Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Cordelia Edvardson, L’enfant brûlée cherche le feu

The Girl from Auschwitz
mercredi 3 janvier 2024

Cordelia Edvardson, née en 1929 à Munich, morte en 2012 à Stockholm.

Stolpersteine Cordelia Edvardson, née Hoffmann. Photo U. Schmoll, janvier 2024
33 Eichkatzweg in Berlin-Westend (Grunewald)

- C’est la mère ou la fille ?
- C’est mieux que ce soit toi qui ailles en camp de concentration dit la mère comme l’écrit le critique du journal Die Welt [1].

L’enfant brûlée recherche le feu, un roman de souvenirs vient d’être retraduit du suédois en allemand.

Elisabeth Langgässer, écrivaine [2], a pour père un architecte juif converti au catholiscisme. Cordelia est sa fille naturelle qu’elle a eu de Hermann Heller, un juriste d’État, juif, mort en 1933. Elisabeth, très catholique, épouse en 1935 un philosophe catholique, Wilhelm Hoffman, mais en 1936, selon les lois raciales nationales-socialistes, elle est cataloguée comme demie-juive et ne peut plus publier. Cordelia, catholique, adoptée par Hoffman, est considérée comme 3/4 juive par les lois de Nuremberg. Hoffman a dû renoncer à une carrière universitaire. Il est soumis au travail obligatoire pour avoir refusé de divorcer, protégeant ainsi sa femme, mais son attitude envers Cordelia est problématique. Ils vivent dans la colonie Siedlung d’Eichkamp, un lotissement près de Grunewald, à l’ouest de Berlin.

Cordelia est l’élue. Elle ne peut faire partie du BDM, doit changer d’école, mettre une étoile jaune. Elle devient une menace pour la famille et doit quitter la maison, la "cachette aux écureuils" Eichkatznest. Il lui faut trouver des maisons marquées d’une étoile jaune pour l’héberger, avec la menace la nuit, du bruit des bottes dans l’escalier et des camions "faisant leur récolte".

Alors, Elisabeth Langgässer fait adopter Cordelia par une famille espagnole, elle n’a plus besoin de porter l’étoile, elle possède un passeport, mais elle n’a pas de visa de sortie, elle ne peut quitter l’Allemagne. Son histoire de nationalité attire la Gestapo qui convoque la fille. La Gestapo demande à Cordelia, âgée de 14 ans, de signer un document de double nationalité, ce qui la rend "évacuable volontairement (freiwillig)" vers l’Est. Comme elle demande à téléphoner à son ambassade, la Gestapo s’en prend à sa mère qui sera accusée de haute trahison pour avoir soustrait une juive aux lois raciales", une étoile juive sera marquée sur la maison et les bons d’alimentation seront supprimés à la famille. Si elle signe, la Gestapo sera indulgente pour la mère. La mère qui a 3 autres jeunes enfants, est impuissante, muette. Cordelia n’a pas le choix, elle signe. Elle doit porter à nouveau l’étoile juive et risque la déportation à l’Est.

Deux jeunes demi-juifs viennent chercher Cordelia Maria Sara pour l’amener à hôpital juif, centre de rassemblement, Iranischen Straße. Elle se sent abandonnée par sa mère. Elle est déportée à 14 ans, le 10 mars 1944 via Theresienstadt où elle inspire de la méfiance, se disant catholique et allemande, à Auschwitz. Des femmes des bureaux poussent les jeunes femmes vers Mengele, leur ôtant les enfants des bras. Les vieilles avec les bébés, iront se reposer disent-elles. Mais la vérité est là avec les cheminées d’usine et les odeurs.

Tatouage, elle est A 3709. Maria Mandel, "la bête féroce", surveille, Mengele assis avec son fouet, ses bottes noires, à droite, à gauche, à droite pour Cordelia, sélectionne.

Elle travaille maladroitement pour la production d’ampoules, puis à l’atelier de tissage, ensuite elle inscrit les numéros de ceux qui vont être gazés sur un cahier aux côtés de Mengele. Bercée par les poèmes de sa mère, elle semble ailleurs, elle écrit "das Mädchen", la petite, pour se désigner.

Froid, chaos, le gris disait Ida Grinspan, la cruauté, le néant.

Elle est près de Hambourg, le camp est évacué. Des bus blancs [3] de la Croix-Rouge puis un train l’amènent vers la Suède.

A l’arrivée en Suède, épouillage, interrogatoire, des questions qui la mettent mal à l’aise. Les juives polonaises rescapées la maltraitent, lui lancent "Sale boche", à l’hôpital militaire de Schonen.
Pour Noël elle est accueillie dans une famille suédoise. "Il faut oublier", mais ce n’est pas possible, "je ne veux pas guérir, je voudrais être morte"... Elle se sent incomprise.
Elle reçoit une lettre de sa mère qui a appris en 1946, qu’elle avait été à Auschwitz et qui veut utiliser son expérience concentrationnaire pour écrire un livre. Mais c’est le roman d’une vivante ce qu’elle a écrit, un roman littéraire, dit-elle.
L’amour ne lui suffit pas pour se reconstruire, elle voit les squelettes jaunis, les monceaux de cadavres.
Colère des survivants. Menace d’anéantissement.

Cordelia devient journaliste en Suède. Elle couvre la guerre du Kippour de 1973 et s’installe en Israël comme correspondante du journal Svenska Dagbladet.
De retour en Suède, elle publie en 1986 Gebranntes Kind sucht das Feuer L’enfant brûlée cherche le feu, un roman autobiographique. Est-ce un règlement de compte avec sa mère se demandent certains critiques ? Elle est juive, l’enfant élue.
Des questions lui sont posées lors de lectures. Cordelia accuse le système nazi et non sa mère qui est restée muette devant la Gestapo.

CR de Cordelia EDVARDSON, L’enfant brûlée recherche le feu, traduction de l’allemand Anne Lagny, préface de Georges-Arthur Goldschmidt, édition Stock, 1988

Cordelia EDVARDSON, Gebranntes Kind sucht das Feuer ( L’enfant brûlée cherche le feu), 1986, retraduction du suédois par Ursel Allenstein en allemand, Carl Hanser Verlag, München, 2023

La Jeune fille d’Auschwitz, Flickan från Auschwitz, The Girl from Auschwitz, Das Mädchen aus Auschwitz, Wettbewerb Dokumentarfilme de Stefan Jarl, Schweden 2005, 76 Min.
https://www.nordische-filmtage.de/de/programm/movie/view/2007/226.html
Un livre pour enfant :
Cordelia EDVARDSON, Miriam lives in a Kibbutz, US., Library edition, 1971

Des sources

https://www.juedische-allgemeine.de/
https://www.perlentaucher.de/buch/cordelia-edvardson/gebranntes-kind-sucht-das-feuer.html
https://www.stolpersteine-berlin.de/de/eichkatzweg/33/
https://www.swr.de/swr2/literatur/bestenliste
https://www.berlin.de/ba-charlottenburg-wilmersdorf

"Eichkamp, une cité à la périphérie, au cœur de Berlin", éd. Siedlerverein Eichkamp, 1999

A suivre
NM, Ulrich Schmoll et Ulrich Hermann

[2Elisabeth Langgässer, Das unauslöschliche Siegel ( Le seau indélébile)

[3Bus blancs fait référence à une opération humanitaire de la Croix-Rouge suédoise avec le comte Folke Bernadotte et le masseur Felix Kersten pour rapatrier les Scandinaves, puis les autres déportés.