Je suis le dernier Juif-Treblinka (1942-1943) de Chil Rajchman
- Croquis du camp de Treblinka, Bundesarchiv
1- rail de chemin de fer
2- fausse gare
3- baraque de déshabillage
4- chambre à gaz
5- emplacement des fosses dans lesquelles ont été brûlées les victimes gazées
le croquis a été fait d’après une maquette
Le livre retrouvé de Chil Rajchman est un témoignage extraordinaire et un livre bouleversant. Juif polonais, né le 14 juin 1914 à Lodz, Chil, Ezequiel en yiddish, est déporté, avec sa jeune soeur Rivke, à Treblinka, en octobre 1942. Il y reste dix mois jusqu’au soulèvement du 2 août 1943. Dans ce qu’il appelle « un grand abattoir », il doit tout endurer et résiste au-delà de quelques jours : battu jusqu’au sang, couchant à même le sol, puis sur des planches, travaillant, à la fin, de 4 heures du matin à 18 heures, à un rythme effréné, affamé, assoiffé et alité par le typhus. Alors qu’il aura tout fait : de trieur de vêtements à coupeur de cheveux de femmes avant qu’elles ne pénètrent dans la chambre à gaz, dans le camp n°1 ; de porteur de cadavres jusqu’aux fosses, puis aux bûchers, à arracheur de dents en or, dans le camp n° 2, « aire d’extermination ».
Ce témoignage, écrit en yiddish, dans « l’ombre portée de la mort » est exceptionnel par ce qu’il révèle de l’extraordinaire violence de ce qu’il appelle, à maintes reprises « l’enfer de Treblinka » : des internés qui se pendent pour échapper à l’inhumain, un encadrement de sadiques depuis les officiers SS (Franz Stangl, Kurt Franz...) jusqu’à leurs fidèles auxiliaires ukrainiens (Ivan Demjanjuk [1]) qu’il appelle « suppôts d’assassins », laissant, par exemple, des femmes dénudées attendre des heures, « les pieds nus dans la neige et le froid », leur entrée dans la chambre à gaz. Treblinka n’est plus constitué comme un camp ordinaire mais comme le lieu d’un crime de masse des assassins contre les victimes, toutes juives, et, pour la plupart, polonaises (au total entre 700 000 et 900 000).
Ce qu’il décrit parfaitement, c’est le fonctionnement d’un camp organisé en « usine de mort », avec ses Kommandos de travail à la chaîne : gazages, récupération des métaux, destruction des corps, avec ses horaires militaires, « au clairon », et sa main d’oeuvre indéfiniment renouvelée. Le « Scharführer [...], appelé « le Blanc », est un expert du pistolet, à l’appel du soir, il se présente souvent seul, car il a abattu ses ouvriers jusqu’au dernier. »
Treblinka est un camp d’extermination ouvert en juin 1942, dans lequel les gazages (dans deux bâtiments, de trois et dix chambres à gaz) s’opèrent par le recours au monoxyde de carbone produit par les moteurs Diesel entretenus par les « serruriers », un des multiples Kommandos. S’y ajoutent les brigades du Schlauch (« le corridor », chemin d’accès aux chambres à gaz), chargées de nettoyer le sang, plus une brigade des fossoyeurs, une brigade des cendres (en février 1943) et une brigade du feu, quand ont été construits les bûchers pour brûler les cadavres de plus de 10 000 Juifs bulgares, une brigade des os ...
- Treblinka Je suis le dernier juif, documentaire de Guillaume Ribot
Exceptionnel aussi est la triple référence - que fait Chil Rajchman, à la fois témoin direct et acteur - à la résistance des Juifs au processus de destruction : d’abord, il évoque des Juifs d’Ostrowiec, arrivés en décembre 1942 « Un groupe d’une dizaine d’hommes avait refusé d’entrer dans la chambre à gaz, ils avaient résisté et, entièrement nus, ils avaient usé de leurs poings pour se battre et ne s’étaient pas laissé enfermer » (p. 93) mais tous avaient été abattus. Puis il fait allusion à l’insurrection du ghetto de Varsovie, rapportée par trois femmes affectées au Kommando de la lingerie (p. 122), enfin il développe, dans le chapitre 18, « le soulèvement de Treblinka, le 2 août 1943 ». Il rappelle les délais de préparation, ceux qui en furent les chefs : officiers de l’armée tchèque, comme Zelo Bloch et Rudolph Masaryk, ce dernier, neveu de l’ancien président tchèque, (marié à une femme juive qu’il a accompagné à Treblinka), et Galewski, qualifié (p. 47) de « chef des Kapos, un ingénieur juif ». Ce soulèvement armé fit 350 tués, 200 arrêtés, transférés à Sobibor et une soixantaine de survivants-témoins comme Chil Rajchman ou Yankel Wiernik.
Ce livre de larmes et de sang mérite la plus large diffusion dans le grand public même si certains passages peuvent être ressentis comme insoutenables, parce qu’il est écrit par un homme doué d’une force de caractère peu commune mais qui pleure en voyant, à son arrivée dans une des rares familles polonaises à l’avoir hébergé, lui, le fugitif, un bébé dans les bras de sa mère, « parce que cela fait un an que je n’ai pas vu un enfant vivant ».
En 1946, Chil a immigré en Uruguay où il a eu trois fils [2].
Marie-Paule Hervieu
RAJCHMAN Chil, Je suis le dernier Juif. Treblinka (1942-1943), traduit du yiddish par Gilles Rozier, préface d’Annette Wieviorka, éditions Les Arènes, 2009, 152 p.
Treblinka, Je suis le dernier Juif, documentaire de Guillaume Ribot, 52 min, Injam Production, 2016.
Évadé de Treblinka, de Mieczyslaw Chodzko
Vassili Grossman, L’enfer de Treblinka, chronique de guerre, 1944, éd. Arthaud, Paris, 1966.