Georgette Elgey, La Fenêtre ouverte, France-Loisirs, 1973
- Une petite fille très privilégiée
Georgette grandit dans un milieu très privilégié. Elle habite à Paris, avenue de Tokio, avec sa grand-mère, sa tante, sa soeur, et sa mère Madeleine Léon, divorcée. Celle-ci a eu une liaison avec l’historien Georges Lacour-Gayet, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, un veuf qui refuse de l’épouser, puis de reconnaître sa fille née le 24 février 1929.
Des femmes fortes qui se moquent du qu’en-dira-t-on.
Marthe Léon, la grand mère, de la haute bourgeoisie originaire d’Alsace (un hôpital à Marseille portait le nom de son grand-père Michel-Lévy, médecin-général juif, de l’Académie de médecine, le fils, ingénieur du Corps des Mines, membre de l’Académie des sciences), a dans ses relations des gens importants, présidents de la République, ministres, polytechniciens, académiciens, avocats. De procès en procès, d’appel en cassation, Madeleine et sa mère vont jusqu’au Vatican (Madeleine a été baptisée, comme ses deux filles), pour contraindre le veuf à reconnaître Georgette.
Georgette a dix ans au début de la guerre. Elle a des cours particuliers. En 1940, la famille part en exode pour les Eaux-Bonnes, Basses-Pyrénées. Les juifs sont interdits de retour dans la zone occupée. Tout le monde rentre à Paris. En octobre 1940 Georgette découvre l’école, le cours Hattemer, une école laïque mixte. Les livres ont des pages collées, des textes sont amputés. La famille discute du Statut des juifs. La grand-mère se dit française, on ne se déclare pas.
- Basculement le 13 avril 1942
Le 13 avril 1942, deux inspecteurs de police du service antijuif de la Préfecture débarquent rue de Tokio, « venus exiger les preuves de l’ascendance aryenne » de sa mère Madeleine qui a été dénoncée comme juive. Celle-ci se rend plusieurs fois à la préfecture de police, obtenant des délais. Le père de sa fille n’est pas juif, mais il ne l’a pas reconnue.
De nouvelles mesures antisémites sont proclamées, le port de l’étoile jaune, de nombreux interdits, des affiches promettant des représailles étendues aux familles.
La vie continue, mais la panique gagne.
- Départ en « zone libre »
La quête de papiers
Il faut des laissez-passer. Par la fille du pâtissier russe, on apprend qu’une cliente connaît un officier allemand par lequel on pourrait obtenir des Ausweiss. Il faut des certificats médicaux pour justifier de cures thermales pour la famille aux Eaux-Bonnes, près de Laruns. Des amis de Georgette ont pour mère la fille d’un Ministre de Pétain qui intervient pour procurer un avocat et la filiation aryenne. Il faut aussi des cartes d’identité nationale. Le commissaire du quartier de Chaillot établit des cartes sans problème.
Passage de la ligne de démarcation
Il est décidé qu’on se sépare, la tante et la fille aînée d’un côté où les Allemands vérifient les papiers à bord du train, la grand mère, la fille et la petite-fille descendent à Orthez. Malgré des papiers en règle, suite à une dénonciation, la famille est bloquée à Orthez.
Un tampon Ausgang, 29 juillet 1942 figure sur les papiers, mais la famille Léon doit redescendre du train qui avait démarré. Interrogatoires séparés. Elles restent des heures sur un banc. Comment peut-on être si méchants ? Georgette est frappée de stupeur. La mère impassible. La grand-mère dépouillée de ses bijoux, joue la sénile.
Elles sont emmenées dans un hôtel réquisitionné. La femme de l’avocat de la mère, qui réside en zone « libre » arrive en carriole. Tout Orthez est au courant. Les Allemands sont furieux. La tante et la sœur d’abord en prison, les rejoignent à l’hôtel.
Il y a des rivalités entre les services, entre le commandant de la Kommandantur d’Orthez et le représentant de la Gestapo qui trouve que les cartes d’identité sont vraies. Le commissaire de Chaillot a envoyé une lettre indignée, la mère et la grand-mère sont aryennes.
Un juge venu de Bordeaux ne peut juger, car les quatre Ausweiss de la famille sont à Paris. La mère doit aller les chercher rue Galilée. Le capitaine Hannemann lui remet les Ausweiss et une lettre pour le commandant d’Orthez. Rouge de fureur, celui-ci balance papiers et objets confisqués à la figure des femmes.
Sur le laissez-passer de sa mère sur lequel elle figure, il est noté un deuxième Ausgang indiquant le 11 août 1942, on peut voir la signature du capitaine Hannemann.
Par la suite l’affaire d’Orthez est classée grâce à la fille du Ministre de Vichy.
Une peur rétrospective envahit Georgette. Pendant qu’elles sont aux Eaux-Bonnes, à Paris, des Allemands en camion, voulaient les clefs de « l’appartement des juives Léon ». La concierge veut appeler la police, les Allemands déguerpissent. Une vengeance ? La garnison d’Orthez a changé, ils ont été envoyés sur le front russe.
