverlag, 2005.

[7Des extraits de vidéos : http://www.hdbg.eu/zeitzeugen/video.php?id=563

[8Certains viennent du camp de Maxglan près de Salzbourg et d’autres, du camp de Marzahn à Berlin, pour tourner dans les studios de Babelsberg. Après la guerre, les autorités d’occupation française ayant confisqué son matériel, le film n’est sorti qu’en 1954.

[9Nebe ayant été en contact avec les résistants du 20 juillet 1944 et pendu, la Kripo a été oubliée à Nuremberg.


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