Une famille juive polonaise du 11e arrondissement de Paris, déstructurée par la déportation.
Une famille immigrée, de condition ouvrière.
La famille Iworejkes habitait 119 rue de Montreuil dans le 11e. Ercko, le père, immigré clandestinement de Pologne en 1928, et sa femme Feiga Sukiennik, tous deux nés en Pologne en 1909, se sont mariés en 1931 dans le 20e arrondissement de Paris. Ils eurent trois enfants : Bella, née le 6 octobre 1931, Georges, le 14 mai 1934 et Odette, le 17 janvier 1937, tous de nationalité française par droit du sol.
Le père fit une première demande de naturalisation, le 23 mai 1940 qui fut refusée à ce couple de parents. Il accomplit une période militaire dans l’armée polonaise en juin 1940 puis reprit son activité professionnelle ; il avait commencé à travailler en Pologne, à l’âge de 11 ans, comme aide-forgeron, était devenu ouvrier-monteur de sommiers chez les frères Rachline, de 1930 à 1937, puis tricoteur à domicile, façonnier en tricots pour le compte de la société Tricots Gezed, de 1938 à 1941, date de sa première arrestation ; sa femme, mère de trois enfants, confectionnait les vêtements des enfants.
1941 : première arrestation, premier internement, première évasion d’Ercko Iworejkes
Le 14 mai 1941, sur convocation au commissariat de police, dans ce qu’il est convenu d’appeler « la rafle du billet vert », alors qu’il est fiché par la Préfecture de Police de Paris, comme Juif de nationalité polonaise, chef de famille, il est arrêté par des autorités représentant l’État français - gouvernement de l’Amiral Darlan, « dauphin » du Maréchal Pétain, ministre de l’intérieur. Juif étranger, sans appartenance religieuse, il lit la presse de gauche en yiddish, mais est déclaré « en surnombre dans l’économie nationale » par la Préfecture de Police de Paris. Il est transféré dans le camp d’internement de Beaune-la -Rolande (baraque 14) dans le Loiret. Puis il est muté à Cerdon, le 25 juillet 1941, et travaille dans une ferme de Sologne, à Vannes-sur-Cosson, d’où il s’évade le 14 août 1941, avec l’aide d’un gendarme semble t-il. Il rentre à Paris (11e) et se cache dans l’appartement familial où se trouve son atelier.
1942 : mère et fils sont arrêtés et déportés, les 2 petites filles de 11 ans et 5 ans restent cachées.
Feiga Iworejkes, âgée de 33 ans, juive de nationalité polonaise, arrivée à Paris en 1931, et son fils Georges, jeune garçon français, âgé de 8 ans et demi, sont arrêtés, en novembre 1942, dans leur appartement qui est mis sous scellés. Les deux petites filles, Bella et Odette, ont eu le réflexe de se cacher comme convenu via la trappe aménagée par leur père. Elles trouvent refuge chez chez la compagne d’un lointain cousin, portant un nom « français » à Pecqueuse, près de Limours, en Seine-et-Oise. Présentées comme filles d’un prisonnier de guerre, elles vivent la vie d’une famille paysanne, catholique, et travaillent aux champs, leur pension est payée par leur père jusqu’à sa seconde arrestation. Mère et fils sont internés à Drancy, puis déportés par le convoi 46, le 9 février 1943, à Auschwitz -Birkenau où ils sont assassinés.
1943 : Erckho Iworejkes est arrêté pour la seconde fois, puis déporté
Le père change de caches, dont un grenier du 11e, situé 6 rue Mercoeur, parce qu’il est juif étranger, évadé d’un camp d’internement du Loiret, et que sa femme et son fils sont déjà internés, en attente d’une déportation en camp d’extermination. Dénoncé parce qu’il ne porte pas l’étoile jaune, il est de nouveau arrêté par des policiers de la Préfecture de Police, interné dans le camp de Drancy, avec le matricule 21041, le 11 mai 1943. À la baraque d’enregistrement et de fouilles, il dépose 150 francs à remettre à Mme Majorana, rue Claude Tillier, dans le 12e.
Il est déporté à Auschwitz-Birkenau par le convoi 55 du 23 juin 1943, puis transféré dans un camp annexe d’Auschwitz III, Jawischowitz, camp de travaux forcés dans les mines de charbon. Évacué à Buchenwald, en janvier 1945, matricule 126015, puis dans le camp annexe d’Halberstadt-Langenstein, il revient en France le 30 avril 1945. Très amaigri, il doit rétablir sa santé à Divonne-les-Bains, dans l’Ain, entre le 14 août et le 5 septembre 1945. Ses filles sont prises en charge par Le Renouveau, maison d’accueil située à Montmorency, en Seine-et-Oise, pour enfants juifs orphelins fondées par le MNCR : Mouvement national contre le racisme, émanation de la section juive de la MOI, dirigée par Adam Rayski.
La vie après
Erkho Iworejkes pense émigrer aux États-Unis avec ses deux filles, puis il reprend son métier de tricoteur et développe son activité en entreprise familiale, changeant de domicile, de nationalité : il est naturalisé français le 15 avril 1949, et transforme son nom patronymique en Ivorec, en novembre 1950. Sa fille, Odette, a fait des études secondaires au collège Paul Bert, puis des études scientifiques à l’Université, elle est devenue chercheure scientifique, et s’est mariée à un autre chercheur, enfant caché en Haute-Loire, à Charlieu, avec sa mère, puis placé dans une famille protestante et pris en charge par Les Petits Bergers des Cévennes, rescapé dont le père fut victime de la rafle dite du billet vert, en mai 1941, déporté par le convoi 6 du 17juillet 1942, de Pithiviers à Auschwitz-Birkenau.
Marie Paule Hervieu et Odette Ivorec.
NOIRIEL Gérard, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIX-XXe siècle), Fayard, 2007.
L’immigration juive en France de la fin du XIX ème à la fin de la seconde guerre mondiale
LE GOUPIL Paul, Un Normand dans… Itinéraire d’une guerre 1939-1945, Paris, Éditions Tirésias, Michel Reynaud, 1991.
Les lieux de mémoire de l’histoire juive d’Halberstadt