13 ans. Elle est malade de peur. Tout d’un coup une pensée la traverse : « Quand de Gaulle sera là, je n’aurai plus peur. » se répète-t-elle pour se calmer. Elle fait de la bicyclette.
- La famille à Lyon
Rentrée 1942. Sa soeur est reçue externe des hôpitaux à Lyon. La famille suit.
Dans son milieu ultra protégé, le fait de ne pas avoir de père ne la dérange pas, jusqu’au jour où la supérieure dominicaine d’une école privée à Lyon refuse de l’inscrire malgré la menace qui pèse sur elle. L’archévêque de Lyon, primat des Gaules, est pourtant intervenu, à la demande de l’avocat de la famille, pour qu’elle soit à l’abri.
« De nombreux parents d’élèves auraient protesté contre ma présence dans le couvent. Ils n’auraient pas admis que leurs héritières soient élevées avec une enfant naturelle. »
Elle pleure comme jamais.
Sa mère lui a trouvé une place au cours Pontet-Chenevière. Dans un premier temps, dans cet établissement où il n’y a que des filles, elle ne fait rien puis elle est première partout et se fait des amies.
A Saint-Martin-en-Haut, elles ont trouvé un havre de paix dans le village des parents de la réceptionniste de l’hôtel à Lyon, on vit au jour le jour. La soeur de la mère, prise d’une crise de persécution, croit qu’on va les arrêter. Elle risque de les mettre en danger, mais elle est guérie par un grand psychiatre.
La peur de l’arrestation
La « Zone libre » est envahie. Il y a des Allemands partout.
« Quand de Gaulle sera là, je n’aurai plus peur. »
Elle a peur dans sa pension de famille, rue Victor Hugo, il y a des Allemands bruyants qui rentrent tard la nuit. Elle décide de dormir la fenêtre ouverte, seule possibilité pour s’enfuir, mais elle est au 4 e ou 5 e étage.
« Quand de Gaulle sera là, je n’aurai plus peur. » chante-t-elle.
Nouvelle alerte, février 1944, lle compte de la grand mère est bloqué, un indélicat a noté « Mme Gustave Léon, de religion israélite ». Il faut faire des démarches à la banque. La veuve du directeur de la banque, une amie de la grand-mère, passe 5 jours et 5 nuits dans les trains à la recherche du Président de la banque pour supprimer le certificat du notaire.
La Libération
Les Alliés ont débarqué. Les maquisards vont et viennent. Les Allemands multiplient les actions de représailles. Un oncle et un copain de « l’X », le président de l’ex-Comité des Forges, téléphonent anonymement à la personne qui les a dénoncées dont le nom leur a été dit par le commandant nazi à Orthez.
Retour à Paris
Elles retrouvent l’appartement à Paris, intact, grâce à la concierge. Elie, l’espoir de la famille, élève de taupe au lycée Buffon, est tombé dans un maquis de Dordogne. Le monde de l’enfance s’écroule.
Après plusieurs procès, elle doit abandonner son nom et signe des initiales de son père, « L. G. ».
Georgette Elgey nous donne un aperçu de la traversée de cette période dans un milieu privilégié, par les yeux d’une enfant qui ne connaît pas les atrocités de la guerre.
Le courage de deux femmes énergiques, les relations mais aussi des gens simples, ont permis à cette famille de passer à travers les lois antijuives.
Georgette Elgey, journaliste, documentaliste, archiviste, historienne de la Quatrième République, directrice littéraire aux éditions Fayard, chargée de la collecte des archives orales du septennat de Mitterrand, présidente du Conseil Supérieur des Archives.
Elle reprend son récit publié en 1973 chez Fayard, réédité et augmenté en 2017. Dans la version de 1973, elle désigne les protagonistes cités dans son récit par leur fonction.
Après avoir terminé son histoire de la IVe République, elle lance des recherches sur les nombreuses personnes qui ont aidé sa famille, parmi elles, le commissaire Cottin qui a établi leurs cartes d’identité, le capitaine Hannemann, anti-nazi qui a validé les laissez-passer, Marinette, la réceptionniste d’un hôtel lyonnais, la veuve d’un banquier, l’avocat Auguste Champetier de Ribes, homme d’État, un des 80 du 10 juillet 1940, délégué du GPRF auprès du Tribunal militaire de Nuremberg, où il fut procureur....
Cf. https://next.liberation.fr/livres/2017/06/14/georgette-elgey-retour-aux-origines_1576858
Georgette Elgey, La Fenêtre ouverte, Fayard et France-Loisirs, 1973, 219 p.
Georgette Elgey, Toutes fenêtres ouvertes, Fayard, 2017, 414 p.
Georgette Elgey, Histoire de la IVe République, 6 volumes, rééd. complète chez Robert Laffont, Bouquins, 2018
NM. Maubuisson, août 2019, trouvé dans une boite à livres au bord du lac, un livre passionnant, « La Fenêtre ouverte » de Georgette Elgey, France-Loisirs, 1973.